Silvia Locatelli, nouvelle dame de l’industrie à Berne
Silvia Locatelli lors du Congrès d’Unia qui s’est tenu en octobre dernier à Brigue.
La syndicaliste vient de rejoindre le comité directeur d’Unia après une longue expérience à Neuchâtel. Elle s’occupera d’un secteur confronté à des défis vitaux. Rencontre.
La grève des maçons à La Chaux-de-Fonds est désormais derrière elle. Ce fut un autre moment fort parmi les nombreuses expériences syndicales que Silvia Locatelli a vécu dans son fief, le canton de Neuchâtel. Dans une salle dérobée, la syndicaliste accueille avec un café et entame l’entretien sur un ton convivial. Sa récente nomination au comité directeur d’Unia est une bonne occasion pour évoquer ce qui a été fait durant ses onze années neuchâteloises et ce qu’elle entend accomplir dans ses nouvelles fonctions.
Une page importante de votre vie professionnelle se tourne. Comment vivez-vous ce passage?
Ce sera sans doute moins un déchirement que si je partais en me disant que je n’allais plus revoir les militants d’ici. Il se trouve que cette région est la plus industrielle de Suisse et, par conséquent, beaucoup de ces militants évoluent dans le secteur de l’industrie dont je vais m’occuper à l’échelle nationale. Quant aux collègues, oui, je vais en perdre beaucoup. Il y a quelques semaines, j’ai assisté à une séance de coordination des secrétaires syndicaux et, à cette occasion, j’ai ressenti des émotions particulières remonter en moi. Ce fut le cas aussi lors des deux journées de grève de la construction.
Est-ce qu’il y a eu des faits qui resteront gravés dans votre mémoire?
Il y a eu un événement marquant avec l’introduction du salaire minimum. On était le premier canton en Suisse à le mettre en œuvre et cela nous a engagés dans une grosse campagne jusqu’à la victoire au Tribunal fédéral. A l’époque, j’avais quitté pendant un temps l’organisation. Pour la petite histoire, je me suis retrouvée par la suite au département cantonal qui devait faire en sorte d’appliquer cette loi et qui devait rédiger les règlements de sa mise en œuvre. J’ai donc suivi tout le chemin et la vie du salaire minimum. Y compris lorsque je suis revenue chez Unia, en siégeant dans une commission tripartite chargée d’observer son application durant huit ans.
D’autres souvenirs?
Les grèves en général ont laissé beaucoup de beaux souvenirs. Celle des maçons de 2022, puis la dernière ont montré la même ferveur, la même énergie de travailleurs qui se battent pour défendre leurs conditions, en affrontant leur patron et en allant auprès de leurs collègues pour les convaincre d’intégrer la lutte. Un autre moment marquant a été la grève des femmes de 2023, où 150 personnes, dont beaucoup de travailleuses des sociétés Universo, Rubattel & Weyermann et Comadur, ont remis un cahier de revendications à leur direction. Ce fut une mobilisation rare dans l’horlogerie. On était alors en pleine négociation de la convention collective et cette action nous a permis d’affirmer que les travailleuses et les travailleurs étaient prêts à sortir dans la rue pour défendre leurs droits.
Comment a évolué le domaine de l’industrie dans la région?
Si on parle de construction syndicale, il est clair que la logique d’adhésion à un collectif de travailleuses et de travailleurs était plus marquée dans les années 1970 qu’aujourd’hui. Cependant, j’observe que les structures militantes se sont renforcées. Les militants vont au-devant des collègues pour les convaincre de la nécessité de s’unir, ce qui n’est pas une évidence dans un discours ambiant très individualiste. Il y a une prise de conscience, notamment d’une partie de la jeunesse, de l’importance à accorder à la lutte.
D’autres éléments externes frappent cette branche, comme les récents droits de douane imposés par l’administration Trump. Comment analysez-vous cette situation?
Il ne faut pas prendre cette donnée comme un élément isolé. Ces taxes douanières arrivent dans un contexte confronté à plusieurs défis. La grande famille de l’industrie des machines, par exemple, doit faire face à la question des délocalisations, de la conversion écologique, des frais liés à l’énergie, de l’arrivée progressive de l’IA, susceptible de remplacer un certain nombre d’emplois. Tous ces points représentent des challenges pour lesquels Unia fait des propositions permettant de maintenir l’emploi et d’opérer des conversions auprès des salariés. La politique industrielle a besoin d’un renouveau, les cantons les plus concernés commencent à s’en rendre compte, mais il faut aussi une action coordonnée au niveau de la Confédération. L’industrie horlogère connaît, elle aussi, une importante transformation structurelle. Ici, on s’est rendu compte que, si on voulait survivre, il fallait miser sur la plus-value, sur le swiss made, sur la qualité et le luxe. Les entreprises du secteur ont changé leur stratégie et, depuis quelques années, les volumes d’exportation ont baissé, mais les volumes financiers ont augmenté. J’ajouterais enfin qu’une partie de la branche doit répondre au défi de l’éloignement des centres de décision au sein des entreprises, avec la conséquente perte de connaissances sur les produits, sur la main-d’œuvre et sur les savoir-faire.
Quels chantiers vont vous occuper en priorité dans votre nouvelle fonction?
Il faudra se coordonner à l’échelle des régions pour faire entendre aux directions des entreprises que, lorsqu’il y a des crises, le premier réflexe ne doit jamais être celui du licenciement, parce qu’il y a toujours un redémarrage par la suite et qu’il est bien difficile de retrouver la main-d’œuvre et un savoir-faire après coup. Il faut consolider le dialogue avec les partenaires et inclure davantage les autorités. Le prolongement de la RHT à vingt-quatre mois est un exemple de réussite, en ce sens: Unia, avec l’Union syndicale suisse, s’est approché des autres partenaires sociaux, a lancé une première salve avec Swissmem, puis avec la Convention patronale de l’horlogerie. Si le nouveau dispositif a pu entrer en force le 1er novembre, c’est parce que nous avons été présents et très actifs.
La protection contre les licenciements abusifs est un point toujours sensible et il a fait l’objet d’un débat animé au dernier Congrès d’Unia. Comment avancer sur ce terrain?
On touche là à une vieille revendication d’Unia. Les travailleuses et les travailleurs ont besoin de cette protection pour pouvoir s’exprimer librement au sein des entreprises. Aujourd’hui, après des années de discussions, il y a une mesure posée sur la table par le Conseil fédéral. Elle va dans la bonne direction, elle constitue un premier pas dans une législation où il n’y a aucune sorte de protection. On assiste à des licenciements de figures qui font partie de commissions du personnel, qui sont des représentants syndicaux, ou des membres de commissions de prévoyance LPP. Ces licenciements sont des manœuvres d’intimidation des patrons, visant à placer des personnes dociles au sein de ces entités.
Une vidéo de Manon Todesco et de Virginie Zimmerli.