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«Pour sauver la planète, il faut arrêter avec la finance casino»

Dés et billets de banque.
Pixabay.com

La finance casino est un système hautement instable caractérisé par des paris et des dettes, qui ne cesse de prendre de l’ampleur.

Guerres, destructions environnementales, inégalités, montée de l’extrême droite: le monde est en crise et l’une des causes est la croissance de la finance spéculative. C’est ce qu’analyse l’économiste suisse Marc Chesney dans son dernier ouvrage. Entretien.

Marc Chesney, au début de votre livre, on retrouve une reproduction du Cri, du peintre norvégien Edvard Munch. Que représente ce cri?

Mon livre est un cri d’alarme face aux catastrophes, qu’elles soient passées, présentes ou à venir si rien n’est entrepris. Analyser la situation et réfléchir aux solutions permet de faire régresser le sentiment d’impuissance ou l’angoisse qui nous assaille.

 

Vous faites une analyse critique de la finance casino. Pouvez-vous d’abord nous expliquer ce qu’est cette finance casino et comment elle s’est développée dans les dernières années?

La finance casino est un système hautement instable caractérisé par des paris et des dettes, qui ne cesse de prendre de l’ampleur, et dont les risques, à partir d’un certain niveau, sont assumés par le contribuable. Effectuer des montages tant douteux que complexes, et placer à grande vitesse des mises, dans le cadre de marchés financiers dérégulés et manipulés, sont d’autres caractéristiques saillantes de la finance casino. Celle-ci pompe des capitaux en provenance de secteurs dits productifs, pour les transformer en mises pour ses paris démesurés ou en gages pour ses opérations douteuses. 

portrait de Marc Chesney

Marc Chesney

 

Vous consacrez un chapitre à l’affaire Credit Suisse. Quels sont les éléments qui vous ont le plus choqué, dans cette affaire qui a débouché en 2023 sur la disparition de la deuxième plus grande banque suisse?

Credit Suisse (CS) était un acteur majeur de la finance casino. Dans le contexte chaotique de cette finance débridée, certains établissements sortent gagnants de ces parties de poker menteur à grande échelle, d’autres coulent. De manière générale, les directions de ces institutions se remplissent les poches, et le commun des mortels pâtit de ces malversations en passant à la caisse d’une manière ou d’une autre. C’est extrêmement choquant et la faillite de CS illustre cette situation.

Ce qui est aussi déplaisant dans ce cadre est l’incapacité ou l’incompétence d’une élite politique et d’autorités dites de régulation, qui ont laissé faire pendant douze ans en faisant adopter en 2011 une loi dite «too big to fail», supposée prévenir la défaillance d’une banque d’importance systémique, et qui n’aura finalement pas été utilisée... Au-delà de la chute de CS, il s’agit ainsi de la faillite d’un système de finance casino, de celle d’une élite politique qui a «pudiquement» détourné le regard sans oublier celle du monde académique dans ce domaine, qui, trop souvent, a fait preuve d’une complaisance déplacée vis-à-vis des grandes institutions financières.

 

Aujourd’hui, on constate une augmentation incroyable de la concentration des richesses. Comment la financiarisation et la digitalisation de l’économie ont accru les injustices sociales?

Cette concentration est principalement due à la conjonction de deux phénomènes: la financiarisation et la digitalisation de l’économie, caractéristiques de l’actuel néolibéralisme dans sa version libertarienne. Le premier soumet l’économie et la société aux intérêts d’un secteur financier en roue libre, dominé par les Banques centrales, des sociétés de gestion d’actifs, dont BlackRock est le navire amiral, les banques systémiques et la finance de l’ombre avec ses fonds spéculatifs les plus puissants. Chaque composante joue son rôle dans ce processus d’assujettissement du plus grand nombre. Les Banques centrales injectent, chaque fois que nécessaire, et en particulier pendant la crise de 2008, des volumes énormes de liquidités dans les marchés financiers, pour éviter un effondrement brutal du système. 

