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Les maçons acceptent la Convention et lancent un ultimatum aux patrons

Si la SSE ne fait pas marche arrière, les maçons sont prêts à durcir la lutte jusqu'à la grève nationale

En acceptant à l'unanimité, samedi dernier, l'accord sur la convention nationale négocié sous l'égide de la Confédération, le parlement des travailleurs de la construction d'Unia a fait preuve de son sens des responsabilités. Les maçons invitent la Société suisse des entrepreneurs à revenir sur le rejet de cet accord dans un délai d'un mois, sans quoi il y aura des luttes très dures qui pourront aller jusqu'à la grève nationale.

Visages graves, paroles fermes, attitudes déterminées: les 220 délégués du parlement des travailleurs de la construction d'Unia, réunis samedi dernier à Berne, n'avaient pas le sourire. Et pour cause. Chacun avait encore en lui cette colère, cette déception, cette amertume face à la décision prise deux jours auparavant par la Société suisse des entrepreneurs (SSE). Pour mémoire, le 24 janvier, par 91 voix contre 14, les délégués de la SSE ont balayé l'accord de médiation sur la nouvelle convention nationale 2008 du secteur principal de la construction. Cet accord, négocié pendant plus de 200 heures sous la présidence de Jean-Luc Nordman, médiateur mandaté par le Conseil fédéral, avait pourtant débouché le 18 décembre sur un compromis mettant un terme à un conflit qui durait depuis le printemps, conflit jalonné par des mouvements de grèves et des manifestations retentissantes. Le vide conventionnel qui durait depuis plusieurs mois, sur fond de profond désaccord sur la flexibilité du travail, devait enfin être comblé, avec l'accord des représentants des syndicats et du patronat.

Accord loyalement accepté
Malgré cette volte-face patronale frappée au sceau de l'arrogance, les délégués de la construction d'Unia ont su surmonter leur dépit. Ils ont accepté l'accord à l'unanimité, faisant ainsi preuve d'un grand sens des responsabilités et de respect du dialogue institutionnel. Les travailleurs auraient pourtant pu rechigner car eux aussi ont dû se résoudre à lâcher un peu de lest. Ils auraient notamment voulu des augmentations de salaire plus importantes et de meilleurs aménagements des horaires de travail (voir le contenu de cette convention dans notre édition du 16 janvier). «Nous avons dû avaler certaines couleuvres, mais en fin de compte, c'est un compromis acceptable et nous nous somme engagés à le défendre loyalement, même si ce n'est pas du 18 carats», confirme Hans-Ulrich Scheidegger, du secteur de la construction d'Unia.
Or, c'est précisément cette loyauté qui a fait défaut à la SSE plus particulièrement à son président Werner Messmer. «Il a annoncé vouloir prendre quelques semaines pour convaincre ses membres d'adopter cet accord. Mais il n'a rien fait alors que de notre côté, nous avions stoppé nos actions de lutte», s'insurge Andreas Rieger, coprésident d'Unia. «De plus il s'était engagé à présenter la médiation en détail et surtout à expliquer qu'il s'agit d'un paquet global non négociable. Au lieu de cela, il a présenté cet accord comme quelque chose qu'on pouvait encore fractionner et discuter. C'est manifestement une violation des règles de la bonne foi».

