Protection des salaires et du service public: tels sont les objectifs fixés par l’Union syndicale suisse pour les futures négociations avec l’Union européenne
«L’Union syndicale suisse (USS) soutient les négociations avec l’Union européenne à propos des Bilatérales III, pour autant que la protection des salaires et le service public soient garantis.» Le message est clair. Il est contenu dans la réponse de la faîtière syndicale à la consultation sur le projet de mandat de négociation avec l’Union européenne (UE). Ce projet, présenté en décembre par le Conseil fédéral, fixe le contenu des nouveaux pourparlers avec la Commission européenne après l’échec de l’accord-cadre institutionnel en 2021 (voir ci-dessous). L’USS avait fortement contribué à l’abandon de cet accord-cadre, la protection des salaires étant menacée. En préambule de sa réponse, rendue publique le 1er février, la faîtière syndicale précise qu’elle s’engage pour une Suisse sociale et ouverte et qu’elle «soutient fondamentalement l’ouverture par rapport à l’UE». Elle rappelle aussi les améliorations obtenues avec la fin du statut de saisonnier et l’introduction de la libre circulation des personnes et des mesures d’accompagnement.
Revendications précises
L’USS a pu obtenir que dans le projet de mandat, une série d’exceptions soient prévues, notamment sur le rôle des partenaires sociaux dans le contrôle des conditions de travail, ou sur la reprise dynamique du droit européen. Mais il reste des points d’ombre, sur lesquels des garanties sont demandées. «Il faut d’abord rappeler qu’on parle ici du marché intérieur de l’UE et que l’objectif des responsables européens est la libéralisation économique de ce marché. Ils souhaitent abaisser les limites à la libre prestation de services, à la libre circulation des personnes et à celle du capital», explique Daniel Lampart, économiste en chef et premier secrétaire de l’USS. «Nous ne sommes pas invités à adopter toutes les règles de l’Union, dont beaucoup sont progressives, mais seulement celles ayant trait au marché intérieur.» Il ajoute qu’il est question de libéraliser l’électricité et le rail, et d’appliquer la directive sur les travailleurs détachés de 2018, laquelle prévoit le paiement des frais professionnels selon le pays d’origine. Une question qui fâche l’USS, une telle disposition ferait perdre des milliers de francs aux travailleurs détachés dans notre pays et ouvrirait la porte à la concurrence déloyale entre les entreprises. «Nous avons des revendications claires sur la protection des salaires. Nous voulons que les frais soient ceux payés en Suisse, que l’interdiction pour une entreprise fautive d’offrir ses services soit maintenue, de même que le paiement de la caution. Ces points ne sont pas clairement protégés par les exceptions prévues dans le document issu des discussions exploratoires», note Daniel Lampart.
Accords de coopération plutôt que libéralisation
Concernant l’accord sur l’électricité, qui prévoit une libéralisation totale du marché, y compris pour les ménages, l’USS se battra pour préserver le service public. «Il faut certes une solution pour notre réseau à haute tension. L’UE veut que l’on adopte toutes ses règles. Or nous pensons que nous pourrions avoir une logique de coopération plutôt que de libéralisation», indique l’économiste en chef de l’USS. Autre point d’achoppement, la libéralisation du transport ferroviaire des voyageurs, comme demandé par l’UE. Là aussi, une coopération serait possible, plaide l’USS. Par ailleurs, un accord sur la santé doit être négocié. Mais il n’est plus question d’une privatisation du secteur. «Nous avons pu freiner cette évolution», rassure Daniel Lampart.
Travail temporaire et force obligatoire des CCT
Dans sa réponse, l’USS pointe encore deux autres problématiques où des améliorations s’imposent sur le sol suisse: l’explosion du travail temporaire et la déclaration de force obligatoire (DFO) des conventions collectives de travail (CCT) soumise aujourd’hui à des quotas très restrictifs. «La hausse du travail temporaire est préoccupante. Le total des heures a été multiplié par cinq depuis le début de la libre circulation. La Suisse a ouvert le travail intérimaire pour les missions de courte durée, jusqu’à 90 jours, pour lesquelles il n’y a qu’une obligation d’annonce, ainsi que pour les frontaliers. Les entreprises de location de services ont profité de cette ouverture. Or plus de la moitié des travailleurs aimeraient un poste fixe. C’est pourquoi nous demandons une limitation du travail temporaire. L’exemple de Genève où une limite de 20% sur les chantiers publics a été instaurée pourrait être une source d’inspiration.» Pour ce qui concerne la déclaration de force obligatoire des CCT – une disposition particulièrement importante pour lutter contre le dumping salarial –, l’USS réclame une refonte complète du système qui date de 1956. «Le marché du travail a complètement changé depuis. La Suisse est le pays le plus strict sur les quotas. Ailleurs, une simple commission peut décider de rendre obligatoire une CCT. Notre système a besoin d’une mise à jour complète!»
Au final, Daniel Lampart estime que le projet de négociation actuel est bien meilleur que l’accord-cadre. «Notre pression a porté ses fruits», se réjouit-il, même s’il y a encore des améliorations attendues. Et le monde politique a évolué. Ainsi, la Commission de politique extérieure du Conseil national rejoint, dans sa prise de position du 31 janvier sur le projet de mandat de négociation, les demandes de l’USS en matière de protection des salaires. «C’est un signal très positif! Beaucoup d’élus ont compris que l’accord-cadre était insuffisant et qu’il faut un autre accord.»
Repères
L’accord institutionnel entre la Suisse et l’Union européenne (UE), abandonné par le Conseil fédéral en 2021 sous la pression des syndicats, prévoyait une approche globale et une reprise automatique, dite aussi dynamique, du droit européen dans les accords bilatéraux existants. En décembre dernier, après 18 mois de discussions exploratoires avec la Commission européenne, le gouvernement présentait sa nouvelle approche pour «stabiliser et développer la voie bilatérale avec l’UE». Cette approche est basée sur «un paquet d’accords de coopération et d’accès au marché». En clair, il s’agira de négocier chacun des accords concernés de manière séparée, afin de les actualiser et d’y insérer des éléments institutionnels, tout en garantissant certaines exceptions.
Pour le Conseil fédéral, le pilier du paquet d’accords est «l’accès sans obstacle au marché de l’Union européenne». Les discussions exploratoires menées avec la Commission prévoient d’actualiser les accords existants relevant du marché intérieur et d’en conclure de nouveaux. Les accords concernés sont ceux sur la libre circulation des personnes, les transports terrestres, le transport aérien, l’agriculture et les obstacles techniques au commerce (ARM). Deux nouveaux accords sont prévus: l’un sur la sécurité alimentaire, l’autre sur l’électricité. Un accord de coopération en matière de santé, et d’autres programmes, notamment de recherche et de formation, feront aussi l’objet des futures négociations.
Le 15 décembre dernier, Le Conseil fédéral a approuvé un projet de mandat de négociations contenant des lignes directrices pour les pourparlers avec l’UE. Projet qu’il a mis en consultation auprès du Parlement, des cantons et des partenaires sociaux. La consultation se terminera à la mi-février et le gouvernement devrait élaborer, début mars, le mandat de négociation définitif. De son côté, la Commission européenne doit également donner le feu vert aux pourparlers. Comme ils l’indiquent dans le document issu des discussions exploratoires, le common understanding ou entente commune, les représentants du Conseil fédéral et de la Commission souhaitent achever les négociations en 2024.