Le second phénomène explicatif de cette concentration sans précédent de richesses est la digitalisation de l’économie. Ce processus, qui résulte des progrès de l’informatique, d’internet et de l’intelligence artificielle en particulier, a pour conséquence une destruction de postes de travail qui s’accentue, au regard de leur création. Dans de nombreux domaines d’activité, le travail de l’homme est ainsi remplacé à grande échelle par la machine ou l’algorithme. La digitalisation de l'économie devrait générer du temps libre, dans une société bien organisée et durable. Au contraire, dans le cadre néolibéral, elle accroît la misère, la précarité et le sous-emploi – puisque les chômeurs sont souvent transformés en travailleurs pauvres –, voire le chômage.

«La guerre est un business, elle est consubstantielle au capitalisme, en particulier dans sa version libertarienne»
Marc Chesney

 

L’état actuel du monde est dramatique: guerres, crises environnementales et l’arrivée au pouvoir de ce que vous appelez l’extrémisme libertarien avec son commandant en chef Donald Trump. Pourquoi et quand la démocratie a fait faillite? Comment la démocratie peut-elle fonctionner avec ces oligarques qui n’hésitent devant rien pour augmenter leur richesse et leur pouvoir?

La finance casino et l’extrémisme libertarien sont incompatibles avec la démocratie. Ces derniers temps, nous avons assisté à un spectacle pitoyable, à une soumission anticipée de dirigeants européens, y compris suisses, qui n’avaient cessé de complaire non pas à la population, mais au roi Donald, de lui faire une «offre plus attrayante», avec l’achat de plus d’armes, de pétrole, de gaz liquéfié… A l’heure où des tyrans sanguinaires et demeurés sont mis sur un piédestal médiatique, la démocratie est plus virtuelle que réelle. L’extrême droite et la version libertarienne du capitalisme tiennent le haut du pavé. Elles véhiculent un langage simpliste, violent, raciste et abject, avec ses Donald Trump, Elon Musk, Javier Milei…, des individus dont le positionnement les place à la confluence entre néofascisme et affaires douteuses, voire mafieuses. On retrouve ici le thème de la pièce de Bertolt Brecht, La résistible ascension d'Arturo Ui, parabole de la prise de pouvoir d'Adolf Hitler, transposée dans le milieu du crime organisé. 

 

La guerre est donc consubstantielle au capitalisme et au néolibéralisme? 

La guerre est un business, elle est consubstantielle au capitalisme, en particulier dans sa version libertarienne. La paix éventuelle est une parenthèse entre deux conflits. Les destructions en tous genres, les bombardements et massacres de civils, comme ceux perpétrés sous les ordres de Benjamin Netanyahu et de son gouvernement d’extrême droite ultranationaliste, dans la bande de Gaza, sont monnaie courante. Le terrorisme d'Etat et les attentats terroristes font partie de l'inquiétant contexte actuel. La guerre en Ukraine illustre elle aussi les innombrables sacrifices humains requis par le système actuel. L’économie conventionnelle se focalise entre autres sur le PIB et sa croissance, sur la production d’un système qui, en réalité, détruit à grande échelle et bien plus qu’il ne produit. 

Quels sont les risques pour nous, êtres humains, liés à cette situation?

Tous les signaux vitaux sont au rouge: réchauffement climatique, perte de biodiversité, pollution à grande échelle, injustices sociales insupportables, aveuglement d’une oligarchie cynique et extrémiste, conflits armés permanents et risques de guerre mondiale. La liste est édifiante. Le capitalisme libertarien est moribond et nous entraîne dans sa chute. En continuant en roue libre sur sa trajectoire, cette machine folle va, par la force des choses, devoir un jour s’arrêter, faute de combustible humain. Elle implosera, dès lors qu’elle aura marchandisé et détruit la vie sur terre de manière irrémédiable, c’est-à-dire lorsqu’un des seuils suivants sera atteint: dès que la pollution de l’air sera trop forte pour respirer convenablement, ou que sa contamination et celle de l’eau ou de la terre sera trop élevée pour permettre à la vie de se développer, à partir du moment où la chaleur ambiante et la sécheresse deviendront tellement insupportables qu’elles nuiront considérablement tant à la santé qu’au travail, et auront considérablement réduit la production agricole, ou lorsque la perte de biodiversité causera des pandémies à répétition. 

Article paru dans le journal Area.

 

Marc Chesney, «Stop. Alarme contre la finance casino et la marchandisation du vivant», Editions d’En Bas, 2025, 144 p.

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