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Travail décent pour tous excepté au BIT

500 employés du BIT ont bloqué mercredi dernier leur conseil d'administration pour protester contre la précarité en son sein

Pour le personnel du Bureau international du travail, l'organisation doit donner l'exemple si elle veut préserver sa crédibilité dans son rôle de défense des droits des travailleurs dans le monde entier. Faute de quoi, une grève pourrait avoir lieu au sein même de cette institution des Nations Unies. Edifiant!

Œuvrer au respect des conditions de travail sans les respecter soi-même, est-ce possible? C'est du moins la situation incongrue dans laquelle se trouve le Bureau international du travail (BIT), organisation des Nations Unies chargée de promouvoir les droits syndicaux et du travail dans le monde. Mercredi dernier à Genève, une bonne moitié du personnel a manifesté dans les couloirs de l'institution pour réclamer la fin de la précarité en son sein, le respect du droit à la négociation collective et de la transparence dans la procédure de recrutement. 500 employés (sur un total de 900) ont bloqué l'entrée de la salle dans laquelle devait se réunir le conseil d'administration du BIT. «Travail décent pour tous excepté au BIT», pouvait-on lire sur une pancarte. La réunion a dû être ajournée au lendemain. «Nous avons épuisé tous les moyens de recours à l'interne. Nous avons dû passer à l'action», explique un représentant du syndicat du BIT. Il s'agissait de la première dénonciation publique.

Abus de temporaires
Les graves problèmes relatifs aux conditions de travail du personnel ne datent pourtant pas d'hier au BIT. Malgré les efforts croissants du syndicat interne, ils ne se sont pas résorbés. L'utilisation abusive des contrats de courte durée (limitée à 3 ou 5 mois) a même augmenté selon les représentants du personnel: «Certains employés demeurent plusieurs années avec de tels contrats précaires, bien moins rémunérés, sans droit au chômage, ni cotisations sociales», explique une déléguée. Or, la durée maximale de ces engagements ne devraient pas excéder une année selon les directives internes négociées avec le syndicat. Au bout d'un an, les salariés devraient bénéficier d'un contrat fixe. Mais faute de postes, l'administration sauterait allègrement par-dessus le règlement: «Comme toutes les organisations internationales, le BIT fait face à la crise financière en réduisant les budgets alors que les objectifs fixés augmentent. D'où le recours au travail précaire pour faire face.» Le syndicat n'a cessé de réclamer la fin de ces pratiques, mais rien n'y a fait.

Antisyndicalisme au BIT
Pire encore, l'administration du BIT se rendrait coupable de violations des droits syndicaux les plus élémentaires. «Nous n'avons pas de chiffres ou d'informations précises sur le nombre de contrats temporaires, parce que les rares employés sous ce régime qui sont venus nous voir n'ont pas vu leurs contrats renouvelés», déplore la syndicaliste. Autrement dit, ils auraient été sanctionnés pour avoir sollicité le syndicat.
Autre exemple édifiant: en 2009, une lettre d'information électronique destinée à l'ensemble du personnel a été censurée par l'administration: «On nous a dit de modifier son contenu si on voulait qu'elle soit envoyée.» Le syndicat a dû recourir aux moyens traditionnels: le tract. Quant aux droits à la négociation collective, ils seraient aussi souvent foulés au pied: «On peut dialoguer, mais quand on souhaite négocier concrètement, on nous oppose une fin de non-recevoir», dénonce un délégué.

Recrutements problématiques
Autre sempiternelle pierre d'achoppement: les procédures de recrutement du personnel. Opaques et peu équitables, les concours pour les postes fixes au sein de l'organisation ne respecteraient pas les accords passés à ce sujet avec le syndicat. En temps de pénurie de postes à pourvoir, le respect des procédures s'avère crucial pour éviter le favoritisme et le népotisme. Or, le BIT n'y échapperait pas selon le syndicat. «Pour nous, il est important de garantir l'équité afin de permettre des opportunités de carrière pour le personnel», indique un représentant des salariés.
Pour que la négociation sur l'ensemble de ces points se débloque enfin, l'assemblée extraordinaire des employés du BIT a donné jusqu'au 16 novembre au conseil d'administration pour proposer des solutions. Faute de quoi, le personnel décidera de nouvelles mesures. Une grève pourrait être votée cette semaine. Le directeur du BIT, Juan Somavia s'est déplacé la semaine passée jusqu'à Séoul pour convaincre les dirigeants des pays du G20 de promouvoir la responsabilité sociale. Il reviendra sans doute à temps pour s'y atteler lui-même dans ses propres bureaux...


Christophe Koessler