La Suisse a failli à son devoir de protection
En matière de prévention et d’action contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) et les féminicides, la Suisse a des lacunes, et c’est la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui le dit. Cette dernière a condamné notre pays il y a quelques mois pour ne pas avoir protégé suffisamment la vie d’une femme contre son partenaire violent. Les faits remontent à 2007. La requérante, que l’on appellera Clara, quitte son compagnon rencontré il y a moins d’un an. Celui-ci va la séquestrer, la violer, tenter de l’asphyxier et la blesser avec une arbalète. Elle est hospitalisée et s’en sort, tandis que l’agresseur est arrêté et se suicide en garde à vue.
Quelques semaines plus tôt, la victime, qui s’inquiétait du comportement de son conjoint, avait contacté son médecin de famille, qui lui avait conseillé de mettre un terme à leur relation, mais «pas de manière abrupte», rapporte le site humanrights.ch dans un article publié le 14 juillet. Le médecin informe la police qui rappelle Clara. Cette dernière raconte subir du harcèlement et dit vouloir mettre fin à la relation mais ne souhaite pas porter plainte. Clara n’est pas au courant du passé de son petit copain mais la police, elle, sait que l’homme a été condamné à 12 ans de prison en 1995 pour avoir violé et tué son ancienne compagne et qu’il a été libéré sous conditions strictes, conditions qu’il n’a pas respecté puisqu’il s’en est pris à une nouvelle femme. Pour autant, le droit suisse empêche les autorités de communiquer les extraits de casier judiciaire et les rapports psychiatriques des criminels.
C’est là que la saga judiciaire commence. Clara engage une action en responsabilité de l’Etat contre le canton de Lucerne en 2015, reprochant aux autorités d’avoir manqué à leur devoir d’information sur le passé criminel et la dangerosité de son compagnon, ainsi qu’à leur devoir de protection. Les juridictions cantonales, puis le Tribunal fédéral dans un arrêt du 8 juin 2018, rejettent les requêtes. Clara persévère et dépose un recours auprès de la CEDH. Dans son arrêt du 3 avril 2025, elle conclut que la Suisse a violé l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège le droit à la vie. Elle souligne que les États ont des obligations positives, notamment celle «d’agir de manière concrète pour protéger toute personne dont la vie est menacée par les agissements criminels d’autrui», reprend humanrights.ch. «Aucune évaluation concrète du danger ni mesure de protection efficace n’a été mise en place. Dès lors, en raison des lacunes du droit interne, mais aussi du défaut d’action des différents services étatiques, la CEDH conclut que les autorités ont manqué à leur obligation de prendre des mesures opérationnelles pour protéger l’intégrité physique de la requérante.»
Cette affaire met le doigt sur le conflit entre deux droits fondamentaux, à savoir celui de la victime à être informée pour se protéger, et celui de l’auteur à la confidentialité. Pour la CEDH, le premier doit prévaloir, et donc, le système suisse de protection contre les violences fondées sur le genre est lacunaire. Des instruments spécifiques juridiques existent ailleurs. Les autorités britanniques et espagnoles ont par exemple mis sur pied des dispositifs permettant aux citoyens de solliciter des informations auprès de la police sur les antécédents d’un partenaire (droit de demander) ou autorise les forces de l’ordre à informer de manière proactive une personne potentiellement en danger (droit de savoir). Des inspirations possibles pour prévenir, plutôt que guérir. MT