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Un objecteur de conscience contre les pharmas

En réaction aux bénéfices indécents des multinationales pharmaceutiques, Christophe Salis a réussi à importer des génériques

Son teint hâlé par ses promenades dans la nature, son sourire et sa bonne humeur feraient presque oublier que Christophe Salis est atteint d'une maladie incurable. Sa béquille et son radiateur bouillant rappellent cependant la fragilité de l'homme. «Depuis quelques mois, je sens une dégradation de mon état de santé», dit-il calmement, dans l'attente de résultats suite à des analyses médicales. C'est que Christophe Salis ne suit actuellement aucune trithérapie pour contrer le virus du sida qui l'habite depuis 1986, soit depuis ses 29 ans.
Il a ainsi passé presque la moitié de sa vie avec la maladie, alors que la médecine de l'époque estimait ses chances de survie à deux ans seulement. «Je venais de me marier et d'avoir un enfant, tous deux séronégatifs», précise-t-il, avant d'expliquer spontanément: «Dans ma jeunesse, j'ai été toxicomane pendant six ans. Il m'a ensuite fallu 12 ans pour décrocher. C'est pendant une rechute que j'ai été contaminé.»

Condamné..
«Pour la médecine, j'étais condamné à mort. En apprenant la nouvelle, je me suis dit que je n'avais plus rien à faire dans cette société. Et nous nous sommes retirés à la campagne.» Paysagiste à Lausanne, Christophe Salis trouve une place de vacher dans le canton de Genève. «J'étais en parfaite santé, alors que le travail était particulièrement dur physiquement.» Trois ans plus tard, séparé de sa femme, il est engagé comme fonctionnaire aux jardins de la ville. En 1993, étonné d'être toujours en si bonne santé, il se rend aux HUG où on lui conseille toutefois de commencer un traitement. Il s'intéresse alors à la problématique du sida au niveau mondial, et notamment à l'accès aux trithérapies. Les inégalités le révoltent. «Le problème, c'est les brevets, dont l'origine se trouve dans la volonté des entreprises de toujours gagner davantage», estime Christophe Salis qui ponctue son récit de petits rires, cyniques parfois, tant le système capitaliste l'écœure. Ni optimiste ni pessimiste, il se dit avant tout réaliste. «J'ai toujours cru que j'étais dépressif. Mais en fait, je crois plutôt être réaliste. L'optimisme est à mon avis une méthode de défense contre la réalité.»

Une lutte pour des génériques
L'indécence des bénéfices et du système néolibéral des grands groupes pharmaceutiques motive Christophe Salis à arrêter son traitement en 2002: il ne veut pas cautionner un système qui rejette des millions de malades. Il écrit alors notamment à Novartis (dont le procès contre l'Inde, principal producteur de génériques, vient d'être repoussé à juillet), aux politiciens et aux associations, pour faire part de son boycott. En 2005, après une longue lutte, il réussit à faire importer des antirétroviraux génériques d'Inde avec l'autorisation de Swissmedic (organisme d'homologation des médicaments mis sur le marché suisse) et à être remboursé par son assurance maladie après une année encore de combat administratif. Alors que le médicament Triomune lui permet de prendre une pastille au lieu de trois, et à un coût 33 fois inférieur: 30 francs contre 1000 francs environ par mois.
Après un an et demi de traitement, seul dans son combat contre le système de santé et le Triomune n'étant plus efficace dans son cas (la maladie comme les traitements évoluent sans cesse), il se retrouve sans médicament. Pendant quelques années son état est stable, avant de se dégrader à nouveau. Il réussit alors à se procurer, illégalement, un autre traitement générique avec l'aide d'un médecin au Sénégal. «Il m'a ouvert les bras, alors que je représentais l'exploiteur en tant qu'homme blanc... J'en ai pleuré», raconte Christophe Salis. Malgré son esprit combattif et le soutien du médecin dakarois, son traitement ne durera que 9 mois. «Le voyage, le changement de climat et la tension étaient trop lourds pour que je continue.»

Entre la vie et la mort
N'ayant pu se procurer un nouveau traitement générique, le survivant est aujourd'hui face à un dilemme: «Mon état se dégrade. Il faudra que je me décide bientôt à recommencer un nouveau traitement ou alors continuer à lutter pour mes principes jusqu'à la mort.» Un don de soi qui ne va bien sûr pas sans questionnement. «Quel impact ma mort pourrait-elle avoir sur le système pharmaceutique? Et puis, j'aime la vie. Je suis heureux lorsque je me promène dans la forêt, lorsque je regarde les animaux...» S'il craint la dégradation de son état physique, il n'a pas peur de la mort. «Il y a certainement quelque chose après la mort. Peut-être que nous rejoignons l'immense masse de conscience dont nous sommes un fragment...» Il rit, puis ajoute: «Mais c'est débile de supputer sur l'avenir.» Reste que la spiritualité au sens large fait partie de sa vie. L'éveil des consciences est d'ailleurs pour lui la seule issue aux problèmes de ce monde.


Aline Andrey