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Les ouvriers de Bell dans l'incertitude

Bell a décidé de fermer son usine de viande fraîche à Cheseaux-sur-Lausanne. Une centaine d'emplois sont touchés

Le leader de la viande en Suisse romande fermera l'une de ses usines à fin 2017. Mais Bell refuse de négocier avec Unia qui est pourtant mandaté par 70 employés sur la centaine touchée. Les employés ne cachaient pas leur inquiétude lors de leur rassemblement le 15 novembre dernier.

«Ils nous ont fait une annonce très informelle, comme quoi notre service allait s'arrêter le 31 décembre 2017. Mais qu'on ne devait pas s'inquiéter...» Le boucher n'est pas dupe. «Je suis persuadé que la restructuration s'organise depuis longtemps. On aimerait savoir ce qui nous attend. On nous dit qu'on va nous proposer des postes, mais nous on est bouchers, et on n'a pas envie de se retrouver à un poste d'emballage ou d'être transférés à Œnsingen.» Dans le canton de Soleure donc...
En cette journée ensoleillée du 15 novembre, devant l'entreprise Bell à Cheseaux-sur-Lausanne, Unia a sorti les banderoles et offert un pique-nique à la trentaine d'employés rassemblés solidairement le temps de leur courte pause de 45 minutes. Ils sont arrivés à 5h30 du matin et repartirons de l'usine d'abattage «quand le travail sera terminé».

Détérioration des conditions de travail
«Depuis une année environ, on ne sait plus quand on peut rentrer chez soi. C'est variable, en fonction du travail à faire. On dirait que c'est fait exprès pour qu'on quitte le navire. On n'a plus de vie.» Des bouchers, dans la boîte depuis plus de 20, voire 30 ans, racontent leur ras-le-bol, et l'incertitude. «Avant Bell, avec Vulliamy, c'était plus familial. On était considérés comme des humains. Le patron nous payait le bateau depuis Evian, et un bus nous attendait au port», relève un frontalier, qui prend aujourd'hui sa voiture et se réveille ainsi chaque matin à 3 heures. Dans la cinquantaine, il ne se fait aucune illusion quant à ses chances de retrouver un travail, s'il perd celui-là. «Nous sommes des numéros. Seuls les actionnaires comptent. On nous parle comme à des chiens!», souligne un autre.
Les employés estiment qu'ils sont environ 160 à travailler dans l'usine de viande fraîche (désossage, découpe...). «On nous a dit que Bell voulait faire du poisson. Il n'y aurait donc plus que de l'emballage. Mais ce sont des bruits qui courent, des rumeurs... C'est ça qui est grave. On est là depuis si longtemps, et on nous traite comme ça. Fin 2017, dans 14 mois, c'est demain!» Une manœuvre ajoute: «Les femmes sont beaucoup moins nombreuses, mais aussi beaucoup moins payées pour le même travail.»
Beaucoup de couples travaillent dans la même usine également. «C'est un double souci, on ne peut pas se reposer sur l'autre», relève l'un des bouchers.

Unia mandaté
«Depuis le 20 octobre dernier, les seules informations orales que nous avons sont qu'une centaine de postes sont concernés. Le personnel a mandaté le syndicat. Mais la direction refuse de discuter avec nous. Cette action a pour but de l'inciter à venir à la table des négociations», relève Noé Pellet, secrétaire syndical d'Unia. Quelques jours plus tard, la direction de Bell répondait à Unia en substance qu'il avait un autre partenaire, signataire de la convention collective de travail Bell. «Nous sommes des outsiders, mais que fait son partenaire social, l'Association suisse du personnel de la boucherie?», se demande Abdeslam Landry, secrétaire syndical d'Unia. De surcroît 70 travailleurs ont mandaté le syndicat Unia pour les représenter.
Une vingtaine de postes auraient été proposés dans le secteur charcuterie. Pour le reste, le flou règne. «Les employés ne savent pas si on va leur proposer des congés-modifications, à quel prix et où? A Œnsingen, ou à Orbe chez Hilcona où les salaires sont moins élevés, et les vacances plus courtes? Et y a-t-il vraiment pertinence à fermer le site de Cheseaux, alors qu'il est à proximité des éleveurs et de l'usine de charcuterie?», questionne Noé Pellet. Des produits locaux délocalisés en somme.

Interventions politiques
L'image de marque que veut se donner Coop (dont Bell est une de ses filiales) en prend un coup. La restructuration annoncée de manière informelle a donc des effets sur les plans sociaux, économiques et écologiques. Les éleveurs pourraient aussi être les grands perdants avec une augmentation des frais de transport de l'ordre de 30 à 45%. En parallèle à la mobilisation des travailleurs, deux interpellations («Quel avenir pour les employés de l'entreprise Bell?» et «Que restera-t-il de vaudois dans nos saucissons?») ont été déposées au Grand Conseil. Une résolution a également été signée par les présidents des partis demandant au Conseil d'Etat de «faire tout ce qui est en son pouvoir pour le maintien d'une filière d'abattage, de découpe et de production de viande en terre vaudoise, en veillant au maintien des emplois liés à ces activités». Ces trois textes devaient être débattus hier au parlement vaudois. De surcroît le Parti socialiste vaudois demande dans un communiqué «si Bell a signalé des licenciements au Service de l'emploi en vue de l'ouverture d'une procédure de licenciement collectif et si ce service peut confirmer les chiffres d'une centaine de suppressions de postes sur le site de Cheseaux-sur-Lausanne au cours des 24 derniers mois. En outre, est-ce que l'entreprise peut démontrer que le saucissonnage des licenciements se justifie et, si ce n'est pas le cas, comment le Service de l'emploi entend-il sanctionner ces pratiques?» Une question qui se pose pour les possibles licenciements à venir... Alors que Bell a dégagé au premier semestre 2016 un bénéfice net en hausse de 27%, soit un montant de 42,6 millions de francs.

Aline Andrey