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Le plastique, de fil en aiguille

Plusieurs étapes de l'atelier...
© Olivier Vogelsang

Sachets en plastique, toiles de parapluies, de parachutes: la matière est récupérée puis découpée en fines lanières avant le tissage proprement dit. Tout commence par la préparation du métier à tisser, avec une trame de fils en coton. Après la confection des bandelettes plastiques, place au tissage. La toile ainsi réalisée sera utilisée pour créer sacs, trousses et autres objets.

Entre artisanat à base de matériaux de récupération, sensibilisation et liens multigénérationnels et interculturels, l’association Tricrochet à Genève tisse une toile vertueuse pour lutter contre la pollution

L’histoire de Tricrochet commence en Equateur, il y a une dizaine d’années. La Colombienne, habitante de Genève, Lina Sandoval, alors étudiante en géographie, découvre avec stupeur des villages au sein d'un parc naturel pollués par des sachets en plastique venus d’ailleurs, charriés par le vent et les rivières. En écho, elle apprend que sa grand-mère crochetait déjà le plastique pour en faire des sacs. De fil en aiguille, et à son retour en Suisse, elle crée un projet d’artisanat et de sensibilisation qui remporte le deuxième prix IDDEA – Idées de développement durable pour les entreprises d'avenir – en 2013. Tricrochet se développe alors avec la mise en place d’ateliers pédagogiques dans les écoles et les entreprises, ainsi que de couture et d’autres créations, à l’image de celui qui se déroule à la Maison de quartier de Lancy en ce 7 mars 2022. Après deux ans de Covid, qui ont obligé l’association à réduire son accueil, Tricrochet est en plein redémarrage pour offrir à toute personne intéressée un lieu de formation et de liens intergénérationnels et interculturels.

Toiles en vrac.

 

Tisser pour sensibiliser

En ce lundi après-midi, beaucoup de retraitées sont présentes, ainsi qu’une jeune réfugiée érythréenne. Susana Alzate, responsable de l’association, les accueille chaleureusement. Les participantes installent les métiers à tisser et sortent de leur armoire les sachets en plastique récupérés ou reçus, mais aussi les chutes de tissus, les toiles de parapluies et de parachutes, ainsi que des bâches publicitaires. Le travail est varié, l’ambiance chaleureuse, détendue malgré une concentration palpable, nécessaire pour réaliser une œuvre de qualité. «On n’est pas une entreprise. On fait les choses en prenant le temps, précise en souriant Maria Contreras, l’animatrice. Il faut être zen. C’est comme une méditation.» A ses côtés, Ketty vient régulièrement depuis cinq ans. «Je n’aime pas la couture, car elle demande trop de mesures. Par contre, j’adore le tissage», dit-elle en découpant un sac plastique en fines lanières, ce qui lui permettra ensuite de créer sa toile.

De son côté, Rose est en train de monter un métier à tisser. Une opération qu’elle a apprise ici, il y a sept ans déjà. «Je me suis retrouvée à la retraite anticipée, sans le vouloir. J’ai découvert l’association un jour, dans un parc: la formatrice était là avec un minimétier à tisser attaché autour de la taille et relié à un arbre. On m’a proposé d’essayer et j’ai attrapé le virus, sourit-elle. En venant ici, cela a changé mon quotidien. Peu à peu, j’ai diminué mes déchets, et je n’utilise plus de sac en plastique.» Hormis dans l’atelier de récupération. L’écologie s’est aussi immiscée, l’air de rien, dans la vie de Monica: «J’utilise des filets pour les fruits et les légumes, et j’achète bien davantage de produits frais.» Même écho chez Angelina qui a changé son regard sur le plastique: «Avant, je ne faisais pas attention.»

Lanières.

 

Intégration et reconversion

Une fois tissée, la nouvelle toile, très solide et colorée, devient un sac résistant, une sacoche, un portemonnaie ou tout autre objet qui sera vendu lors des marchés auxquels participe l’association. «Les 70% du prix de la vente reviennent à la créatrice, 30% sont destinés à un fond pour des activités avec les participants du programme», explique Susana Alzate. Avec enthousiasme, elle raconte comment elle-même s’est engagée dans le projet: «Lorsque j’ai quitté la Colombie, Tricrochet m’a permis d’apprendre le français, de m’intégrer tout en faisant un geste pour l’environnement – ce qui me tenait particulièrement à cœur. L’atelier m’a beaucoup aidée à trouver la confiance en moi…» Quelques années plus tard, la diplômée en commerce international et en gestion de projet est devenue la coordinatrice de l’association. A ses côtés, l’animatrice, Maria Contreras, relate un parcours analogue d’intégration, entre l’Espagne et la Suisse, avec plusieurs métiers à son actif, dont celui de serveuse. «Quand mes enfants ont commencé l’école, j’avais envie de me reconvertir, et comme la récup’ est au cœur de ma vie, cet atelier était fait pour moi!»

En pleine confection de cordelettes, Winta, d’Erythrée, résume avec clarté ce que lui apporte l’atelier: «Depuis un an, j’apprends la langue et à coudre. J’aime mes amies et la matière.» Ketty, quant à elle, montre l’un de ses sacs, avec le sourire. «Je suis fière», dit-elle simplement. L’estime de soi devient ainsi partie prenante d’une écologie intérieure. Patricia, à la machine à coudre, raconte: «Je suis à la retraite anticipée depuis un an et j’ai envie de me sentir utile. En plus, le travail créatif m’a toujours enchantée.»

