Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Unis derrière la bannière syndicale

Une exceptionnelle collection de drapeaux syndicaux exposée à Lausanne raconte les luttes ouvrières

L'exposition «Sous le drapeau syndical. 1845-2014», qui ouvre ses portes ce vendredi 10 octobre jusqu'au 25 janvier prochain, est une occasion unique de découvrir des bannières syndicales du milieu du 19e siècle à nos jours, et l'histoire ouvrière qui les entoure. La plupart de ces bannières proviennent des archives des syndicats ayant précédé Unia dans le canton de Vaud. Un important travail collectif a été réalisé afin de mettre en valeur cette collection, permettant de retracer une partie de l'histoire du mouvement ouvrier dans le canton.

L'Union fait la force! Derrière les bannières syndicales et leurs devises, des millions de travailleurs ont défilé pour afficher leur unité, leurs revendications ou encore leur identité et leur fierté d'appartenir à cette classe laborieuse, productrice des richesses du monde. Les drapeaux, signes de ralliement de diverses sociétés depuis des siècles, ont été pour le mouvement ouvrier un des moyens de s'affirmer, de se constituer, d'exister en tant que tel autour d'une vision commune de lutte pour la justice sociale.
Témoins d'années de luttes ouvrières, 46 drapeaux syndicaux ont été retrouvés dans les archives ou les recoins oubliés des sections d'Unia dans le canton de Vaud. Des bannières héritées après la fusion, le 16 octobre 2004, du Syndicat industrie et bâtiment (SIB), de la Fédération des travailleurs de la métallurgie et de l'horlogerie (FTMH), de la Fédération des travailleurs du commerce, des transports et de l'alimentation (FCTA) et de la «petite» unia. Ces drapeaux, comme des milliers d'autres documents des prédécesseurs d'Unia Vaud, ont été remis aux Archives cantonales vaudoises il y a 5 ans dans le souci de conserver un patrimoine essentiel à la compréhension de notre histoire récente. En partenariat avec le Musée cantonal d'archéologie et d'histoire, chargé de la conservation des textiles, un intense travail de conservation et de restauration de ces drapeaux, dont certains étaient en très mauvais état, a été effectué par la restauratrice-conservatrice Sabine Sille (voir notre édition du 27 août 2014). Dans la foulée, l'idée de mettre en valeur cette collection unique, la plus grande de Suisse, s'est vite imposée. Mission en a été donnée à l'Association pour l'étude de l'histoire du mouvement ouvrier (Aehmo) et à deux membres de son comité, Marianne Enckell et Patrick Auderset, commissaires de l'exposition qui ouvrira ses portes ce vendredi 10 octobre à l'Espace Arlaud à Lausanne.

Des drapeaux, une histoire
En quoi cette collection de drapeaux d'Unia est-elle exceptionnelle? «Par le nombre et la durée couverte, de 1873 à 2004. Par la diversité des professions et des branches, par la qualité des pièces, l'iconographie, toujours typique et riche, que ce soit avec des outils, des motifs symboliques ou des saynètes», répond Patrick Auderset, qui souligne que la collection est aussi marquée par ses manques. «Curieusement, nous n'avons trouvé aucun drapeau de plâtriers-peintres, mais il est possible que d'autres bannières refassent surface.» D'autres syndicats vaudois ont signalé aux historiens être en possession d'anciens étendards, dont quelques-uns, comme celui du syndicat des tramways lausannois, seront aussi exposés. L'exposition comptera plus de quarante drapeaux, tous ceux de la collection d'Unia n'étant pas exposés. Par contre, il sera possible de les découvrir dans leur ensemble dans le catalogue de l'exposition.
Un travail de mise en contexte a été effectué par les historiens de l'Aehmo pour cette exposition, qui présentera encore d'autres objets, comme des outils anciens, des photographies, des gravures, ainsi que des banderoles et drapeaux plus actuels, symbolisant l'évolution de la culture syndicale et des supports des revendications.
«Accrocher ces drapeaux ne suffisait pas pour raconter l'histoire; nous avons cherché à retrouver de la documentation autour d'eux, voir ce qu'ils disaient, et quelles étaient les conditions de travail et de vie à leur époque», relève Marianne Enckell. «Nous avions envie de les mettre en contexte, de connaître les circonstances de leur création, de savoir pourquoi tel symbole, telle devise ont été choisis. Ce qui n'a pas été facile car souvent, les procès-verbaux sont lacunaires, ajoute son collègue Patrick Auderset. A partir de là, nous voulions voir tout ce que ces drapeaux nous disent du développement des luttes syndicales dans le canton.»

