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L'OMS doit divorcer du lobby nucléaire

L'OMS est pieds et poings liés au lobby de l'atome. Depuis 4 ans, un piquet de protestation se tient devant l'organisation

Il y a 25 ans, le 26 avril 1986, le cœur de la centrale nucléaire de Tchernobyl fusionnait, entraînant une catastrophe aux conséquences largement minimisées par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Aujourd'hui, les événements de Fukushima posent avec encore plus d'acuité la question de l'indépendance de cette institution. C'est en effet la seule institution internationale publique qui pourrait faire contrepoids au lobby nucléaire. Mais elle se trouve prise dans les filets de l'AIEA, l'association des Nations Unies pour la promotion de l'atome...


Tchernobyl: près d'un million de morts, d'après une étude publiée en janvier par l'Académie des sciences de New York. Moins de 10000 victimes, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Comment expliquer cette divergence d'évaluation? «L'OMS ne fait pas son travail parce qu'elle ne peut rien faire ou dire sans l'aval de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), le lobby du nucléaire des Nations Unies, avec lequel elle a signé un accord en 1959», explique Eric Peytremann, membre de l'association pour l'indépendance de l'OMS. Pour dénoncer cette alliance contre nature et exiger sa rupture, le collectif a mis sur pied depuis le 26 avril 2007 un piquet de protestation juste devant le siège de l'OMS à Genève. Ces «vigies d'Hippocrate», qui font référence au serment de déontologie des médecins, ont lieu tous les jours ouvrables de 8h à 18h, banderoles et pancartes à l'appui. Le personnel de l'OMS et ses visiteurs ne peuvent les ignorer. Plusieurs associations locales et internationales soutiennent ce piquet, comme Contratom, Criirad, Sortir du nucléaire, Mouvement des peuples pour la santé, ainsi que les partis de gauche genevois.

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Pour organiser cette présence continuelle - qu'il neige, qu'il pleuve ou que la canicule s'abatte sur les participants - le collectif a recours à un réseau d'environ 300 sympathisants, principalement en France et en Suisse. Le 12 avril dernier, un jour parmi d'autres, ils étaient quatre à tenir le siège, dont deux hommes-sandwichs, en plus du militant genevois Eric Peytremann venu les soutenir. Tous ont fait le déplacement depuis le même village du département français voisin de l'Isère, Saint-Antoine l'Abbaye, pour trois jours. L'un des couples est là pour la troisième année consécutive: «J'avais entendu parler de cette action et je me suis dit, voilà une cause pour laquelle il vaut la peine de s'engager. J'ai du temps libre et j'ai pas envie de me coltiner les CRS (la police antiémeute française, ndlr) dans certaines manifestations», explique Christine, la cinquantaine. Son mari, Michel ajoute: «Cette année, je sens que les gens sont quand même plus inquiets avec la catastrophe de Fukushima.» Il se dit consterné, mais pas surpris, que l'OMS ait déclaré le 15 mars que «le risque de cet accident nucléaire pour la santé est faible», alors qu'elle n'a pas d'expert sur place. Le classement de l'accident nucléaire au niveau 7 sur l'échelle INES, la plaçant au même niveau de gravité que la catastrophe de Tchernobyl, n'a pas déstabilisé l'OMS, qui a alors déclaré que les risques «ne sont pas plus élevés aujourd'hui qu'hier».

Scientifiques russes en appui
Plusieurs personnalités sont venues soutenir les vigies de l'OMS. Comme Danièle Mitterrand, Rémy Pagani, conseiller administratif de la ville de Genève et plusieurs scientifiques de renom. Parmi eux, Alexey Yablokov, écologue russe et Vassili Nesterenko, physicien Biélorusse. Ces derniers sont les coauteurs du plus vaste recueil scientifique jamais réalisé sur les effets de la catastrophe de Tchernobyl et dont la traduction en anglais a été publiée en janvier par l'Académie des sciences de New York*. Vassili Nesterenko est décédé en août 2008, quelques mois à peine après sa visite auprès de la vigie devant l'OMS. Ce scientifique, qui avait de très hautes fonctions en Biélorussie, avait été l'un des premiers à survoler la centrale de Tchernobyl en feu à bord d'un hélicoptère en 1986, juste après la catastrophe survenue le 26 avril. Ses trois compagnons de bord sont décédés dans les années suivantes des suites des irradiations qu'ils avaient subies. Lui seul avait survécu jusqu'alors. Il faisait partie des 830'000 liquidateurs qui étaient intervenus pour sécuriser la centrale après l'accident... Entre 112'000 à 125'000 sont décédés de 1986 à 2004 selon le même recueil scientifique. Ce bilan a sans doute enflé depuis lors.

Fukushima détonateur?
Aujourd'hui, le collectif pour l'indépendance de l'OMS espère que son action portera ses fruits au sein de l'institution. Une rencontre avec des représentants de l'OMS s'est tenue en 2009 lors de laquelle ces derniers avaient proposé la tenue d'un forum commun pour comparer les études et les chiffres respectifs. Mais l'idée ne semble pas avoir plu en haut lieu car il n'y a eu aucune suite malgré les nombreuses relances du collectif.
Aucun Etat membre de cette institution des Nations Unies n'a encore proposé d'amender l'accord qui la lie trop étroitement à l'AIEA, malgré les lettres que les militants ont envoyées aux missions des différents Etats auprès de l'ONU. Fukushima donnera-t-il le courage à certains pays de s'attaquer au puissant lobby nucléaire?


Christophe Koessler

*Alexey, Yablokov, Vassili Nesterenko et Alexey Nesterenko, «Chernobyl: consequences of the catastrophe for people and the environment», Annals of the New York Academy of sciences, vol.1181, Wiley,-Blackwell, 2010.

De nombreuses informations se trouvent sur le site internet du collectif: www.independentwho.info


Non-assistance à populations en danger
«Nous accusons l'OMS de complicité dans la dissimulation des conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, mais aussi de non-assistance à populations en danger». Alison Katz ne décolère pas de constater que l'organisation pour laquelle elle a travaillé pendant 18 ans continue de minimiser les effets cet accident nucléaire majeur sur la santé des populations touchées. Aujourd'hui membre de l'association pour l'indépendance de l'OMS, elle participe régulièrement à la vigie de protestation devant l'institution. «L'OMS donne une sorte de label santé aux études biaisées de l'AIEA. C'est un crime scientifique!», insiste-t-elle. L'accord de 1959 qui lie les deux institutions est très clair, son troisième paragraphe ne lui laisse guère de marge de manœuvre: «Chaque fois que l'une des parties se propose d'entreprendre un programme ou une activité dans le domaine qui présente ou peut présenter un intérêt majeur pour l'autre partie, la première consulte la seconde en vue de régler la question d'un commun accord.» Dans les faits, cette disposition a permis à l'AIEA de tenir l'OMS sous son joug, estime Alison Katz.
Le retour à l'indépendance pour l'OMS s'impose donc pour que l'organisation puisse remplir les missions qui lui sont confiées. Ce qui signifie refonte ou une abrogation de l'accord avec l'AIEA: «Cela lui permettrait de mener une évaluation sérieuse et scientifique, et par conséquent d'apporter une aide appropriée aux personnes contaminées.» Aujourd'hui, selon Alison Katz, l'OMS ne dispose même pas d'une unité d'études sur les radiations nucléaires, même si elle compte quelques spécialistes. Demander l'avis de cette organisation sur ce point serait un peu comme s'adresser à une coquille vide, qui fait raisonner les paroles du lobby nucléaire...

CK