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«Les défavorisés ont tant de richesses à révéler»

Madeleine Pont
© Thierry Porchet

Madeleine Pont porte son nom à merveille, elle qui n’a eu de cesse de créer des liens entre les personnes, les patients et les proches, les institutions et les politiques pour donner une voix aux personnes atteintes de troubles mentaux.

Madeleine Pont a fondé l’association des Familles du Quart Monde et le Groupe d’accueil et d’action psychiatrique. Depuis cinquante ans, elle s’engage pour les plus démunis.

«Nous avons tous de la folie en nous.» Ces quelques mots symbolisent la posture de Madeleine Pont qui, depuis les années 1980, fait évoluer le regard porté sur les maladies psychiques. Figure romande de l’action sociale, la Vaudoise a l’art de tout conjuguer au «nous» et de réparer les injustices.

Née en 1948 dans une famille modeste du petit village vaudois de Denges, elle grandit dans l’odeur du bois de l’entreprise de son père charpentier. De son amour des gens et de sa curiosité naturelle pour l’humain découle son métier d’assistante sociale. Son parcours professionnel prend vite une tournure originale. Dès son premier emploi à Renens, à la fin des années 1970, elle s’érige contre une décision de la commune. Celle-ci a en effet décidé de ne plus verser d’argent à une famille assistée financièrement. On charge même la jeune professionnelle de placer l’enfant dans un foyer. Madeleine Pont raconte, avec fougue, sa colère d’alors et le combat qui a suivi. «Plusieurs familles risquaient le même sort, on s’est donc réunis et on a parlé jusqu’à 4h du matin pour organiser l’entraide ensemble. L’Association des familles du Quart Monde est née à la suite de cette rencontre», se souvient celle qui privilégie dès lors le faire ensemble et la valorisation des ressources de tout être humain. Chacun a besoin d’un projet de vie, d’une raison de se lever le matin. «“Les pauvres ont plus besoin d’un projet de civilisation que de soupe populaire”, pour citer le Père français Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde, auprès de qui je me suis formée à Paris. Les défavorisés ont tant de richesses à révéler.» 

 

Naissance du GRAAP

Madeleine Pont évoque un autre moment clé, une dizaine d’années plus tard. Une sorte de bis repetita. Assistante sociale à Pro Mente Sana, elle rencontre Dominique Scheder, chansonnier-poète atteint de schizophrénie. «Il avait l’expérience et moi la théorie. Il avait envie d’exister, de ne plus cacher sa maladie, et moi d’aider, dans le sens où je ne pouvais pas me sentir bien si l’autre ne l’était pas», résume-t-elle. Tous deux souhaitent trouver une solution à la solitude des personnes atteintes dans leur psychisme et faire face à l’omnipotence médicale d’alors – à l’époque, les patients avaient difficilement accès à leur dossier médical. Ils réunissent alors un petit groupe de malades et de proches. «Cette soirée-là, on a réussi à trouver une solution au premier problème en décidant de se rencontrer chaque semaine», se souvient Madeleine Pont. Quelques mois plus tard, le Groupe d’accueil et d’action psychiatrique (GRAAP) voit le jour à Lausanne. Puis, un journal et un restaurant, le Grain de Sel. Entre autres missions, l’association pionnière dans le domaine sensibilise la population à la santé mentale et défend les malades psychiques. 

«Nous ne sommes pas fous 24 heures sur 24, ni à vie», rappelle Madeleine Pont. Pour elle, la folie a par ailleurs un rôle primordial: «C’est comme un feu rouge qui nous demande de nous arrêter. Car le rythme et les exigences de la société, ainsi que la course à l’argent nous conduisent droit dans le mur.»

Cette entité, à la base quasi bénévole, va s’agrandir et se structurer au point de recevoir des subventions et des dons grâce au talent de Madeleine Pont à convaincre. «Mon plus grand défi a été la gestion du personnel. La professionnalisation et l’institutionnalisation du GRAAP ont créé une certaine hiérarchie. Cela n’a pas été facile.» 

 

Lutter pour les malades emprisonnés

En 2012, au moment de la retraite de Madeleine Pont, une fondation voit le jour en parallèle de l’association. Cette année-là, la jeune retraitée révoltée crée aussi le groupe Action maladie psychique et prison (AMPP) pour soutenir les malades emprisonnés. Depuis, cet énième combat fait son chemin. En avril dernier, le premier Festival de film «Santé mentale et prison» a rencontré un gros succès et une pétition a été déposée dans le canton de Vaud pour demander un centre thérapeutique spécialisé fermé afin d’éviter que les malades psychiques ne croupissent en prison. «Cet article 59 du Code pénal, qui permet des mesures thérapeutiques en prison, mis en place par l’ancien conseiller fédéral Christoph Blocher, doit être revu», assène Madeleine Pont, qui soutient plusieurs plaintes dans les tribunaux suisses et jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). 

Cet été, l’AMPP va se reconfigurer et se rebaptiser L’Ecart. «L’écart entre la loi et la mise en pratique, entre les intentions de la prison et la réalité, mais aussi la mise à l’écart salutaire, celle qui protège… explicite Madeleine Pont, qui rêve d’un monde sans cellule. La punition ne change rien. C’est donner l’envie de faire le bien qui peut transformer un homme… Face aux monstruosités commises, le problème doit être pris à la racine. Rejoindre l’autre dans son humanité, créer des ponts entre ce qu’il a vécu et nos propres expériences, aussi minimes soient-elles, est possible, car nous avons tous le bourreau et la victime en nous. Pour arriver à ce regard d’amour inconditionnel, c’est un travail de tous les jours. C’est notre rôle d’humain que de s’y atteler.» Celle qui a des contacts réguliers avec des prisonniers, et des victimes dont le psychisme a été atteint par des violences innommables, se ressource grâce à de longues marches et grâce à une pratique quotidienne de la méditation transcendantale depuis cinquante ans. «C’est une technique qui existe depuis la nuit des temps, un retour aux sources, à une puissance intérieure, confie-t-elle. Mais je rejoins aussi le diagnostic de mon naturopathe qui estime que je carbure à l’adrénaline… En fait, et c’est peut-être un manque d’humilité, je sens avoir toujours les forces de trouver des solutions.» 

Changer ce qui dysfonctionne est son leitmotiv. «On ne peut pas accepter l’inacceptable. On ne doit pas s’habituer, mais se questionner sans cesse.» Madeleine Pont se serait bien vue faire des études de philosophie souligne encore qu’un mal est toujours là pour un bien. 

Malgré son énergie débordante, à 77 ans, elle a décidé de lever le pied. Pour de bon cette fois-ci, assure-t-elle, tout en ne pouvant s’empêcher d’ajouter: «Mais tant que la flamme sera là, je m’engagerai.»

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