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Affaire Corela que font les autorités

Les conséquences des agissements de la prétendue clinique Corela en matière d'expertises médicales sont énormes

L'affaire Corela touche de très nombreuses personnes, pour qui des demandes de rente, d'indemnités journalières ou de remboursement de soins médicaux ont pu être refusées sur la base d'expertises médicales faussées ou complaisantes. Face à cette situation, des élus ont questionné le Conseil fédéral et le gouvernement fribourgeois.

Après les révélations sur les graves manquements, confirmés par le Tribunal fédéral, de la clinique Corela à Genève, dont le médecin répondant avait modifié des expertises contre l'avis des experts et sans avoir vu les patients, il semblerait légitime que les offices AI et tous les assureurs publics et privés concernés par cette affaire révisent d'eux-mêmes toutes les décisions prises sur la base d'une expertise réalisée par cette clinique. Or aujourd'hui, malgré l'ampleur du scandale et le nombre de personnes ayant pu être lésées, aucune mesure n'a été annoncée. Rappelons que le centre d'expertise de la soi-disant clinique Corela effectuait des centaines de rapports par année. En 2013, elle a réalisé 1081expertises dont 99 pour l'AI, en 2014, 806 dont 53 pour l'AI, et en 2015, 872 dont 44 pour l'AI.
Faute d'une décision politique ou des assureurs, les potentielles victimes s'étant vues refuser une rente ou des prestations doivent agir rapidement pour tenter de faire valoir leurs droits (voir L'ES du 21 mars). Le délai pour demander le réexamen d'un refus de la part d'une assurance sociale court par exemple jusqu'à fin avril.
Reste que la responsabilité des autorités est engagée. Des élus ont entrepris des démarches à ce sujet, au niveau national et à Fribourg notamment. Peu après les révélations sur les agissements de Corela, intervenues en début de session parlementaire, Rebecca Ruiz, conseillère nationale socialiste, questionnait le Conseil fédéral sur la confiance accordée par l'Office fédéral des assurances sociales (Ofas) à cette clinique qui figurait toujours sur la liste des centres d'expertises Comai (Centre d'observation médicale de l'AI). Déposée le 28 février, sa question a eu un effet immédiat: le lendemain, le nom de Corela avait disparu de la liste des centres agréés par l'Ofas. Quelques jours plus tard le Conseil fédéral répondait par écrit que l'AI avait «renoncé à confier des mandats d'expertise à cette clinique depuis 2015 déjà» et qu'elle venait de résilier sa convention tarifaire avec Corela.

Réexamen de la situation des personnes concernées?
Le 5 mars, Philippe Bauer, conseiller national libéral-radical, déposait à son tour une question demandant «comment le Conseil fédéral, l'Ofas ou l'AI entendent-ils considérer les expertises déjà menées» par Corela. Dans sa réponse à l'élu neuchâtelois, le gouvernement explique que «l'étendue et les circonstances exactes des manquements constatés sont encore inconnues et en cours de clarification». Le Conseil fédéral informe que l'Ofas avait suspendu sa collaboration «par mesure de précaution» au vu d'indications reçues en dehors de la procédure menée depuis 2011 contre Corela. Il é
crit également que «l'office AI compétent réévaluera d'office la situation des personnes concernées et déterminera si une nouvelle expertise est dans le cas d'espèce nécessaire.» Lueur d'espoir pour tous ceux ayant passé entre les mains des experts de Corela pour un cas relevant de l'AI? Pas sûr. Interrogé par nos soins pour savoir plus précisément qui sont les «personnes concernées» dont parle le Conseil fédéral, l'Ofas n'a pas encore pu, faute de temps, nous répondre. Nous y reviendrons.

Informer et donner du temps aux assurés
Inquiète du peu d'informations disponibles pour les assurés ayant été soumis à une expertise médicale de Corela, Rebecca Ruiz intervenait à nouveau le 16 mars en déposant une interpellation, cosignée par seize parlementaires, dont des élus de droite. La socialiste vaudoise demande au Conseil fédéral combien de personnes ont été touchées par une décision basée sur une expertise de Corela (y compris en matière d'assurance accident et de perte de gain maladie), si l'Ofas compte «établir un mode d'emploi pour conseiller les assurés concernés dans leurs démarches», quels seront les critères pour procéder à une nouvelle expertise et qui va en payer les coûts. Elle questionne également le gouvernement sur les raisons du maintien de Corela sur la liste des centres d'expertises agréés, de même que sur les moyens de contrôle de l'Ofas pour s'assurer de la qualité des expertises et sur les compétences requises en matière d'assurances sociales suisses pour les médecins étrangers travaillant dans ces centres.
Pour Rebecca Ruiz, toutes les personnes concernées, en particulier toutes celles n'en ayant pas conscience aujourd'hui, doivent être informées rapidement. «Il faut qu'elles puissent agir dans un laps de temps raisonnable et correct», explique-t-elle. Or le Conseil fédéral a jusqu'à la session de juin pour répondre à son interpellation. Elle attend de ce dernier qu'il tienne compte de l'urgence à apporter une réponse. «J'espère aussi que nous obtiendrons la réouverture de tous les dossiers.» Et que des contrôles soient mis en place. Car il s'avère que depuis 2007-2008, beaucoup de gens savaient ce qui se passait avec Corela et d'autres cliniques seraient aussi concernées.

