Quand Marx s’attaque à l’empire américain

Le sociologue Christian Laval.
Avec «Marx en Amérique», première fiction du sociologue Christian Laval, le penseur allemand trouve une nouvelle dimension aux côtés des Iroquois.
Et si, en réalité, Karl Marx n’était pas mort le 14 mars 1883 à l’âge de 64 ans? Et si, avec la complicité de son compagnon de toujours, Friedrich Engels, il avait organisé de fausses funérailles pour ensuite rebondir dans une nouvelle vie, loin de sa Londres adoptive? C’est en partant de cette hypothèse quelque peu saugrenue que l’éminent sociologue français Christian Laval se tourne pour la première fois vers le registre fictionnel pour remodeler et réinventer la biographie des ultimes années du penseur né à Trèves. Avec Marx en Amérique (Ed. Champ Vallon), le philosophe – et nous avec – débarque dans le Nouveau Monde pour aller au plus près de ce qui attise depuis un certain temps sa curiosité: le quotidien des Indiens et, en particulier, celui de la confédération iroquoise et de son peuple Sénéca, implanté sur la côte est des Etats-Unis. Il quitte ainsi famille et proches pour se saisir concrètement de ce que l’anthropologue Lewis Henry Morgan (1818-1881) a décrit dans ses études au sujet des réalités autochtones.
A travers cette immersion, c’est tout un monde en perdition qui se dévoile à lui, où l’homme blanc est parvenu à conquérir par la ruse une grande partie du territoire. La soumission des Iroquois, confinés dans leurs réserves, résignés en grande partie, ou collaborant même avec le colon, irrigue les réflexions d’un Marx qui décide de se lier avec les franges les plus irréductibles. Et qui se mimétise jusqu’à raser sa barbe et ses cheveux. Au fil des années, il acquière ainsi le statut de grand sage, de maître à penser qui encourage les membres de la tribu à préserver un fonctionnement communautaire résolument démocratique et, en quelque sorte, communiste. Ce combat pour la survie de valeurs ancestrales le mènera à vivre toutes sortes d’aventures, jusqu’à l’engagement dans la lutte armée. Et enfin, en décidant de s’en aller vers le royaume des ténèbres, il suivra les rituels magiques iroquois et rejoindra Engels, mort quelque temps avant.
Le Marx tardif imaginé par Christian Laval est certes fictionnel, mais il rappelle au lecteur la curiosité toujours vivace et réactualisée qui animait le penseur réel. Une figure qui n’a cessé de remettre en discussion et de reformuler ses théories et qui, dans les dernières années de sa vie, a élargi l’horizon de ses interrogations.
«Marx en Amérique», de Christian Laval, Ed. Champ Vallon, 2025, 361 p.