«Un désastre»
La Conférence professionnelle de la construction a rejeté toute demande de nouvelles négociations de la part de la SSE, étant entendu que l'accord de médiation ne prévoit nullement une telle possibilité. Les travailleurs, d'entente avec Unia - tout comme ceux de Syna qui ont pris les mêmes décisions - invitent la SSE à revenir immédiatement sur sa décision et à accepter, comme elle l'avait initialement convenu, le résultat de la médiation sous la forme d'un paquet indissociable, afin que la Convention nationale puisse entrer en vigueur le 1er mars prochain.
Pour le coprésident d'Unia Renzo Ambrosetti, le prolongement du vide conventionnel «serait une véritable catastrophe pour le pays tout entier». Les syndicalistes ne sont pas seuls de cet avis. Dans les médias, la Conseillère fédérale Doris Leuthard a qualifié le niet de «désastre» et elle s'est dite prête à écouter les deux parties. Plus édifiant encore, la plus grande entreprise de construction du pays, Implenia, a annoncé vendredi dernier dans un communiqué qu'elle se distanciait de la décision de la SSE. «Le vide conventionnel entre partenaires sociaux n'est de l'intérêt ni d'Implenia ni de celui de la branche. Il en résulterait une réduction générale des salaires ainsi que la perte d'emplois, essentiellement sous la pression d'entreprises étrangères concurrentes».
«Il faut que la SSE revienne sur sa décision», avertit Hans-Ulrich Scheidegger. Si tel ne devait pas être le cas, l'assemblée a pris à l'unanimité la décision de lancer une campagne de lutte avec d'abord des grèves ponctuelles et régionales, en mars, puis si cela n'aboutissait pas, des vagues de grèves nationales appelées à se prolonger. «C'est un ultimatum. S'ils refusent et continuent de se montrer arrogants, la bataille sera longue et bien plus dure que l'année dernière».

Pierre Noverraz



Sécurité en péril

Jacques Robert, responsable romand du secteur de la construction d'Unia, insiste sur le fait que le vide conventionnel et la flexibilité ont de lourds impacts sur la santé et la sécurité des travailleurs

«Les chiffres parlent d'eux-mêmes. En 2006, il y a eu dans la construction en Suisse 33 décès dûs à des accidents ou des maladies professionnels, 337 nouveaux cas d'invalidité et 27466 accidents et maladies professionnels. Cela montre qu'il faut à tout prix améliorer à la fois la sécurité et la prévention, ce qui passe obligatoirement par de meilleures conditions de travail et donc par la convention. Flexibiliser davantage les horaires de travail, comme le voudrait la SSE, rendrait la situation encore plus dangereuse. On ne réduit pas les risques d'accidents en forçant les gens à travailler au-delà de ce qui est acceptable. Voilà l'une des raisons principales pour lesquelles nous nous battons. Ce point est en tout cas aussi important que la question du dumping salarial.»

Qu'est-ce qui pourrait inciter la SSE à revenir sur sa décision?

Messmer a trompé ses membres en leur faisant croire qu'on pouvait rediscuter cet accord. On a suffisamment de respect pour les entrepreneurs pour penser qu'ils vont changer d'avis en se rendant compte que leur décision a été faussée par une présentation tendancieuse et imprécise de l'accord de médiation.

PN



La voix des chantiers

Extraits des interventions d'une partie des délégués

Gianapietro De Vito, Trimbach (SO) chauffeur de chantier.
«Werner Messmer et ses acolytes n'ont pas tenu parole. C'est très grave, non seulement pour notre branche mais aussi pour tout le partenariat social et l'économie du pays. Sans Convention nationale, on ouvre la porte au dumping salarial. Il n'y a plus de garantie, plus de contrôle. Sans convention, la libre circulation des travailleurs risque d'aboutir au démantèlement social. Et dans ces conditions, nous devrions remettre en cause les bilatérales. Il faut donc que les politiciens en soient conscients et qu'ils prennent leurs responsabilités.»

Ruedi Winz, d'Obwald, constructeur de routes
«Je ne suis pas xénophobe et je suis pour l'ouverture européenne. Mais tant que nous n'aurons pas une convention fiable, nous ne pourrons plus accepter l'ouverture. Les conventions sont en effet le rempart contre le dumping.»

Ricardo Spedini, Bellinzone, maçon
«Nous avons accepté la médiation et stoppé nos mouvements de lutte car nous avons mis nos espoirs dans cette médiation. On a aussi accepté des choses qui ne nous plaisaient pas. Malgré cela, nous tiendrons parole. Nous voulons rester dans le camp des honnêtes gens. Ces messieurs sont des menteurs. Ils ne cessent de dire qu'ils tiennent à une convention mais dans la réalité, ils font tout pour la détruire. Accepter de rediscuter, ce serait se soumettre à leur volonté. Si les entrepreneurs refusent de revenir sur leur décision, alors ils s'exposent à ce qu'il y ait le blocage des chantiers, de la construction des routes, des gares et finalement la paralysie de toute l'économie du pays.»


PN