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Sous-enchère salariale en hausse

Un rapport du Seco confirme une réalité qui augmente suite à l'ouverture du marché du travail. Réaction d'Aldo Ferrari

En 2010, près de 4% de la population active a été contrôlée par les autorités ou les commissions paritaires en matière de respect des conditions de travail en lien avec la libre circulation des personnes. Il ressort de ces contrôles que les taux d'infractions, aux salaires notamment, sont fortement en hausse. D'où l'inquiétude des syndicats qui demandent à nouveau de renforcer les mesures d'accompagnement.

Les cas d'infractions et de sous-enchère salariale dus à la libre circulation des personnes sont en hausse. C'est ce qui ressort du rapport du Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco) sur la mise en œuvre des mesures d'accompagnement en 2010 publié le 3 mai dernier. Si le Seco impute ces hausses aux progrès réalisés en matière de contrôle, l'Union syndicale suisse (USS) parle au contraire d'une «image inquiétante de la réalité». Et les chiffres sont là pour le confirmer. Ainsi, en 2010, les contrôles ont relevé que 38% des entreprises étrangères détachant des travailleurs en Suisse ne respectaient pas les conditions salariales prévues par les conventions collectives de travail, contre 21% en 2009. Et 12% de ces entreprises n'ont pas respecté les salaires usuels dans les branches non soumises à des CCT de force obligatoire, contre 8% en 2009. Les entreprises suisses engageant du personnel européen ne sont pas en reste puisque 41% des entreprises contrôlées ne respectaient pas les salaires prévus par les CCT (30% en 2009) et 6% les salaires usuels dans les branches sans CCT (4% en 2009).
Au total, 16800 entreprises étrangères ont été contrôlées l'an dernier, ce qui représente plus de 42000 personnes. Et près de 20000 entreprises suisses, soit 100000 travailleurs. Parmi les entreprises helvétiques, les agences de placement temporaire s'illustrent avec un taux d'infractions aux salaires de 41% en moyenne, des pointes à 47% dans le secteur principal de la construction et de 43% dans le second œuvre. Le secteur du nettoyage est aussi largement touché, notamment en Suisse alémanique où les petites entreprises ne sont pas soumises à la CCT existante. Les branches du jardinage, de la sécurité ou encore de l'industrie sont également très affectées par la sous-enchère salariale.
Le rapport du Seco révèle aussi une forte augmentation des travailleurs «indépendants». De 2005 à 2010, leur nombre est passé de 5471 à 14738 et le total des jours de mission a crû de 166700 à 547000 journées. Bien que soumis à la procédure d'annonce prévue par les mesures d'accompagnement, les indépendants ne sont pas tenus de respecter pour eux-mêmes les conditions salariales en vigueur. Et le rapport du Seco montre que sur les 3524 indépendants contrôlés en 2010, dont près de 3000 dans le second œuvre, 23% sont suspectés d'être des «indépendants fictifs».

Sanctions insuffisantes
Le rapport informe encore sur les sanctions infligées par les commissions paritaires ou l'Etat en cas de non-respect des conditions de travail. Il ressort qu'environ 90% des patrons fautifs ne sont pas amendés car ils profitent de la possibilité de conciliation qui leur est offerte, et règlent leur cas en payant les arriérés salariaux. Quant aux amendes conventionnelles, elles ne sont payées que par la moitié des entreprises étrangères. Et 18% des amendes de l'Etat ne sont pas honorées...
Pour le Seco, «le nombre de cas de sous-enchère salariale constatés montre qu'il est nécessaire de maintenir les contrôles». Les syndicats, eux, vont plus loin et exigent à nouveau un renforcement des mesures d'accompagnement. Le point avec Aldo Ferrari, responsable du dossier au comité directeur d'Unia.


QUESTIONS/REPONSES


Les taux d'infractions aux conditions de travail et de sous-enchère salariale sont en hausse. Cette évolution n'est-elle pas inquiétante?
Le rapport confirme ce qu'on a toujours dit. Dans les secteurs conventionnés où le nombre de contrôles est important, les infractions existent et plus il y a de contrôles, plus il y a de cas. Mais il montre effectivement une hausse de la sous-enchère salariale et soulève deux problèmes: celui des faux indépendants et du travail temporaire, et celui des moyens insuffisants à disposition pour faire les contrôles, la majorité d'entre eux étant effectués par les partenaires sociaux.

Le travail temporaire augmente et les cas de sous-enchère dans cette branche aussi. Comment freiner ce phénomène?
Les entreprises de location de services ont largement bénéficié de la libre circulation des personnes. Dans le cadre du travail de courte durée, de moins de 90 jours, qui n'est soumis qu'à une simple obligation d'annonce, les possibilités de contrôle sont réduites par une communication défaillante des annonces aux partenaires sociaux. L'augmentation des infractions dans la location de services prouve à nouveau qu'il est nécessaire de trouver rapidement une solution à la CCT du travail temporaire. Cela d'autant plus que la pression va s'accroître avec l'entrée en vigueur complète, depuis le 1er mai, de la libre circulation avec les huit pays de l'Est, dont la Pologne.

Qu'en est-il du problème des faux indépendants?
Face au développement des contrôles des travailleurs détachés, certaines entreprises cherchent à contourner leur obligation de respecter les conditions de travail en engageant des indépendants. Nous voyons régulièrement sur des chantiers des indépendants qui sous-traitent du travail à d'autres indépendants, en fait des tâcherons. Un cadre législatif contraignant doit être mis en place pour limiter le phénomène. Cela soulève aussi la nécessité d'introduire une responsabilité solidaire entre les entreprises actives sur un chantier.

Face à cette hausse de la sous-enchère et aux effets peu dissuasifs des sanctions, que préconisent les syndicats?
Nous exigeons plus de moyens pour les contrôles, mais également la suppression des blocages institutionnels existant au Seco qui freinent l'extension des CCT. Le dumping est aussi en hausse dans les secteurs non conventionnés, d'où l'importance de notre initiative pour des salaires minimums légaux de 4000 francs par mois.
Nous demandons aussi de revoir la notion de sous-enchère salariale «abusive et répétée» qui ne correspond pas à la réalité actuelle, et la mise en place dans chaque canton de calculateurs de salaire, outil efficace pour comparer les salaires usuels. Mais pour cela, la Confédération doit fournir les données nécessaires à chaque canton, ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Quelle est la marge de manœuvre pour obtenir des améliorations alors que les autorités européennes exigent de la Suisse la suppression des mesures d'accompagnement qu'elles considèrent comme des entraves à la libre prestation des services et à la libre concurrence?
Nous avons été très clairs. Les syndicats, et Unia en particulier, ne soutiendront aucune démarche avec l'Union européenne si les mesures d'accompagnement ne sont pas respectées. Pour nous, il ne peut y avoir de libre circulation sans contrôle des conditions de travail.

Propos recueillis par Sylviane Herranz