Décisions influencées par des faux
A Fribourg, le député socialiste et secrétaire syndical d'Unia Xavier Ganioz plaide également pour une réouverture de toutes les procédures basées sur une expertise Corela. Il a déposé, le 12 mars, une question au Conseil d'Etat. Face à la «gravité des faits reprochés à la clinique Corela et au Docteur Y. qui y exerce une fonction dirigeante, toutes les expertises de cette clinique ont très potentiellement été l'objet de graves manquements dans leur réalisation», argumente-t-il. Il évoque encore le fait que ces agissements peuvent représenter un «faux dans les titres», auquel cas les décisions prises «ont été influencées par un crime». Pour le député, le Département de la santé et des affaires sociales (DSAS) et l'office AI du canton doivent exclure de toutes les procédures en cours les expertises de la clinique Corela, et procéder spontanément à la révision de toutes celles où une décision est basée sur une telle expertise.
Le Conseil d'Etat est tenu de répondre dans les deux mois, mais selon Xavier Ganioz, les réponses arrivent souvent beaucoup plus tard. Et elles ne sont pas contraignantes. «Dans l'immédiat, il faudrait surseoir au délai de 90 jours, ce qui est la seule manière de pouvoir obtenir une décision politique», relève le député. Il estime également qu'il s'agit-là d'un important combat au niveau syndical. «Cette affaire nous permet de dénoncer l'entremise d'organismes privés dans des décisions prises dans le domaine des assurances sociales. Et pour Unia, c'est l'occasion de nous mettre aux côtés de nos membres qui ont été bousillés par le travail. Notre action est essentielle et légitime.»

Sylviane Herranz

 

 

 

«Les rapports de mes quatre médecins sont passés à la poubelle!»


Sylvie, vendeuse et militante d'Unia, a connu les affres d'une expertise Corela, et en subit encore les conséquences. Témoignage

Sylvie* est vendeuse. Elle travaillait à la Coop. La soixantaine aujourd'hui, elle a eu affaire à la «clinique» Corela il y a six ans. Responsable des surgelés, elle effectuait un travail pénible, pour acheminer la marchandise, tirer les chariots, porter les cartons. Souffrant déjà de douleurs, elle ne veut pas prendre le temps de se soigner comme le lui conseille son médecin. En août 2011, la direction de la Coop la convoque pour lui annoncer son licenciement, après trente ans de services. Trois autres collègues, la cinquantaine, subiront le même sort. Le lendemain, elle se rend chez son médecin de famille où elle a rendez-vous pour un contrôle. Il l'arrête aussitôt. «Je n'ai plus jamais remis les pieds à mon travail, mon état de santé ne l'autorisant pas», explique Sylvie.

Un numéro...
Ses années dans l'entreprise lui permettent de toucher son salaire durant 180 jours. Puis l'assurance perte de gain, la Swica, aurait dû prendre le relais. Cette dernière lui impose de se rendre chez Corela à Genève pour effectuer une expertise. Sylvie vient de se faire opérer de la hanche. Habitant le canton de Vaud, elle demande s'il est possible d'aller dans un centre plus proche de chez elle. L'assurance refuse. Elle se rend chez Corela avec deux béquilles, en avril 2012. «Là-bas, je n'étais qu'un chiffre. L'expert m'a posé quelques questions, m'a rapidement examinée, regardé les radios. J'avais dû me faire opérer, car je n'arrivais plus à marcher. J'avais un rendez-vous en juin avec l'orthopédiste pour le suivi de l'opération. L'expert de Corela m'a dit: "Vous pouvez commencer à travailler aujourd'hui même!" Sûr qu'il n'avait aucune idée du travail dans un magasin, toute la journée debout à se déplacer et porter des marchandises!»
Cet expert était Français, explique Sylvie, et n'était pas inscrit à la FMH (Fédération des médecins suisses). Elle doute même qu'il ait été rhumatologue comme il le prétendait.
Après sa visite chez Corela, et à la suite du refus de la Swica de lui verser les indemnités auxquelles elle a droit, Sylvie a rendez-vous avec une professeure qui la suit pour des problèmes aux mains. Cette dernière lui conseille de recourir. A cet effet, Sylvie produira les certificats de son généraliste, du médecin l'ayant opérée de la hanche, de la spécialiste de la main et d'un neurologue, tous attestant de son incapacité de travailler.
Sans revenu, Sylvie va s'inscrire au chômage. «Le service juridique du chômage a considéré que j'étais inapte à revenir sur le marché du travail. Et que je n'avais donc pas droit aux prestations de l'assurance chômage.»

Déboutée au Tribunal fédéral
Une démarche est entamée auprès du Tribunal cantonal des assurances sociales par l'avocate mandatée par sa protection juridique car, en parallèle, Sylvie avait aussi demandé de bénéficier de l'assurance invalidité (AI). «Les rapports de mes quatre médecins sont passés à la poubelle! L'AI n'a jamais demandé de contre-expertise et a basé sa décision de ne pas entrer en matière sur l'expertise de Corela.» Perdant au niveau cantonal, la vendeuse fait recours au Tribunal fédéral. Et là encore, elle est déboutée.
A la suite d'une seconde opération de la hanche, elle demande la réouverture de son dossier AI pour aggravation: «J'ai de multiples troubles neurologiques et ostéo-articulaires rendant une activité professionnelle inenvisageable. L'AI n'a rien voulu savoir. Et ma protection juridique a basté...»
«Le monde du travail, c'est fini pour moi», constate Sylvie, alors qu'elle vit depuis 2012 sans revenu, sur la base de la seule retraite de son mari. Mais la militante d'Unia, révoltée par les pratiques de Corela et des assureurs, appelle tous ceux ayant été maltraités par de telles expertises à se rassembler. «Il faut se défendre, l'idéal serait de faire des groupes. Annoncez-vous!»

Sylviane Herranz


*Nom connu de la rédaction.