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Les bagagistes vident leur sac

Exigeant une amélioration de leurs conditions de travail, des employés de Swissport ont entamé une grève le 2 janvier dernier

Epaulés par le Syndicat des services publics, quelque 80 travailleurs de Swissport ont entamé le 2 janvier dernier une grève. Ils revendiquent de meilleures conditions de travail et notamment une augmentation de salaire. Exceptionnel de par sa durée, ce débrayage a été ponctué par plusieurs manifestations, en ville et à l'aéroport. A l'heure où nous mettions ce journal sous presse, ce lundi, une nouvelle séance de négociations en présence des autorités genevoises se tenait. Episodes d'un mouvement largement soutenu par les syndicats, dont Unia, et l'ensemble de la gauche.

Jeudi 7 janvier, aéroport de Genève. Découpant la pâle et glaciale lumière hivernale, une tente a été dressée sur le parking attenant au bâtiment du fret. Fragile rempart au froid polaire qui sévit depuis plusieurs jours, l'abri de toile sert de quartier général aux grévistes. Un espace réunissant ce jour-là une dizaine de personnes seulement. Et pour cause, le gros des troupes - quelque 80 personnes provenant essentiellement du secteur du tri des bagages - manifeste devant l'Hôtel de ville de Genève. Là où le conseiller d'Etat François Longchamp, chef du Département de la solidarité et de l'emploi, discute avec des représentants du Syndicat des services publics (SSP) et la direction de Swissport, à la recherche d'un arrangement (voir article ci-contre). Une solution que les grévistes, au terme de six jours de débrayage, ne veulent pas au rabais. Ils en ont assez de travailler régulièrement sept jours sur sept, trois week-end sur quatre, souvent en effectif réduit, pour des salaires de misère. Et ce alors même que la nature de leur activité se révèle des plus pénibles - les employés de Swissport soulevant au quotidien plusieurs tonnes de bagages.

Dix tonnes par jour !
«Nous voulons une augmentation de salaire de 250 francs par mois», précise Alain Schweri, 26 ans, comptabilisant trois années de service à Swissport. «Parallèlement nous revendiquons une meilleure reconnaissance des horaires irréguliers en terme de rémunération.» Concrètement, les grévistes demandent une revalorisation des heures de nuit et du week-end de 2,75 francs à 5 francs. Pour le jeune homme, marié et père d'un enfant, ces exigences n'ont rien d'exagéré. «Mon salaire de base s'élève à 4100 francs par mois» chiffre, amer, l'employé qui affirme soulever jusqu à dix tonnes de bagages par jour. Autant dire qu'il est bien décidé à se battre. «Nous poursuivrons le mouvement aussi longtemps que nécessaire. La grève est un droit» tonne encore Alain Schweri, syndiqué au SSP, car «il n'a jamais fait confiance aux patrons.» Si, en tant que chef d'équipe, Besim Bytyqi, 43 ans, ne subit pas les mêmes contraintes physiques que son collègue et gagne un peu mieux sa vie, il n'en est pas moins critique à l'égard des conditions de travail.

Pression psychologique énorme
«Chaque jour, elles se dégradent davantage. Le boulot n'a cessé d'augmenter alors qu'il y a toujours moins de personnel.» Employé depuis 5 ans chez Swissport, responsable de 10 à 15 personnes, l'homme se charge de coordonner le tri et l'acheminement des bagages aux arrivées et aux départs, de gérer les absences... bref de s'assurer que tout fonctionne. «La pression psychologique est énorme. Beaucoup de compagnies utilisent les services de Swissport. Mais plutôt que d'engager de nouveaux collaborateurs, on a recours à des auxiliaires, qui ne connaissent pas le travail. Il faut les surveiller en permanence. Et puis, les malades ne sont pas remplacés. Nous devons assumer les absences. Et c'est nous qu'on engueule lors de retards. C'est un miracle que les avions décollent encore à l'heure», note Besim Bytyqi, tout en tentant de ranimer un des deux champignons à gaz réchauffant timidement la tente. Ambiance glaciale. Un vin chaud offre une courte parenthèse aux mains gelées... Et Besim d'enchaîner en relevant encore l'injuste pénalité qui sanctionne les employés malades, privés les trois premiers jours d'arrêt de travail de 20% de leur salaire. Une mesure que les protestataires veulent aussi supprimer. «On poursuivra la grève le temps qu'il faudra» conclut l'homme même s'il espère qu'elle ne se prolongera pas trop. Dans l'intervalle, chargé du ravitaillement des troupes, Besim a déjà fait provision de pâtes, biscuits, café et thé.

