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Salaires en euros : porte ouverte au dumping

Une note juridique émanant du canton du Jura apporte un éclairage supplémentaire sur cette pratique inadmissible

Après la publication de nombreuses analyses portant sur le caractère discriminatoire du paiement des salaires en euros en Suisse, une nouvelle pièce s'ajoute à ce dossier sous la forme d'une note juridique du SAMT jurassien. Cette note servira de base à la Commission tripartite pour statuer sur le cas de l'entreprise Sycrilor dont Unia a dénoncé la décision de payer ses travailleurs frontaliers en euros.

Après les analyses de différents experts réprouvant le paiement de salaires en euros, dont la remarquable étude du syndicaliste Jean Christophe Schwaab, concluant à l'illégalité de cette pratique, voilà qu'une nouvelle note juridique vient éclairer le sujet. Elle émane cette fois du Service jurassien des arts et métiers et du travail (SAMT). Signée par Boris Rubin, cette note a été rédigée à l'attention de la Commission tripartite jurassienne réunissant les syndicats, le patronat et l'Etat pour surveiller le marché du travail et prévenir le dumping salarial. Cette Commission devra prochainement se prononcer sur le cas de l'entreprise Sycrilor, au Noirmont. Cette dernière paie depuis septembre dernier les salaires de son personnel frontalier en euros, ce qu'Unia a contesté en intervenant notamment auprès des autorités cantonales.

Dumping
Nous publions ici de larges extraits du contenu de cette note juridique en mettant en gras les passages que nous considérons essentiels:
«L'employeur ne peut baisser le salaire de façon unilatérale. Il ne peut modifier sans autre les critères de calcul du salaire. Il doit en tous les cas procéder au moyen d'un congé-modification respectant le délai de dédite. Toutefois, même si l'employeur résilie le contrat moyennant respect du délai de dédite et propose un nouveau contrat avec salaire en euros et montant fixe, il est possible qu'il y ait violation de l'art. 324 CO (Code des obligations, ndlr) si le taux de change évolue ensuite uniquement au détriment de l'employé. En effet, il découle de l'art. 324 CO qu'il n'appartient pas à l'employé de supporter le risque d'entreprise (ATF 125 III 65 consid. 5 p. 69). Or, l'évolution du taux de change constitue un risque d'entreprise que l'employeur doit assumer. L'art. 324 CO, qui interdit de faire assumer le risque d'entreprise aux travailleurs, est impératif.
Serait éventuellement conforme au droit une clause prévoyant des salaires en euros même en cas d'appréciation de l'euro, dans une période de fluctuation du taux de change à la hausse et à la baisse.
On signalera encore que si une multitude de contrats étaient dénoncés dans un bref laps de temps en vue d'en proposer d'autres avec clause de paiement des salaires en euros, se poserait alors éventuellement la question du respect de la procédure en matière de licenciement collectif. Celle-ci implique entre autres la consultation des travailleurs et l'annonce à l'Office du travail (art 335d ss CO).»

Lutte contre la sous-enchère salariale
«La législation sur les mesures d'accompagnement vise notamment à lutter contre les pratiques salariales qui favoriseraient l'engagement de travailleurs frontaliers en raison du fait qu'ils pourraient être rémunérés moins que l'usage en Suisse. De telles pratiques seraient en effet susceptibles d'exercer une pression salariale à l'embauche.
En cas de variation du taux de change de l'euro à la baisse par rapport au franc suisse, le versement, aux frontaliers, de salaires en euros avec montant invariable, déboucherait à la fois sur une diminution salariale pour le personnel rémunéré en euros et sur une pression indirecte exercée sur les travailleurs indigènes. Autrement dit, sachant qu'il peut rémunérer les travailleurs frontaliers moins que les travailleurs suisses, l'employeur serait dès lors incité à engager de préférence les travailleurs frontaliers. Cette attractivité des frontaliers exercerait probablement une pression sur les salaires à l'engagement. Il s'agirait éventuellement de l'une des formes de dumping contre laquelle la législation sur les mesures d'accompagnement entend lutter.
En présence de circonstances comme une variation très importante du taux de change, pénalisante pour l'industrie d'exportation, il faudrait se demander si les baisses de salaire (selon le mécanisme décrit ci-dessus) sont abusives, si effectivement elles se produisent. Il appartiendrait à la Commission tripartite d'apprécier la situation.
Ce qui semble être constitutif d'un éventuel abus, c'est le fait d'appliquer un système de rémunération dissocié qui, même s'il ne pénalise pas directement les travailleurs suisses, s'agissant du salaire, finit par les toucher car ce système (dissocié) influencera l'employeur dans ses choix à l'engagement. L'employeur aura intérêt à embaucher des frontaliers car il pourra (de son point de vue de débiteur des salaires) les payer moins que les indigènes. Dans ce contexte, le risque de pression sur les salaires à l'engagement serait effectif et se répercuterait sur les indigènes.»

Pierre Noverraz


Genève opposée aux salaires en euros

Le Conseil de surveillance du marché de l'emploi (CSME) de Genève, réunissant les représentants des principales organisations patronales et syndicales ainsi que l'Etat, a décidé dans sa dernière séance d'appeler les entreprises du canton à ne pas recourir au versement des salaires en euros pour compenser les effets de change sur le marché des devises. Un appel préventif puisque pour l'heure, aucun cas de ce genre n'a été observé dans le canton. «Dans tous les cas, pour toutes les entreprises liées par une convention collective de travail, les conditions minimales de salaires doivent impérativement être respectées. Dans les secteurs couverts par une CCT étendue, l'obligation s'étend à l'ensemble des acteurs économiques actifs sur le canton. Ces conditions salariales sont exprimées en francs suisses», précise le communiqué du CSME. 

PN