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Le football de rue une alternative à la marchandisation du sport

L'ONG suisse E-changer mène campagne pour sensibiliser la population aux impacts du Mondial au Brésil

Avant le coup d'envoi du Mondial 2014 au Brésil, le 3e Championnat du monde de football de rue se déroulera à São Paulo. Le point sur cette pratique sociopédagogique et sur les manifestations qui secouent le pays.

«Brésil 2014, des goals contre l'injustice!» C'est accompagné de ce slogan que l'ONG E-changer, basée à Fribourg, sensibilise la population suisse depuis une dizaine de jours à l'impact de la prochaine Coupe du monde de football. Elle dénonce, entre autres, l'expulsion forcée de quelque 250000 personnes, l'exploitation de nombreux ouvriers sur les chantiers, et l'augmentation de la prostitution forcée d'enfants et d'adolescents. «Aux abords du stade de São Paulo, des proxénètes monnaient les services sexuels de jeunes filles entre 11 et 17 ans», dénonce Celia Alldridge, coordinatrice d'E-changer au Brésil. «Et des propriétaires de boîtes de nuit à São Paulo tablent sur une augmentation de 60% de leurs profits pendant le Mondial.»
Face à ces dérives et au processus de marchandisation du sport, plusieurs associations proposent des alternatives, dont celle d'un autre football. Celui de la rue, porteur de joie et de solidarité. C'est dans cet esprit que le 3e Championnat mondial du football de rue réunira trente pays à São Paulo du 1er au 12 juin, juste avant le coup d'envoi du Mondial. Cette initiative de l'ONG «Açâo Educativa» (Action éducative) dirigée par Sergio Haddad - éducateur et cofondateur du Forum social mondial - permet de repenser le football comme «une pratique sociopédagogique», selon les mots du militant.

D'autres règles du jeu
Les règles du football de rue, né dans les années 90 en Argentine, sont révolutionnaires. Les équipes sont obligatoirement mixtes. En outre, filles et garçons définissent - avec l'aide d'un modérateur (et non d'un arbitre) - les règles du jeu. A savoir: le respect, la solidarité, la coopération et la tolérance. Les deux équipes se mettent aussi d'accord sur le nombre de points que vaut un goal. Par exemple, si le but est le fait d'une action collective, et non d'un seul joueur, il peut valoir le double. A la fin du match, les joueurs (4 à 6 par équipe) évaluent les points mais aussi leurs comportements. Résultat, ce n'est pas forcément l'équipe qui a mis le plus de goals qui gagne!
«Ce sport se développe de manière significative, partout dans le monde», se réjouit Sergio Ferrari, porte-parole d'E-changer. «On estime qu'environ 600000 jeunes, essentiellement en Amérique latine, pratiquent cette discipline dans le monde. C'est un espace de jeu, mais aussi de construction de la citoyenneté basée sur des valeurs de solidarité et de partage.»

La Fifa sous les critiques
Ce championnat de football de rue tranche donc avec l'organisation du Mondial. Malgré la passion du peuple brésilien pour le ballon rond, ils sont des centaines de milliers à être descendus dans la rue pour dénoncer les quelque 12 milliards de francs dépensés dans ce raout planétaire, alors que nombre d'habitants vivent dans des favelas (bidonvilles). «Ce n'est pas normal qu'un billet pour le Mondial (160 francs environ) représente la moitié d'un salaire mensuel d'un ouvrier au Brésil. Le peuple fera la fête, mais devant les écrans, car il est exclu des stades», dénonce Sergio Ferrari.
Le contraste entre les dépenses pour la construction et la rénovation des stades et des services publics défaillants ont été un détonateur, et la hausse des prix des billets de bus en mars 2013 l'étincelle, à de nombreuses manifestations de masse. «La répression violente contre les manifestants, et même contre des journalistes, a généré un mouvement d'indignation encore plus important», relate Celia Alldridge. «Cette révolte a ensuite perduré pendant la Coupe des Confédérations, qui a été comme une sorte de répétition générale du Mondial, avec un public composé d'une élite blanche et le peuple qui n'avait même pas accès aux abords des stades. Les manifestations ont alors pris une ampleur telle que n'en a jamais connu le Brésil depuis la chute de la dictature. Reste que la population est très fière de son équipe nationale, et se rend bien compte que ce Mondial ne bénéficie qu'aux grandes entreprises et à la Fifa.»
De nombreuses organisations dénoncent les dérives de la Fédération internationale de football. Solidar s'insurge notamment contre les privilèges fiscaux accordés par les autorités à la Fifa en vertu de son statut d'organisme «d'utilité publique». Alors qu'elle est «gangrenée par la corruption» et a engrangé un bénéfice de 2,35 milliards de francs lors de la Coupe du monde en Afrique du Sud, pays qui, lui, comptabilise une perte de 3 milliards de francs. Un bilan qui pourrait bien se répéter au Brésil.

Mouvements sociaux forts
La situation est d'autant plus tendue dans le pays du ballon rond que les manifestations populaires offrent l'opportunité à la droite d'attaquer la présidente Dilma Rousseff (soutenue par l'ancien président Lula) qui se représente à l'élection présidentielle en octobre. Mais Celia Alldridge est confiante: «Je crois que les Brésiliens sont conscients que le gouvernement de gauche national est bloqué par le Congrès et les gouvernements locaux de droite.» La militante relève aussi les dérives d'autres raouts sportifs, tels que les Jeux olympiques - qui auront également lieu au Brésil en 2016 - ou la Formule 1. «De manière générale, ces grands événements internationaux permettent de renforcer le processus capitaliste d'hygiénisation de l'espace public et la spéculation immobilière, pour expulser de leur logement des centaines de milliers de personnes», dénonce Celia Alldridge. «Mais, heureusement, des alternatives voient le jour. Au Brésil, les inégalités sociales sont criantes, mais les mouvements sociaux sont exemplaires et bougent...»

Aline Andrey

Mercredi 14 mai, à 18h30, E-changer organise une table ronde: «Le sport pour une autre éducation?» au centre socioculturel Pôle Sud (av. Jean-Jacques-Mercier 3 à Lausanne).


Tous les regards tournés vers le Brésil
La semaine dernière, Amnesty international a lancé une campagne mondiale: «Brésil, attention à la faute!» C'est avec cet avertissement que l'organisation de défense des droits humains demande aux autorités brésiliennes de «veiller à ce que les forces de sécurité "respectent les règles du jeu" pendant les manifestations qui devraient avoir lieu avant et pendant le tournoi», indique-t-elle dans un communiqué. La campagne invite la population à envoyer des cartons jaunes à la présidente du Brésil, Dilma Rousseff, et au président du Congrès, Renan Calheiros, pour que soient respectés les droits de chacun à la liberté d'expression et de réunion pacifique pendant le Mondial. Une pétition est également en ligne (www.amnesty.ch/action-bresil). Amnesty rappelle que la répression a été excessive, la police ayant utilisé du gaz lacrymogène et des balles en caoutchouc, lors des grandes manifestations qui se déroulent depuis une année. L'organisation dénonce également la préparation au Congrès national «de nouveaux textes de loi antiterroristes à la formulation vague», qui «menacent le droit à la liberté d'expression et pourraient servir à sanctionner ceux qui prennent part à des manifestations pacifiques».

AA