«A l'américaine»
Pour Paul (prénom d'emprunt), la légitimité de ce débrayage ne fait pas de doute non plus. Comme ses collègues, il estime que la rudesse de l'ouvrage et les horaires irréguliers ont un prix. Un prix que Swissport doit accepter de payer. D'autant plus que, affirme Paul, les salariés de l'entreprise travaillant à l'aéroport de Zurich sont pour leur part mieux rémunérés et plus nombreux. «C'est injuste. Il y a de l'abus», lance cet homme de 22 ans, employé depuis trois ans dans la société. «Avec nos horaires, on peut oublier les copains, la famille. On ne voit plus personne. On est crevé» se désole-t-il, notant qu'il a déjà eu à souffrir de deux lumbagos. «J'ai tout le temps mal au dos. Mon médecin m'a conseillé d'arrêter ce travail. C'est trop cher payé au regard de ce qu'on touche.» Et de brosser un tableau pour le moins inquiétant de la santé du personnel tout en dénonçant l'organisation du travail et la terrible concurrence. «Tout ceux qui travaillent à la piste ont des problèmes de santé. Certains boitent. D'autres toussent à cause des réacteurs... On est usé avant l'heure. Et puis, on est tout le temps sous pression. C'est un management à l'américaine. On aimerait que Swissport engage davantage de personnes» s'indigne encore Paul qui relève que les tâches effectuées contribuent pourtant largement à l'image de marque des compagnies. L'accueil souriant des collaborateurs des check-in, est ainsi validé, en coulisse, par des armées d'hommes qui s'affairent pour que les bagages des passagers soient du voyage. Un travail de l'ombre qui pèse de tout son poids dans la satisfaction de la clientèle et qu'on ne saurait brader.

Sonya Mermoud

 

 

Jalons de la grève

Le 12 décembre dernier, le mettant en garde contre le risque de grève, le SSP remet au conseiller d'Etat François Longchamp, également président du conseil d'administration de l'aéroport, une pétition munie de 1151 signatures. Les signataires réclament des conventions collectives de travail (CCT) par secteur. Le 2 janvier, les employés au sol de Swissport et de Dnata débrayent. Face à la promesse de leur employeur de majorer les salaires, les heures irrégulières et de conclure une CCT, les collaborateurs de Dnata reprennent le travail. De son côté, Swissport propose le 4 janvier une prime mensuelle de 400 francs. Les grévistes refusent. Le 7 janvier, une séance de négociations réunissant François Longchamp, des représentants du SSP et la direction de Swissport, se solde par un nouvel échec. L'offre patronale est jugée nettement insuffisante. «Elle portait sur une indemnité mensuelle supplémentaire de 100 francs et une revalorisation des heures irrégulières de 2,75 francs à 3,10 francs» précise Yves Mugny, secrétaire syndical au SSP. «En d'autres termes, une augmentation de 140 francs par mois. Un montant très loin des attentes des grévistes qui ont balayé cette proposition à une écrasante majorité. Une proposition molle, injurieuse presque.» Rappelons que les bagagistes demandent 250 francs de plus par mois et une majoration des heures de nuit et du week-end. Ils ont aussi réclamé l'abandon de la pénalité frappant le personnel malade qui voit son salaire ponctionné de 20% les trois premiers jours d'arrêt. En vain. «Pour faire face à la grève, Swissport recourt à l'aide de collaborateurs de Bâle et de Zurich. Une solution au coût exorbitant qui dépasse largement les prétentions des grévistes» relève Yves Mugny. A l'heure où nous mettions sous presse, l'après-midi du 11 janvier, de nouvelles négociations avaient lieu.

SM