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Valentina Hemmeler Maïga creuse les sillons d'une agriculture durable

Valentina Hemmeler Maïga, permanente syndicale à Uniterre, croit en l'avenir de l'agriculture suisse

Rien ne semblait prédisposer Valentina Hemmeler Maïga à prendre fait et cause pour les agriculteurs suisses et d'ailleurs. Fille d'une mère psychiatre et d'un père médecin généraliste, elle grandit à Genève. C'est au Togo et au Burkina Faso, lors de deux voyages associatifs, que la jeune Valentina de 15 ans s'initie au monde paysan. «C'est là-bas que je me suis rendu compte de l'importance de l'agriculture. La lecture d'ouvrages de l'agronome français René Dumont, et la perspective d'avoir un métier qui me permette de travailler à l'étranger ont renforcé ma motivation à suivre des études d'agronomie à Zürich.»

«Un boulot de rêve»
Sa licence d'agronome en poche, mais sans terrain ni ferme, Valentina Hemmeler travaille dans la formation continue des conseillers agricoles (Agridea), à la Chambre genevoise d'agriculture, avant d'entrer, en 2006, à Uniterre comme permanente syndicale. Depuis, elle ne compte plus ses heures. «Pour moi, c'est un boulot de rêve. C'est tellement gratifiant de travailler pour de telles valeurs...»
La souveraineté alimentaire est l'une d'entre elles. Ce concept politique encourage la production agricole locale, le droit des paysans à vendre des aliments à des prix liés aux coûts de production, la participation des populations aux choix des politiques agricoles, le droit des Etats à se protéger des importations agricoles et alimentaires à bas prix souvent issues de l'exploitation de la main-d'œuvre et des ressources naturelles. «L'agriculture intensive à El Ejido en Espagne entraîne des problèmes sociaux, comme l'exploitation des migrants, et écologiques, avec l'assèchement de la nappe phréatique.» Les conséquences touchent jusqu'aux paysans suisses puisqu'ils ne peuvent faire face à cette concurrence. «L'Etat doit davantage s'engager. Il doit poser un cadre afin d'éviter le dumping salarial, social et environnemental ici et ailleurs en introduisant des taxes, en soutenant les syndicats», insiste Valentina Hemmeler Maïga.

L'union fait la force
Si les paysans du Sud et du Nord sont liés, les différentes branches de la filière alimentaire le sont aussi. Dès lors, pour la permanente syndicale, la lutte d'Uniterre ne peut se passer des autres syndicats. «A priori il y a conflit d'intérêts entre les paysans qui sont patrons et propriétaires et les syndicalistes qui défendent la cause des ouvriers... Certes, il y a des divergences d'intérêt, mais avec l'ouverture des marchés beaucoup de points communs aussi. Si les deux maillons les plus faibles de la société, les paysans et les ouvriers, se tapent dessus, les plus nantis ne peuvent que s'en réjouir. Il faut créer des alliances. Car on ne peut pas améliorer les conditions des ouvriers agricoles sans améliorer celles des familles paysannes.»
L'union fait donc la force dans cette filière alimentaire qui lie aussi paysans, ouvriers et caissières. «La grande distribution suisse, soit Coop et Migros, met la pression sur tout le monde, alors que ces enseignes ont des marges incroyables. Pourquoi n'utilisent-elles pas cet argent pour payer correctement les différents acteurs de la chaîne?»

Une agriculture à réinventer
Dans la perspective du Forum européen sur la souveraineté alimentaire qui se déroulera en Autriche cet été, Uniterre (en tant que membre fondateur de la Coordination paysanne européenne devenue en 2008 la Coordination européenne Via Campesina) a décidé de mettre en place une plate-forme nationale qui regroupe les producteurs, les organisations environnementales, les mouvements de défense des consommateurs, les syndicats, les mouvements sociaux, les politiques et les chercheurs. A terme, une initiative populaire pourrait être lancée afin que la souveraineté alimentaire soit inscrite dans la Constitution. «Cette initiative pourrait permettre de lancer le débat au sein de la population pour définir quelle agriculture nous voulons. Surtout, elle doit être assez claire pour changer les lois...»
Si Valentina Hemmeler Maïga veut protéger les paysans suisses, elle croit en la solidarité internationale. «L'idée est de reconstruire notre agriculture sans que ce soit au détriment des autres régions du monde. Car il n'y a pas de concurrence entre les paysans du Nord et du Sud, mais bien plutôt entre l'agriculture paysanne familiale et les exploitations industrielles orientées vers l'exportation. Face à nous, il y a le bulldozer de l'agro-industrie et des multinationales. Mais je garde espoir car nous avons plus de légitimité au sein de la population que Monsanto, Nestlé ou Syngenta.» L'avenir de la paysannerie suisse, Valentina Hemmeler Maïga le voit radieux même si le chemin est long et sinueux. «Nous voulons plus de paysans, notamment en permettant à des jeunes de s'installer, car nous sommes persuadés que l'agriculture suisse va devenir florissante. Elle est en train de se réinventer...» 


Aline Andrey