Tragique récurrence. En cette période estivale propice à la navigation, les drames de l’exil en Méditerranée se répètent, dans l’indifférence générale ou presque. Le 26 juillet encore, succédant à plusieurs naufrages récents, une nouvelle embarcation de fortune sombrait, entraînant la mort de 60 personnes dont une vingtaine de femmes et des enfants. L’Organisation internationale des migrations a évalué à au moins 1146 le nombre total de migrants disparus en mer au cours du premier trimestre. Dangerosité des routes maritimes mais aussi des pays de transit, en particulier de la Libye, devenue une plaque tournante des trafics humains et un carrefour majeur vers les rêves européens.
Le mois dernier, Amnesty International publiait un rapport terrifiant sur les conditions de détention de réfugiés retenus dans des centres de cet Etat en proie au chaos. Viols, travail forcé, violences sexuelles, sévices en tous genres, etc., résument le quotidien de ces prisonniers stoppés avant d’avoir pu tenter la traversée ou interceptés au large des côtes libyennes. Des arrestations menées avec l’aide inique de l’Union européenne qui continue à fournir une assistance matérielle aux gardes-frontières de ce pays. Entre janvier et juin passés, ceux-ci ont fait exploser les statistiques de leurs opérations de «secours»: quelque 15000 migrants ont été reconduits en Libye, chiffre Amnesty, plus que durant toute l’année 2020. Parallèlement, l’Ocean Viking, le bateau de sauvetage de SOS Méditerranée – aidé depuis ce mois par la Fédération des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge – continue inlassablement à sillonner l’immense cimetière marin en vue de porter secours aux rescapés. Solidarité exemplaire vitale alors que la Forteresse Europe poursuit invariablement sa politique de surveillance et de verrouillage des frontières extérieures à coup de milliards. Une manne investie dans l’agence Frontex, bien qu’épinglée à plusieurs reprises pour ces refoulements illégaux, et dans des Etats tampons, sollicités pour contenir les arrivées.
Cette sous-traitance meurtrière et inepte est dictée par l’absence de stratégie commune de l’UE en matière d’accueil des réfugiés et son incapacité à convaincre les pays les plus rétifs à participer à ce devoir de solidarité. A l’image du Danemark qui, en juin dernier, est allé même jusqu’à adopter une nouvelle loi l’autorisant à ouvrir des centres pour candidats à l’asile dans des Etats du Sud. Même en cas d’acceptation de leur requête, ces demandeurs n’auront pas le droit de s’installer dans le riche royaume nordique. Cynique politique du zéro réfugié et instrumentalisation de la thématique à des fins électorales. La Suisse n’est pas en reste, participant elle aussi à l’effort Frontex et attendue en vain sur une acceptation plus large d’exilés croupissant dans des camps en Grèce... Rien de nouveau au final dans ce dossier où le nombre croissant de morts n’ébranle plus depuis longtemps les consciences. Naufrage des droits humains... Il serait pourtant possible d’ouvrir des routes d’accès sûres aux migrants. D’investir les budgets pharaoniques consacrés à les refouler dans des programmes d’intégration. De créer des canaux distincts d’immigration liés au travail – le Vieux-Continent a toujours eu besoin du renfort de la main-d’œuvre étrangère – de ceux d’une procédure d’asile aujourd’hui dévoyée.
Mais que pèsent ces existences anonymes dans la balance des égoïsmes respectifs et de prétendues bonnes raisons de les maintenir à distance? Qui se soucie de ces désespérés arrachés à leur terre par les conflits, les violences ou la misère, tentant le tout pour le tout au péril de leur vie? Devoir poser la question, c’est hélas y répondre...