Jean Ziegler, sociologue et ex-parlementaire publie, à l’âge de 90 ans, un nouvel ouvrage dans lequel il estime que face à la faim, à la guerre et aux inégalités, il faut miser sur la convergence des luttes.
La faim dans le monde reste le plus grand malheur de l’humanité. Comme le souligne Jean Ziegler, sociologue, ancien député socialiste au Conseil national, premier rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, la famine et la malnutrition gagnent du terrain. Cette situation se produit alors que pour la première fois dans l’histoire du monde, note l’auteur de Où est l’espoir? (Seuil 2024), le problème de l’alimentation ne se pose plus en termes d’insuffisance de la production, mais d’impossibilité, pour des milliards d’êtres humains, d’accéder aux biens vitaux par manque de moyens financiers.
Un enfant meurt de faim toutes les cinq secondes
Jean Ziegler estime que toutes les cinq secondes, un enfant de moins de 10 ans meurt de la faim sur une planète qui regorge de richesses, alors que, sur les 71 millions de personnes qui ont quitté le monde en 2022, 13% sont, elles aussi, mortes de la faim. Dans la même logique, les inégalités entre riches et pauvres s’aggravent, meurtrières, source de colère et de désespoir. Tout aussi inquiétant, de nombreux pays européens bafouent le droit d’asile.
Une planète en guerre
La question de l’alimentation est en partie liée à celle des guerres. Pour prendre un exemple, l’agression russe en Ukraine a fait exploser les prix du blé, de l’orge et du seigle, alors qu’en raison du bombardement des ports de la mer Noire par la Russie, 20000 à 25000 tonnes de céréales étaient bloquées dans les silos ukrainiens. La guerre en Ukraine a bien sûr d’autres aspects tragiques, en particulier la mort de plus d’un million de personnes, russes et ukrainiennes confondues. Le bilan est également meurtrier au Proche-Orient, où la guerre entre Israël et le Hamas avait fait 50000 morts à fin 2024, dont l’immense majorité sont des ressortissants de Gaza. A cela s’ajoutent les guerres «oubliées»: Congo, Soudan, Somalie, etc.
Supprimer le droit de veto à l’ONU
Jean Ziegler formule plusieurs pistes pour faire face à ces désastres. Considérant la «faillite» des Nations Unies, il prône une profonde réforme du Conseil de sécurité de l’ONU. Aujourd’hui, les cinq membres permanents (Chine, Russie, Etats-Unis, Royaume-Uni, France) de cette instance onusienne disposent d’un droit de veto, qui empêche très souvent la communauté internationale d’intervenir dans tel ou tel conflit. «En Syrie, à Gaza, en Ukraine, au Sahel, écrit le sociologue genevois, des milliers et des milliers d’êtres humains sont ainsi massacrés chaque jour et chaque nuit. Paralysée, l’ONU assiste passivement à ces horreurs.» A juste titre, Jean Ziegler propose par conséquent de supprimer le droit de veto des grandes puissances.
Société civile planétaire
Jean Ziegler assène quelques autres vérités. Il note que, depuis 1989, l’impôt sur les sociétés a été coupé en deux dans les pays riches, pour le plus grand profit des milliardaires. En parallèle, les salaires d’au moins 1,7 milliard d’êtres humains n’ont pas suivi l’inflation en 2022. Et aussi que la fortune de Bernard Arnault, l’un des hommes les plus riches de la planète avec 179 milliards d’euros, correspond à celle cumulée de plus de 20 millions de Français.
Dans ce contexte, Jean Ziegler pense que la gauche ne doit pas s’obstiner à viser la conquête du pouvoir d’Etat. Elle doit miser sur «un nouveau sujet de l’histoire en train de naître: la société civile planétaire». A savoir le mouvement altermondialiste, la lutte pour la liberté des femmes, comme en Iran, ou les révoltes contre les pouvoirs établis impulsées par des minorités ethniques, comme en Equateur. C’est la convergence de ces mouvements qui redonnera de l’espoir. Jean Ziegler s’inspire, pour conclure, de ce proverbe chinois que Che Guevara – dont il fut un temps le chauffeur à Genève! – aimait citer: «Les murs les plus puissants s’écroulent par leurs fissures.»