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Salaires en euros: Von Roll refuse de se plier au verdict du tribunal

Unia presse le groupe métallurgique à se conformer à ce jugement qui confirme que le versement des salaires en euros est illégal

Von Roll a annoncé à ses employés frontaliers sur les sites de Delémont et Choindez (JU) qu'il continuerait à les payer en euros, malgré le fait que le Tribunal arbitral ait jugé cette pratique illégale, dans une sentence rendue récemment. Unia enjoint l'organisation patronale Swissmem d'obliger Von Roll à se plier à ce jugement et entend défendre jusqu'au bout les intérêts légitimes des travailleurs lésés.

Rappelons-le: le jugement qu'a rendu le Tribunal arbitral de la CCT de l'industrie des machines, des équipements électriques et des métaux (MEM) fera date dans les annales du mouvement syndical dans sa lutte contre le dumping et les discriminations salariales. Pour mémoire, ce tribunal a rendu le 12 septembre dernier un jugement déclarant «illégal» le paiement en euros des salaires des travailleurs employés en Suisse et résidant à l'étranger, confirmant ainsi que la cherté du franc suisse est un risque entrepreneurial qui doit être assumé par l'employeur.

Violation des mesures d'accompagnement
Pour mémoire, ce verdict faisait suite à la plainte d'Unia contre Von Roll casting à Choindez et à Delémont. L'entreprise avait en effet entrepris de payer son personnel frontalier en euros dès le 1er janvier de cette année. La direction avait fait signer à ses employés concernés, près de 120 frontaliers, un avenant à leur contrat de travail. Ce dernier est lui aussi déclaré nul par le Tribunal arbitral, car jugé discriminatoire. En résumé, Unia a donc obtenu gain de cause face à Swissmem, l'organisation faîtière du patronat de l'industrie MEM, qui défendait Von Roll.
Le tribunal se réfère dans son verdict à l'accord bilatéral sur la libre circulation, plus précisément aux clauses portant sur la prévention de la sous-enchère salariale. Pour les juges, la pratique de Von Roll est clairement discriminatoire et constitue une violation de l'accord passé entre la Confédération et la Communauté européenne, entré en vigueur le 1er juin 2002.

Von Roll fait la sourde oreille
Prenant connaissance de ce jugement la semaine dernière, la direction de Von Roll s'en est distanciée et a annoncé, dans une lettre adressée à ses collaborateurs, qu'elle continuerait à payer en euros ses salariés domiciliés à l'étranger. Motif: ses difficultés économiques en partie imputables à la cherté du franc. La loi stipule pourtant que ce problème doit être entièrement assumé par l'employeur.
Von Roll justifie son refus de se plier au verdict du Tribunal arbitral par le fait que l'entreprise n'est plus affiliée à l'organisation patronale Swissmem. Elle affirme ne pas être impliquée par ce jugement rendu par une instance arbitrale conventionnelle dont elle prétend ne plus dépendre. Or elle se trompe! L'entreprise a bel et bien démissionné de Swissmem au printemps 2011, mais cela ne la libère en aucun cas de l'obligation de respecter la convention collective jusqu'au 30 juin 2013 et, par conséquent de se soumettre aux décisions du Tribunal arbitral.

Claire obligation d'appliquer
Appelé à statuer sur sa propre légitimité dans cette affaire, ledit tribunal a clairement confirmé cette règle en invoquant un arrêt du Tribunal fédéral (TF) de juin 2000 jugeant «que les effets normatifs d'une convention collective de durée déterminée s'appliquaient, jusqu'à son expiration, à tous les employeurs et à tous les travailleurs liés par elle lors de sa conclusion, même s'ils ont quitté leur organisation entre-temps». Se référant au TF, le Tribunal arbitral rappelle que la convention collective a notamment pour but, à des fins de protection sociale, de stabiliser les conditions minimales de travail pendant sa durée de validité. Cet objectif ne pourrait pas être atteint s'il était loisible aux employeurs et travailleurs de s'y soustraire par décision unilatérale. Les juges arbitraux concluent que «la démission de Von Roll infratec (holding) SA de Swissmem en avril 2011 n'a nullement mis fin aux droits et aux obligations réciproques des parties au litige qui découlent de la convention, notamment l'obligation de se soumettre à la sentence d'un Tribunal arbitral».

La CCT n'est pas un objet jetable
On ne saurait être plus clair. «Von Roll a donc l'obligation de se conformer à ce jugement», souligne Fabienne Kühn, en charge de ce dossier, au comité directeur d'Unia. «Nous venons d'ailleurs de solliciter l'organisation Swissmem afin qu'elle enjoigne cette entreprise à se plier à son devoir légal. La convention collective et le partenariat social ne sont pas des supermarchés dans lesquels on ne prend que des articles qui nous conviennent et qu'on peut jeter à bien plaire. Quitter la CCT en cours de route pour échapper à l'une ou l'autre de ses clauses, ce serait vraiment trop facile.»
La syndicaliste annonce qu'Unia a entrepris la défense des travailleuses et travailleurs lésés par cette pratique chez Von Roll. Elle note que cette discrimination leur fait perdre chaque mois 200 à 300 francs de salaire mais aussi qu'elle peut, au final, pénaliser également les salariés domiciliés en Suisse, du fait qu'elle favorise la sous-enchère salariale.
L'affaire suit donc son cours. Mais quelle qu'en soit l'issue, le jugement du Tribunal arbitral revêt une grande importance pour le mouvement syndical et tous les salariés travaillant en Suisse. «C'est une référence pour les travailleurs qui veulent faire valoir leur droit contre les discriminations.» Pierluigi Fedele, secrétaire régional d'Unia Transjurane le confirme. «Nous avons en ce moment trois ou quatre litiges au sujet de paiements de salaires en euros dans notre région. Et ce jugement va apporter de l'eau à notre moulin. C'est une excellente chose.»


Pierre Noverraz