Emblèmes du mouvement ouvrier
Et le résultat est riche d'enseignements. L'exposition débute par exemple avec des drapeaux conservés au Musée historique de Lausanne. Ils datent du milieu du 19e siècle. «C'est la préhistoire du mouvement ouvrier. Il y a celui de la mutuelle des tanneurs, et celui des ouvriers menuisiers. Ce dernier est le premier drapeau syndical connu. Il témoigne de la création en 1852 d'un syndicat pour baisser le temps de travail de 13h à 12h par jour. Mais il n'est pas sûr que le drapeau, portant cette date, ait été fait cette année-là», note Marianne Enckell.
Le drapeau, c'est un outil de rassemblement et d'identité. Les couleurs s'y affichent, parfois celles des communes, comme le bleu et le jaune sur d'anciens drapeaux veveysans, ou le rouge et le blanc à Lausanne, ou encore les couleurs des corps de métiers, comme le vert des charrons et des laitiers ou le bleu chez les électriciens. Mais peu à peu, la couleur rouge s'impose. Ce sont les typographes lausannois qui se doteront les premiers, en 1883, d'un drapeau rouge, couleur fortement imprégnée de symbolique. Le rouge, relié au danger et à l'oppression jusqu'à la Révolution française, deviendra à ce moment-là la couleur de la lutte contre la tyrannie puis, pour le mouvement ouvrier, celle du combat pour la liberté et l'émancipation. Un drapeau rouge de cérémonie sera d'ailleurs utilisé au premier congrès de l'Association internationale des travailleurs (AIT), la 1re Internationale, tenu à Genève en 1866. Puis il apparaît dans les rues de Berne en 1876 lorsque des membres de sections de l'AIT commémorent la Commune de Paris. L'exposition présente aussi une pièce rare datant de la Commune, un drapeau du 145e bataillon, arraché sur une barricade par un capitaine vaudois au service de la France, revenu avec son trophée, fier d'avoir passé par les armes les communards qui y résistaient...

Identification et devises
«En 1890 est célébré le premier 1er Mai. C'est le moment où le mouvement ouvrier syndical, mais aussi politique, se développe vraiment. Beaucoup de drapeaux sont fabriqués depuis cette époque-là», explique Patrick Auderset. «A Lausanne, 15 ou 20 syndicats étaient présents à ce 1er Mai. Ils conviaient leurs membres à se rassembler sous le drapeau, avec les attributs, les outils caractéristiques de leur profession», ajoute Marianne Enckell.
Souvent objets de cérémonie, pièces uniques et très chères, pour lesquels des tombolas sont organisées ou des cotisations extraordinaires demandées afin de les financer, les drapeaux vont aussi peu à peu apparaître sur les lieux de lutte. Dès 1905, les tensions sociales et les conflits entre patronat et ouvriers s'exacerbent, ouvrant une période de grèves dans le canton et partout en Suisse et en Europe. «Lors de la grève sur la construction de la ligne de chemin de fer de Vevey-Chexbres, le syndicat appelait les autres sections à venir les soutenir avec leur drapeau. Puis lors de la grève générale de 1907 dans le canton, les drapeaux rouges de l'Union ouvrière étaient devenus des signes de ralliement», soulignent les commissaires de l'exposition.
Si les bannières changent au fil de l'évolution des métiers et de la société, les devises restent. «L'Union fait la force» traverse le 20e siècle. Il est l'un des slogans le plus fréquemment rencontrés sur les bannières syndicales vaudoises. D'autres, comme «Soyons unis - Soyons forts», sont plus volontaristes. Certains expriment aussi le refus de la guerre comme celui de «Paix-Travail», une devise qui, à première vue, pourrait se rapporter à la paix du travail mais, selon la presse syndicale de l'époque étudiée par les historiens, se rapporterait plutôt à la volonté de paix au sortir de la Deuxième Guerre mondiale et au besoin de travail.

