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Tout est dans le regard...

Photographe indépendant, Mathieu Grandjean s'est spécialisé dans le portrait et les reportages sociaux

Tout commence par des voyages en Inde, Birmanie et Népal qu'effectue Mathieu Grandjean durant les vacances universitaires. Passionné par la photographie, le jeune homme amortit les chocs visuels derrière son objectif. «C'était aussi un moyen de retranscrire ce que je vivais», précise l'autodidacte guidé par l'émotionnel. Master d'économie en poche, le Parisien travaille ensuite dans sa ville comme assistant photo dans le domaine publicitaire. Un emploi qui lui permet d'affiner ses connaissances techniques avant de se lancer, en 2000, comme photographe indépendant. Quatre ans plus tard, le Français émigre aux Etats-Unis, à Los Angeles. Et si la concurrence s'est révélée particulièrement rude dans la Ville Lumière, davantage de portes s'ouvrent dans la mégapole californienne. Photos de joaillerie, mode, architecture, mariages... l'homme exerce ses talents dans différents secteurs et entame, parallèlement, un reportage photographique personnel au long cours: «Backdraft», le contre coup d'un volontariat qui étudie la réhabilitation des anciens combattants de l'armée américaine dans la vie civile. «Le déclic? La découverte du parc d'Arlington West Memorial de l'Association Veterans for peace (vétérans pour la paix), sur la plage de Santa Monica. Chaque dimanche, 3000 croix blanches sont plantées le matin et enlevées le soir. J'ai voulu en savoir plus...»

Entre nécessité et désinformation
Durant plusieurs années, Mathieu Grandjean parle avec des anciens soldats, «souvent des laissés-pour-compte» et tente de mieux comprendre leur réalité. Il découvre une population marquée au fer rouge par les traumatismes de la guerre. «C'était émotionnellement très dur... Il y a un énorme problème au niveau du suivi de ces personnes. Le gouvernement américain dépense chaque année 4 milliards de dollars pour attirer de nouvelles recrues. Mais si les invalides de guerre sont pris en charge, c'est beaucoup plus compliqué pour ceux qui affrontent des problèmes psychologiques», témoigne le photographe bouleversé par ses rencontres. Le jeune homme approfondit la thématique en entrant en contact avec des associations épaulant les vétérans. «Rien qu'à Los Angeles, plus de 20000 d'entre eux vivent dans la rue et consomment drogues et alcools. Des programmes visent à leur réinsertion civile, avec plus ou moins de succès.» Et Mathieu Grandjean de déplorer la désinformation et la nécessité qui poussent nombre d'Américains à s'enrôler. Souvent des personnes issues de milieux modestes séduites par la promesse, à leur retour, de voir leurs études financées. Les discours exacerbant les sentiments patriotiques, l'importance de défendre son pays, notamment au lendemain du 11 septembre ou encore l'argument viril font aussi mouche auprès de jeunes qui ne connaissent la guerre que par le biais de films ou jeux vidéo...

Le feu couve...
«J'en ai vu des vies brisées... Chaque jour on comptabilise aux Etats-Unis 18 suicides de vétérans. Plus que le nombre de soldats tombant au quotidien sur les champs de bataille.» Outre une large et poignante collection d'images toutes prises en argentique - et souvent après de longues et patientes démarches pour obtenir les autorisations - Mathieu Grandjean entreprend aussi de recueillir des témoignages sonores et réalise des montages multimédias. «Backdraft», le nom donné à son travail, possède plusieurs sens. «Ce terme fait notamment allusion à la conscription autrefois obligatoire pour tous mais aussi, utilisé par les pompiers, au feu qui couve et qui menace de provoquer une explosion.» Son reportage débouche sur des projets de livres et de création d'un web-documentaire. Desseins toujours en chantier faute de temps et de moyens. On peut toutefois découvrir le travail de Mathieu Grandjean sur son site*.

Pas de misérabilisme
Auteur d'un autre reportage noir-blanc sur le couple où s'inscrivent, en filigrane, les questions liées à cette notion, à son identité, le photographe, installé à Lausanne depuis un an, s'est spécialisé dans le portrait. «Tout est dans le regard», affirme-t-il, lui qui appréhende cet art un peu «à l'ancienne, comme un peintre», s'accordant une marge d'interprétation. Un espace où le modèle perd soudain le contrôle de son image déclenchant la photo qui se démarquera des autres... Parallèlement, Mathieu Grandjean réalise nombre d'images d'événementiels, organise ateliers et cours, et coproduit Open Show Switzerland. «Cette initiative donne l'opportunité à quatre photographes, sélectionnés chaque mois par un jury, de s'exprimer en public sur un de leur travail. Les candidats retenus et leurs photos sont ensuite présentés dans une revue publiée annuellement.» Autant d'activités nécessaires à la survie du photographe qui, s'il s'intéresse surtout aux sujets sociaux et confie une préférence pour l'argentique, se doit d'être réaliste. «Aujourd'hui, je fais surtout du numérique. Le noir-blanc devient quasi un travail d'auteur. Il ne se vend plus», déplore le jeune homme. Quant à la photo qu'il ne prendra jamais, c'est celle qui exploite misérabilisme et sensationnel. Celle qu'il juge réussie doit parler par elle-même. 


Sonya Mermoud

 

*Informations & commandes d'images sur le site: www.mathieugrandjean.com