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Montblanc attaque des syndicalistes italiens en justice

Action de protestation
©Sudd Cobas

Dans sa récente enquête*, Public Eye révèle un nouveau rebondissement dans le conflit social chez Montblanc, dans l’industrie textile, entre la Suisse et l’Italie. Rappelons brièvement les faits: la marque Montblanc, qui propose des stylos et des montres de luxe, ou encore des bijoux et des pièces de maroquinerie, appartient au groupe suisse Richemont. Pour les sacs et autres porte-monnaies, la «maison» Montblanc les fait fabriquer en Italie, à Florence plus précisément, capitale historique de la maroquinerie européenne. Notamment chez Z Production, un fournisseur de Richemont. Public Eye rencontre deux de ses ouvriers originaires du Pakistan et comprend rapidement que les conditions de travail n’y sont, elles, pas luxueuses… La plupart des 70 employés sont originaires du Pakistan, d’Afghanistan ou de Chine et sont au bénéfice de contrats de travail d’«apprentis à temps partiel» de 30 heures par semaine. La réalité est en fait toute autre. «On devait travailler jusqu’à 8h du soir, soit douze heures par jour, avec une demi-heure de pause seulement et ce, six jours par semaine, dénonce l’un des ouvriers. On ne pouvait pas non plus prendre des vacances.» Les heures qui dépassaient celles prévues par le contrat étaient rémunérées à hauteur de quelques centaines d’euros en liquide, informe Public Eye, mais après d’autres déductions, son salaire s’élevait à 900, voire 1000 euros par mois. Soit environ 3 euros l’heure. Ça, c’était en 2019. Quelques années plus tard, ils sont treize travailleurs à décider de ne plus se laisser faire et poussent la porte du jeune et vindicatif syndicat Sudd Cobas, près de Florence. Des actions syndicales sont menées. En 2023, un accord est signé entre l’entreprise et les représentants des travailleurs, qui comprend un temps de travail réglementé, un droit aux congés et un salaire décent. Le soulagement sera de courte durée, car Richemont résilie son contrat avec Z Production, et les employés sont licenciés.

Justice saisie

Si le groupe justifie sa décision en expliquant que Z Production avait à plusieurs reprises enfreint le code de conduite de Richemont pour les fournisseurs et assure ne rien savoir du conflit social précédent, Sudd Cobas estime qu’il est impossible que Richemont n’ait pas été au courant… Le syndicat se mobilise de nouveau pour négocier péniblement le reclassement des travailleurs, ce qui est partiellement obtenu, Richemont estimant que les fournisseurs sont des «entreprises indépendantes» et qu’il leur revient «entièrement de décider qui ils veulent embaucher ou licencier». La bataille n’est pas gagnée et les emplois sont sans arrêt menacés. En 2024, Sudd Cobas décide de s’allier à d’autres syndicats et aux membres du réseau international Clean Clothes Campaign (CCC), dont Public Eye fait partie, pour organiser une journée de protestation internationale. Des actions ont lieu devant les boutiques Montblanc de plusieurs villes italiennes, mais aussi à Berlin, Lyon, Zurich, Genève et Bâle, avec pour slogan: «Made in Italy? Shame in Italy!»

Ces actions largement relayées dans les médias ne plaisent pas à Montblanc, qui engage en janvier dernier des poursuites judiciaires à l’encontre de Sudd Cobas et demande d’interdire sur le champ aux syndicalistes de manifester devant ses magasins. «Cette requête est anticonstitutionnelle, et aucune instance privée n'avait tenté d'obtenir ce type de décision de justice en Italie depuis les années 1970, avait alors dénoncé la militante syndicale Francesca Ciuffi. L’entreprise exige ainsi que le droit de faire des profits prime sur le droit de manifester.» 

Réputation ternie

En parallèle, elle et deux autres militants, sont poursuivis pour diffamation et coercition. «Comme l'indique la plainte, Montblanc s’offusque que son nom soit associé aux conditions de travail imposées par l’un de ses fournisseurs», souligne Public Eye.

L’entreprise annulera sa demande d’interdiction de manifester, mais ne retirera pas sa plainte pénale contre les membres de Sudd Cobas. Interrogé par Public Eye, Richemont répond que «ces personnes mènent une campagne de diffamation contre Montblanc», basée sur les déclarations «d’un tout petit nombre d’anciens travailleurs». Elles exploiteraient la fin de la relation commerciale avec Z Production pour «nuire à la réputation de Montblanc, tant en Italie qu’au niveau international».

Pour l’ONG, «le fait qu’une entreprise faisant partie de la galaxie Richemont porte plainte contre les personnes qui s’engagent en faveur des droits de travailleurs qui ont été exploités pendant des années dans la fabrication de ses produits, plutôt que de les soutenir et trouver une solution, détonne avec l’image d’entreprise socialement responsable que le groupe cherche à se donner». 

De leur côté, les syndicalistes ont décidé de riposter et de porter plainte contre Z Production mais aussi contre Richemont pour contester les licenciements au nom de six travailleurs lésés. Obtenir gain de cause serait une immense victoire pour Sudd Cobas, insiste Public Eye. «Si un tribunal concluait que le groupe est directement responsable des conditions de travail en vigueur chez ses fournisseurs, cela créerait un précédent pour l’ensemble de la région de production de Florence et au-delà.» En attendant un procès qui pourrait durer des années, les ouvriers sont au chômage et à la recherche d’un emploi décent dans le secteur… 

Pour en savoir plus sur cette enquête

Des pratiques peu luxueuses

Conclure des contrats d’apprentissage avec les employés, alors que ces personnes travaillent en réalité des semaines complètes, lesquelles ne sont pas rémunérées comme le prévoit la loi: il paraîtrait que Z Production n’est pas la seule entreprise à agir de la sorte. Un rapport d’Abiti Puliti sur le secteur de la mode et du luxe en Italie dénonçait déjà en 2014 une pratique très répandue en Toscane et ailleurs. «Lors de nos recherches, nous avons pu constater que le secteur du luxe recourt aux mêmes pratiques que la fast fashion, explique Deborah Lucchetti, l’une des auteures de ce rapport, qui a également participé à une étude de la CCC de 2023 sur l’industrie de la mode en Europe. «Les fournisseurs sont mis sous pression, encouragés à violer la loi et les conventions collectives de travail pour faire baisser les coûts. Comme ils ne touchent pas assez d'argent pour pouvoir couvrir tous les frais – à commencer par les coûts de travail et de sécurité – ils ont recours à des sous-traitants. Cette situation est d’autant plus révoltante au vu des prix exorbitants des articles de luxe. C’est exactement ce que nous avons constaté avec Montblanc.» 

Ces cas d’exploitation de la main-d’œuvre n’étant un secret pour personne dans cette industrie et dans cette région d’Italie, Public Eye estime que Richemont «aurait donc dû se montrer vigilant». 

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