Nouvelle culture
Dès cette période, la culture du drapeau change. Sur le terrain, les conflits sont nombreux, mais ils sont réglés par la négociation, les conventions collectives, des acquis pouvaient être obtenus. Les drapeaux se font moins revendicatifs, les slogans disparaissent pour laisser la place au nom des syndicats et à leur sigle. «Dans les années 90, il y a un retour de combativité dû à un durcissement patronal et aux velléités néolibérales. Une nouvelle culture se développe autour du logo des syndicats. Avec les fusions, il y a la volonté d'être visible vis-à-vis de l'opinion publique, des médias. Avec ces nouveaux drapeaux, produits en masse et en polyester, comme ceux du SIB ou aujourd'hui ceux d'Unia, il y a une identification immédiate», relèvent les historiens. Qui ajoutent que dès les années 70, des banderoles et pancartes revendicatives se sont développées à côté des drapeaux syndicaux, permettant à d'autres composantes du mouvement ouvrier, les femmes, les immigrés, de s'exprimer et de faire valoir leurs revendications. L'exposition se clôt d'ailleurs sur des photos, drapeaux et banderoles exprimant cette nouvelle culture de l'emblème. 


Sylviane Herranz


Sous le drapeau syndical, l'expo
L'exposition «Sous le drapeau syndical, 1845-2014» se déroule du 10 octobre 2014 au 25 janvier 2015.
Lieu: Espace Arlaud, place de la Riponne 2bis, Lausanne
Horaires: lundi et mardi fermé; mercredi à vendredi de 12h à 18h; samedi, dimanche et jours fériés de 11h à 17h.
Entrée libre jusqu'à 16 ans. Entrée libre pour tous le premier samedi du mois.
www.musees.vd.ch/espace-arlaud


Les syndicats vaudois et leurs emblèmes
Un catalogue, richement illustré et relatant la genèse de l'exposition, la place des drapeaux dans l'histoire, leur signification, leur conservation, a été rédigé par Marianne Enckell et Patrick Auderset ainsi que d'autres spécialistes. Il recense également tous les drapeaux de la collection Unia. Le livre est disponible au prix de 20 fr. à l'Espace Arlaud et à la boutique du Palais de Rumine. Il peut aussi être commandé auprès du Musée cantonal d'archéologie et d'histoire ou par courriel à mcah@vd.ch, ainsi qu'auprès de l'Aehmo, case postale 5278, 1002 Lausanne ou sur le site www.aehmo.org.


A l'agenda
De nombreux événements sont prévus autour de cette exposition, à laquelle sont aussi associés les syndicats de l'Union syndicale vaudoise (USV). Aperçu:

Visites guidées publiques
Samedi 1er novembre à 11h et dimanche 7 décembre à 14h30.

Cours Movendo
Mercredi 12 novembre, journée de cours sur les bannières syndicales avec visite de l'exposition. Renseignements au 021 310 48 70 ou info@movendo.ch

«Femmes et mouvement syndical. Toutes camarades!»
Conférences, projections de films, expositions organisées par la commission femmes de l'USV: jeudi 20 et vendredi 21 novembre dès 15h30 à Pôle Sud, av. J.-J.-Mercier 3 à Lausanne.*

«Emblèmes et iconographie du mouvement ouvrier»
Journée de conférences organisée par l'Aehmo, samedi 29 novembre de 9h30 à 17h, salle du Sénat, Palais de Rumine, Lausanne.

«Travailler moins! 150 ans de luttes syndicales. Et aujourd'hui?»
Soirée organisée dans le cadre du 10e anniversaire d'Unia, le vendredi 23 janvier 2015 à 19h à la Maison du Peuple, place Chauderon 5 à Lausanne.

Un dossier pédagogique pour les écoles est aussi disponible auprès d'Ecole-Musée, www.ecole-musee.vd.ch

* Dans le cadre de ces journées, l'USV organise également un concours de création d'un «étendard pour l'égalité». Le drapeau gagnant sera utilisé lors de la manifestation nationale des femmes du 7 mars prochain à Berne. Les délais sont courts: les projets doivent être remis le vendredi 31 octobre. Pour plus de renseignements: info@usv-vaud.ch