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Pas de blanc-seing pour les multinationales

Promotion des droits humains et du respect des normes environnementales ou indifférence face aux modèles d’affaires immoraux d’entreprises domiciliées en Suisse: il appartiendra finalement au peuple de trancher, probablement en novembre. Après l’interminable saga entourant l’initiative pour des multinationales responsables déposée en 2016 déjà, entre refus d’entrée en matière du Conseil fédéral, contre-projet de la Chambre basse, ping-pong parlementaire, énième version, la mouture de base s’est transformée en un texte-alibi vidé de toute substance. Une proposition émanant des sénateurs sous l’influence du puissant lobby des multinationales, Economiesuisse et Swissholdings, qui a dicté sa loi. Un compromis irrecevable pour la coalition de 120 ONG et associations diverses dont les syndicats, à l’origine de la démarche. Une large alliance qui bénéficie encore du soutien d’un comité bourgeois réunissant 190 élus et d’un autre formé d’un nombre similaire d’entrepreneurs ainsi que des Eglises. Comme quoi l’idée de base relève de l’évidence, suscitant l’adhésion de différents camps, au-delà des clivages traditionnels.

L’initiative a pourtant été balayée, même dans sa variante diluée par le Conseil national – jugée néanmoins acceptable par les initiants – au profit d’un tigre de papier. Un texte qui se borne à demander aux sociétés de publier annuellement un rapport sur leur politique dans le domaine des droits humains. Une brochure sur papier glacé à bien plaire sans mesures contraignantes. Autant dire un blanc-seing permettant aux groupes les moins scrupuleux et à leurs filiales de polluer air, cours d’eau et sols ou de fermer les yeux sur le travail des enfants, en toute impunité. De porter préjudice à des communautés et à leurs lieux de vie, dans l’incapacité de se défendre face à des géants étrangers qui n’ont d’autres règles que la maximalisation de leurs profits. Et ce qu’elles que soient les conséquences de leurs business, entre extraction minière à l’origine de graves dégâts écologiques, commercialisation de pesticides interdits dans nos frontières en raison de leur dangerosité, expulsion de populations locales ou encore conditions de travail indignes dans l’industrie textile... Mais le peuple suisse pourra, demain, en décider autrement et corriger le tir. Exiger des maisons-mères qu’elle examinent les effets de leurs activités et répondent d’éventuels dommages, y compris des entreprises qu’elles contrôlent. Donner la possibilité aux victimes de porter plainte devant la justice suisse. En bref, défendre des valeurs qui ne sauraient s’arrêter aux frontières du pays. Et alors que les sociétés intègres n’auront rien à craindre de cette pratique. Bien au contraire puisqu’elle mettra aussi un frein à la concurrence déloyale.

Du coup, la position indéfendable des opposants qui ont tout fait pour torpiller le projet pourrait bien se retourner contre eux. Et ce malgré les millions qu’ils ne manqueront pas d’investir dans une campagne promettant d’être agressive, en arguant sur des pertes d’emplois et d’attractivité de la place économique. Au détriment de toute éthique. Comme si les vies, ailleurs, comptaient moins. Et alors que l’Union européenne travaille aussi à un projet de loi. Mais le vent pourrait bien avoir déjà tourné: selon un récent sondage réalisé par l’institut Link, 78 % des citoyens estiment juste de réclamer des comptes aux multinationales. Une large approbation qui devra être confirmée dans les urnes pour une idée tombant sous le sens.