Plusieurs fois primé, le photographe Mark Henley explore des mondes pluriels difficilement accessibles au public. Des images belles, originales et fortes à la clé.
Mark Henley aime les défis. La difficulté. Et les terrains généralement vierges d’images. Un attrait qui explique son intérêt pour les mondes a priori guère photogéniques des banques et de la diplomatie. Pas pour le professionnel de 58 ans, posant un regard décalé sur «ces centres de pouvoir», jouant de leur austérité et de la rigueur de leurs codes. Et offrant à voir des scènes inédites. Des tableaux superbes où la spontanéité le dispute à un art maîtrisé de la composition. Comme dans son travail sur la chute de Credit Suisse, couronné en juin dernier par le Swiss Press Photo. L’univers de la finance, ses personnes en complet et attaché-case, son décorum et ses conventions, lui avait déjà valu la reconnaissance de ce même jury pour une autre série de photographies. Mark Henley explore ce milieu depuis une quinzaine d’années. Il le raconte à travers ces images noir et blanc, renforçant l’atmosphère de polar qui s’en dégage. Captant son sérieux et ses aspects burlesques. Laissant sourdre de potentielles intrigues. Même approche au cœur de l’Organisation des Nations Unies où le photographe anglais, qui a pris souche à Genève, loue un petit bureau. A l’affût dans les coulisses feutrées du palais, Mark Henley témoigne, à travers son objectif, de l’actualité d’enjeux internationaux. Il immortalise les ballets «de ceux qui tirent les ficelles», escortés de leurs assistants, gardes du corps, figurants, aussi courtisés, selon les événements, par des confrères. Sa démarche, dans ce cas encore, est remarquée.
La pêche aux images
En 2014, le Britannique est en effet primé pour ses clichés sur les négociations relatives au nucléaire iranien. Des pourparlers qui se sont soldés par un accord au terme d’un long processus, suivi d’un huis clos particulièrement frustrant pour les journalistes. Mais Mark Henley sait la valeur de la persévérance. Il commence souvent à dégainer son appareil quand ses pairs le rangent. Il prend son temps. Et affirme que faire des images, c’est pareil à une partie de pêche. «Parfois ça mord. Mais c’est sans garantie. Une seule certitude: si on ne monte pas sur le bateau, on ne pourra pas ferrer de poissons. Je travaille dans le doute et l’espérance», confie le photographe, soulignant encore que son métier lui offre le privilège d’ouvrir des portes et de dévoiler ce qu’elles cachent. Cette situation l’a conduit à choyer son indépendance, gardant de facto les droits sur ses photos. Et cela même si en vivre, indique-t-il, relève du miracle. Un prodige qui dure...
Illustrer les changements
Mark Henley entame sa carrière en parcourant le globe. Il se focalise en particulier sur l’Asie où il passera plusieurs années, quittant sa patrie en 1988 à la suite de l’élection, pour la troisième fois, de Margaret Thatcher. «Je ne supportais plus», lâche le titulaire d’une licence en littérature qui, à son départ, hésitera encore entre l’écriture et la photographie. «J’ai finalement opté pour la deuxième solution, ayant le sentiment que mes textes étaient trop formatés, que j’utilisais les mots des autres.» Le natif d’Oxford démarre son périple dans le nord de l’Inde, puis voyage en Thaïlande et en Chine, une nation alors en pleine mutation, engagée dans la création d’une économie socialiste de marché. «C’était mon sujet fétiche. La Chine a changé à une vitesse incroyable et n’était à l’époque que peu couverte», note l’autodidacte qui, basé au Japon, puis à Hong Kong, multipliera les allers-retours. «Mon but: illustrer les effets des transformations économiques et sociales dans cette partie du monde, la première Bourse, l’expansion des usines, etc.» En 1998, le baroudeur dépose ses valises dans notre pays, marié alors à une journaliste suisse. Installé dans un second temps à Zurich, il collabore avec des correspondants et commence son travail sur les banques à l’éclatement de la crise financière. «Un sujet peu documenté. J’ai cherché des opportunités d’accéder à ce milieu entre assemblées générales, conférences de presse, etc. Je voulais observer cette tribu de banquiers après avoir vu les conséquences de décisions financières sur le terrain», ajoute le quinquagénaire qui, s’il a dû parfois échapper à la vigilance de la police chinoise, devra louvoyer avec les agents de sécurité helvétiques. «On m’a eu pris pour un braqueur», sourit Mark Henley.
Un puzzle aux pièces hétéroclites
Fin scrutateur de pôles décisionnels qu’il désacralise volontiers, le photographe ne limite pas sa curiosité à ce domaine. Cet optimiste prudent, croyant en l’humanité, a aussi réalisé nombre d’images sur les réfugiés et illustré la problématique des sans-abris dans l’opulente Genève. Il s’est intéressé aux lieux de culture, prestigieux ou alternatifs, durant la pandémie de Covid, suivant les artistes privés de public. Père d’un adolescent de 16 ans, il a découvert par ailleurs une autre «tribu», celle des supporters de football. Et il continue à se rendre en Inde qui le fascine. «On peut y apercevoir par exemple le long des rues d’étonnants partages de territoires dans la concentration de commerçants qui les occupent. Une nécessité d’accommodation d’existences incroyable», s’enthousiasme le passionné, se ressourçant toujours dans l’idée de la prochaine image. «C’est comme si je composais un puzzle, je suis constamment à la recherche de nouvelles pièces», note Mark Henley, craignant seulement de voir son élan freiné par de potentiels problèmes de santé ou un manque de revenus.
D’une nature timide et réservée, le Genevois d’adoption reste, sur le terrain des émotions, d’un tempérament plutôt britannique. Et cultive un sens de l’humour et de l’ironie qui trouve aussi matière à s’exprimer dans la richesse de ses images. Des albums témoignant du monde qui nous entoure et de ses recoins captés par le regard sensible, original et critique de cet inlassable et talentueux observateur...