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Une main de velours... qui dompte le fer

Le maréchal-ferrant puise ses gestes dans la relation ancestrale qui lie l'homme et le cheval

Activité artisanale issue de l'Antiquité, le métier de maréchal-ferrant bénéficie de l'augmentation du nombre d'équidés en Suisse. Découverte d'une profession alliant technique et connaissance du cheval.

Neuf heures du matin. Raymond Mathez gare son 4x4 dans la cour du manège de Saignelégier. Tous les mardis, quelques-uns des 80 chevaux qu'accueille la célèbre institution jurassienne l'attendent de pied ferme. Sous le regard attentif des équidés curieux et d'une meute de chiens placides, le maréchal-ferrant débute sans tarder son immuable rituel: installer son enclume portable à proximité des boxes, puis ses outils, disposés à portée de main: mailloches, rénettes, rogne-pied, brochoirs, râpes, dégorgeoirs et autres pinces à feu ou pinces à river. Des noms qui évoquent un univers artisanal depuis longtemps oublié des citadins. Revêtu de son tablier de maréchal et d'une genouillère de cuir, Raymond Mathez affiche une mine joviale. C'est que la matinée commence bien: L'Amour l'attend! La première jument est prête pour sa séance de pédicure.

Apprendre la patience
Première étape: le retrait du fer usé. Docile, rassurée par le garçon d'écurie qui seconde le maréchal-ferrant, L'Amour accepte sans contrariété les coups de mailloche sur ses sabots pour en extraire les clous. Raymond Mathez lui parle, la rassure, la félicite pour son calme. Dès son arrivée, il a observé l'aplomb de ses membres, évalué la position des sabots par rapport à celle du corps, qui varie selon l'animal. L'usure de l'ancien fer et celle de la corne le renseignent maintenant sur les habitudes du cheval et sa façon de marcher: un indice capital pour forger la nouvelle protection. Dans la pénombre de l'écurie, le maréchal se faufile d'une patte à l'autre. Trente années de ferrage lui ont appris à agir avec une grande économie de gestes. Bientôt, les quatre sabots sont nus. «Le secret d'un bon maréchal? Il n'y en a pas. Il faut connaître les chevaux, les aimer, bien les observer. Certaines bêtes aiment la douceur, d'autres apprécient qu'on soit directif. Avec les années, on apprend la patience. Il vaut mieux attendre un peu que de forcer un animal.»
Vient ensuite le moment délicat du parage. Le maréchal taille le sabot à l'aide d'un rogne-pied, un robuste couteau tranchant qu'il frappe fermement à coup de mailloche. Il ôte la corne qui a poussé depuis le dernier ferrage, soit environ 7 à 8 millimètres - le sabot grandit de 4 à 5 millimètres par mois, et les fers sont renouvelés toutes les 6 à 8 semaines. Aucun droit à l'erreur: trop de corne retirée et le cheval sera bancal et le pied trop fragile. Le maréchal-ferrant doit obtenir une surface plane et équilibrée, de façon à ce que le sabot repose de façon stable et bien d'aplomb. A l'aide d'une rénette, un couteau fin et recourbé, il nettoie l'intérieur du sabot et taille la fourchette, la partie arrière en forme de triangle. Les chiens observent le ferrage en silence, comme s'ils connaissaient l'importance des gestes du maréchal. Ils recevront bientôt leur butin: les copeaux de corne tombés à terre dont ils raffolent.

Progrès technologiques
Raymond Mathez a introduit quatre fers neufs dans le four de forge à gaz placé dans le coffre de son 4x4, qu'il chauffe à plus de 1000 degrés. Une fois rouge, il retire le premier, lui administre quelques coups de marteau pour rectifier une courbure dont lui seul perçoit les défauts. Il ne forge plus ses fers lui-même depuis longtemps, mais se les procure à l'étranger, parmi plusieurs centaines de sortes qui figurent au catalogue. Ils varient par la taille, la forme, l'usage (compétitions, loisirs, travail) et la composition (acier, aluminium, polyuréthane). Aux fers conventionnels s'ajoutent les fers orthopédiques utilisés pour corriger une faiblesse des membres de l'animal, en accord avec un vétérinaire. Les progrès technologiques des dernières décennies ont également touché les clous à ferrer, que le maréchal choisit selon leur longueur, leur matière ou leur profil.
L'artisan saisit le fer à l'aide d'une pince à ferrer et l'applique sur le sabot. Une fumée dense et une odeur pénétrante d'ongle brûlé envahissent aussitôt l'écurie. Il dispose de quelques secondes avant que L'Amour ne sente la chaleur pénétrer son sabot. Concentré, il observe la courbure du fer, sa correspondance à celle du sabot, mémorise les ajustements qu'il faudra apporter au métal. Avant que le cheval ne souffre, il retire le fer et étudie les traces de brûlures laissées sur la corne. Quelques coups de marteau sur l'enclume donneront au fer sa forme définitive, parfaitement adaptée au sabot.
Plongé dans l'eau pour le refroidir, le fer est maintenant prêt pour le brochage - sa fixation - la dernière phase du ferrage. Les clous doivent traverser la partie insensible du sabot, sans blesser le cheval. Des encoches faites à l'aide d'un dégorgeoir permettent au maréchal-ferrant de replier les pointes vers le bas, garantissant ainsi la solidité nécessaire. Puis quelques coups de râpe et de lime et, en trois quarts d'heure, voilà L'Amour parée de quatre nouveaux fers, parfaitement ajustés.

Bertrand Cottet



Une profession d'avenir

Si le métier de maréchal-ferrant a subi des transformations au cours des dernières décennies, il n'est pas en voie de disparition, loin de là! Bien sûr, ce n'est plus à la forge du village qu'on entendra le son de son marteau sur l'enclume. Devenu itinérant pour satisfaire sa clientèle, le maréchal-ferrant gare sa camionnette ou son pick-up devant tous les manèges, les centres équestres ou les haras du pays. Or ces institutions vivent une forte augmentation depuis quelques années, principalement dans la chaîne jurassienne. Une étude du Haras national à Avenches, publiée en juin 2007, établit que le nombre d'équidés en Suisse a augmenté de 53,1% entre 1985 et 2005, passant de 55000 à 85000.
Cette situation s'explique par l'importance des sports hippiques en Suisse et leur diversification, notamment par l'arrivée de la monte Western, un sport orienté sur l'aspect pratique du travail avec le cheval. Par ailleurs, de plus en plus de citadins, des femmes surtout, pratiquent l'équitation de loisir, symbole d'un retour à la nature. Le succès que rencontrent les activités équestres dans notre pays n'est pas étranger au développement de la race des Franches-Montagnes, l'unique race d'origine indigène, issue des montagnes jurassiennes du même nom. Cet animal robuste, calme et affectueux se montre endurant et doté de remarquables facultés d'apprentissage. Doué pour l'attelage et l'équitation, il est très prisé par les propriétaires de gîtes qui proposent à leurs hôtes des promenades équestres. Les qualités de ce cheval, connues à l'étranger, font de lui un candidat idéal à l'exportation.
Alors, maréchal-ferrant, une profession qui vous tente? Chaque année, huit apprentis en moyenne obtiennent leur CFC, dont la moitié dans le Jura, au terme d'une formation de quatre ans. Au programme, un mélange d'enseignements techniques sur les métiers du métal (forge, serrurerie) et de connaissances sur les équidés et leurs multiples activités. «Pour le reste, c'est en forgeant qu'on devient forgeron», sourit Raymond Mathez. «Il faut aimer le grand air, le contact avec les gens et les animaux, et jouir d'une bonne condition physique.»

BC