Métier à tisser.

 

Diminuer la consommation

Derrière elle, Angelina confectionne des sacs avec des bâches publicitaires récupérées et, en guise de lanières, des chambres à air de vélo ou des ceintures de karaté. «Ici, on permet au sac plastique d’avoir une deuxième vie. S’il va finir par polluer, ce sera au moins un peu plus tard.» D’où l’importance de diminuer la consommation et la production de ce matériau au recyclage difficile.

«Depuis quelque temps, on ne crochète plus le plastique, car on s’est rendu compte qu’il y avait trop de risques liés aux produits chimiques. En tissant, le plastique est moins en contact de la peau», souligne Susana Alzate, qui cultive une écologie du zéro déchet, mais toujours dans le respect de l’humain. «La sauvegarde de l’environnement va de pair avec l’intégration sociale et culturelle. A l’avenir, nous aimerions aussi développer des accessoires, des vêtements, des bijoux avec des fibres organiques compostables.» Et de préconiser les goûters faits maison en montrant de la main les gâteaux amenés pour la pause. Ainsi que les éponges naturelles à côté de l’évier. «Une éponge qui contient du plastique perd peu à peu de sa substance. De l’évier, cela passe dans les rivières, les lacs, les mers… On dénombre déjà cinq gyres de plastique (tourbillons où se concentrent les déchets, ndlr) dans les océans. C’est un septième continent! La chaîne alimentaire, polluée à tous les échelons, fait que nous mangeons tous l’équivalent d’une carte de crédit de plastique par semaine! Les femmes sont, de plus, particulièrement exposées, car les serviettes hygiéniques et les tampons, ainsi que le maquillage en contiennent.» Le ventre rond, à quelques semaines de donner naissance, Susana Alzate a déjà choisi l’option des couches lavables: «Mais il faut éviter à tout prix les discours culpabilisants. A chacun de changer ce qu’il peut, à son rythme.»

Des femmes dans l'atelier.
Les activités de l’atelier sont très variées. Ici, les participantes confectionnent des sacs en tissus recyclés pour une épicerie en vrac. © Olivier Vogelsang

 

Plus d’informations sur: tricrochet.ch

Sensibilisation dans les écoles

Tricrochet organise une septantaine d’ateliers chaque année dans les écoles genevoises pour sensibiliser les enfants entre 4 et 12 ans. En automne 2021, l’association a publié un support de cours sous forme de BD. Parole de plastique est depuis lors distribuée aux élèves. Une histoire ludique dont le personnage principal est une bouteille en PET, et une mine d’informations: Qui sait d’où vient le plastique et comment il est fabriqué? Et qui sait que le PET ne peut pas se recycler plus de trois fois?

«Cette sensibilisation ne devrait pas être le fait d’une association dans un canton, mais faire partie intégralement du plan d’études dans toutes les écoles de Suisse, estime Susana Alzate. Il y a encore des enfants qui vont à l’école avec, chaque jour, une nouvelle bouteille d’eau en PET. Les emballages de leur goûter sont encore trop souvent en plastique.» Dans Parole de plastique, l’association rappelle cependant le caractère «révolutionnaire» de ce matériau «solide, léger, peu coûteux et résistant» créé à la fin du XIXe siècle, et qui s’est propagé massivement dès les années 1950. Depuis, le plastique est partout, sans même que nous en soyons conscients. On en trouve dans les vêtements, les bâtiments, les automobiles, l’aéronautique, l’électronique, l’agriculture, la médecine... Incontournable dans certains secteurs, il n’empêche que la moitié du plastique est utilisée pour des emballages de produits alimentaires, qui seront jetés après leur première utilisation. Or, le plastique se recycle très mal. «Sur les 8,3 milliards de tonnes de plastique produites entre 1950 et 2015, 5 milliards de tonnes (60%) n’ont été ni recyclées ni incinérées et se sont retrouvées dans la nature. Le plastique finit par s’accumuler dans l’environnement, car même s’il se fragmente en microplastiques, il ne disparaît pas», écrit Tricrochet. De surcroît, il génère des effets néfastes non seulement sur les sols et les écosystèmes, mais aussi sur la santé des êtres vivants. Néanmoins, on continue d’en produire plus de 400 millions de tonnes par année. Et la Suisse n’est pas bonne élève. Selon les chiffres de l’Office fédéral de l’environnement, chaque Helvète consomme en moyenne 125 kilos de plastique annuellement (contre 10 kilos pour un Indien). Si le pays a un bon taux de recyclage, il est le troisième plus gros consommateur de plastique en Europe après le Danemark et la Norvège. Près de 14000 tonnes sont rejetées dans ses sols et ses eaux. «L’abrasion des pneus constitue la principale source de microplastiques dans l’environnement en Suisse sous forme de poussière fine, souligne encore l’association Tricrochet dans Parole de plastique. Depuis l’extraction du pétrole jusqu’au déchet, la filière du plastique émet continuellement des substances toxiques dans l’air, l’eau et les sols.»

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