«L’esprit de Schwarzenbach est encore là, il nous opprime»
Des associations de migrants lancent un Manifeste contre l’initiative xénophobe de l’UDC, soumise au vote le 27 septembre prochain, et pour une Suisse ouverte et solidaire
«La solidarité au lieu de l’exclusion». C’est le titre du Manifeste adopté par plusieurs dizaines d’associations de migrants le 29 août à Berne lors d’une rencontre à laquelle ont participé la Commission migration d’Unia et des membres d’autres organisations représentant la majeure partie des communautés vivant en Suisse. Cette rencontre avait été organisée autour des préoccupations soulevées par l’initiative de résiliation de l’UDC. Etaient présents également Vania Alleva, présidente d’Unia, et Fabian Molina, conseiller national socialiste zurichois. Symbolisant la place occupée par les migrants dans notre pays, une fresque murale, qui sera installée dans les locaux de la centrale d’Unia, a été réalisée par des participants.
Le Manifeste des associations de migrants, qui sera diffusé largement sur les réseaux sociaux, appelle à rejeter massivement l’initiative de l’UDC. Il souligne que, sans les étrangers, la Suisse d’aujourd’hui ne serait pas ce qu’elle est. Et alerte sur les dangers d’une politique basée sur l’exclusion, la discrimination et le racisme telle que prônée par les politiciens populistes. «Ce qu’ils veulent, c’est revenir à une époque où la main-d’œuvre était flexible et bon marché, où les travailleurs étaient entassés sans droits dans des baraques et séparés de leurs familles», note le Manifeste pointant du doigt le «véritable objectif» de l’initiative: «Au lieu de la protection des salaires et de l’égalité des droits, elle veut revenir au statut inhumain de saisonnier et donner le champ libre aux entreprises de dumping et aux profiteurs. Avec de nombreux salariés bon marché et sans droits qui travaillent dur et ne peuvent pas se défendre.»
Les auteurs du Manifeste ajoutent qu’avec la libre circulation, tous les citoyens de l’UE, de l’AELE et tous les Suisses – ils sont plus de 450000 à vivre ou à étudier en Europe – peuvent décider librement de l’endroit où ils souhaitent travailler et y faire venir leur famille. Des droits humains et l’égalité de traitement sont garantis à tous par la libre circulation, soulignent-ils. Le Manifeste appelle à lutter tous ensemble pour faire face aux défis à venir et empêcher l’UDC de priver les migrants de leurs droits et de détériorer ceux de tous les salariés du pays. Critiquant la vision rétrograde et xénophobe de l’UDC, les associations s’opposent «fermement à cette attaque contre nos droits communs» et défendent le principe de «l’égalité des droits pour toutes et tous».
Pressions des services de la population
Marília Mendes, secrétaire pour la migration à Unia, revient sur les raisons qui ont poussé les associations d’immigrés, notamment celles des Italiens, qui ont encore en mémoire les années sombres des initiatives contre la «surpopulation étrangère» du nationaliste James Schwarzenbach, à adopter ce Manifeste. Rappelons que la première initiative Schwarzenbach avait été refusée il y a juste 50 ans, le 7 juin 1970, et la seconde quatre ans plus tard. D’autres textes attaquant les étrangers et leurs droits ont vu le jour par la suite, portés par la droite xénophobe. «Dans les discours de l’UDC, explique la syndicaliste, les migrants sont “le problème”, mais le problème ce n’est pas les migrants, c’est le capitalisme, le néolibéralisme. Nous ne voulons plus être les boucs émissaires de cette propagande et des attitudes xénophobes qu’elle engendre. L’esprit de Schwarzenbach est encore là, il nous opprime.» Marília Mendes précise qu’il ne s’agit pas seulement d’un sentiment, mais d’une réalité vécue par les migrants, confrontés au durcissement de la Loi sur les étrangers et à des pressions inacceptables de certains services cantonaux de la migration. «Beaucoup de ces offices interprètent la loi de manière abusive et tardent par exemple à délivrer un permis alors que la personne y a droit. Des brimades, des actes et des abus de pouvoir alimentent le sentiment que l’on n’est pas les bienvenus en Suisse, bien qu’on soit partie intégrante de ce pays et qu’on lui apporte beaucoup. Certains n’ont pas conscience qu’il s’agit là d’une conséquence de ce discours xénophobe omniprésent. Les autorités de migration utilisent ce pouvoir pour nous dire: “Restez à votre place.” En Valais, comme à Zurich par exemple, cette attitude est très fréquente et conduit à des situations intolérables pour ceux qui les subissent», s’indigne la syndicaliste d’origine portugaise.
Quelle Suisse voulons-nous?
«Avec ce Manifeste, nous revendiquons que l’on reconnaisse nos droits, notre contribution, poursuit Marília Mendes. Et nous demandons: quelle Suisse les citoyens de ce pays veulent-ils? Une Suisse ouverte, dont les migrants font entièrement partie? Ou une Suisse fermée et obscure, comme celle que voulait Schwarzenbach? Cette question nous concerne tous, Suisses et étrangers. C’est pourquoi les associations se mobilisent. C’est très important de savoir quelle société nous souhaitons. Nous, les migrantes et les migrants, ne voulons plus accepter que ce débat soit laissé à la droite et que ce soit toujours aux autres de parler de nous. Nous voulons être sujets de ce débat et notre voix doit être écoutée.»
Le manifeste s’engage ainsi «pour une Suisse ouverte, solidaire et respectueuse» en lieu et place de la xénophobie et de l’exclusion; pour la «sécurité du séjour, le droit au respect de la vie familiale, la liberté de mouvement et d’établissement et l’égalité de traitement pour toutes et tous», au lieu d’une politique hostile aux migrants; et, enfin, «pour la justice sociale et de bonnes conditions de travail pour toutes et tous» plutôt que la défense des intérêts de quelques-uns.
Le manifeste peut être téléchargé sur: unia.ch