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Le choix des armes

Portrait de Ian Ashdown.
© Thierry Porchet

Depuis 53 ans, Ian Ashdown restaure des armes anciennes.

Restaurateur d’armes anciennes et d’objets métalliques, Ian Ashdown aime les défis que pose son travail. Incursion dans son atelier

Pousser la porte de l’atelier de Ian Ashdown à Onnens, dans la campagne vaudoise, c’est réveiller des histoires de cape et d’épée, de guerres et de tournois médiévaux, d’honneur et de chevaliers. Un univers familier à ce restaurateur d’armes anciennes et d’objets métalliques, le seul en Suisse à exercer ce métier pointu. «La profession exige inventivité, passion, amour des défis et un brin de folie», affirme cet homme de 70 ans, originaire d’Angleterre, penché sur la réparation d’une armure allemande datant de 1565 et pesant 45 kilos. Une protection appartenant à un collectionneur, portée jadis lors de joutes sportives et de parades. «Pour pouvoir la remettre en état, j’ai pris énormément de photos de modèles similaires au musée historique de Dresde.» Et Ian Ashdown d’expliquer quelques étapes de son travail: réalisation d’ébauches et de chablons, gravures à l’acide et utilisation de l’eau au mercure pour la dorure. Non sans admirer le talent des artisans de l’époque: «Regardez ces lames comme elles s’articulent», apprécie l’artisan montrant les différents éléments mobiles composant l’armure. Et ajoutant, pour souligner encore la finesse et la précision de l’ouvrage: «La Nasa est venue à la Tour de Londres pour étudier les armures de Henri VIII afin de s’en inspirer pour la fabrication des équipements spatiaux.»

Minutie et délicatesse

Sur un autre établi brille une épée datant de la fin du XVIe siècle qui, à son origine, appartenait au garde-du-corps d’un duc allemand. «Il en existe seulement six au monde de la sorte. Il manquait le pommeau. Je l’ai refait et l’ai gravé à la main avec de l’acide en y mettant une touche personnelle», indique Ian Ashdown, en présentant un travail d’une grande minutie et délicatesse. Et le septuagénaire de préciser qu’il remet en état toutes sortes d’armes du XIIe au XIXe siècle dont encore des fusils, des dagues, des arbalètes, etc. «Mais pas d’armes plus anciennes. Après, on entre dans l’archéologie. J’aime les matières encore vivantes. En d’autres termes, les objets qu’on peut encore identifier», sourit Ian Ashdown, séduit par la diversité de sa profession. «On touche à plusieurs métiers, à tous les matériaux – bois, os, métal, corne, écailles de tortue, nacre, cuir et même textiles.» Pour mener à bien sa tâche, l’artisan dispose de centaines d’outils dont de nombreux qu’il a élaborés ou modifiés. Si l’homme se charge de fabriquer des pièces cassées ou manquantes ou de les réparer, il doit aussi parfois défaire des ouvrages antérieurs.

Chutes et restaurations malheureuses

«Ici, on a utilisé des rivets qui ne correspondent pas à ceux initiaux. Je dispose des formes standard, mais les têtes ne possèdent pas les bonnes proportions. Je dois les refaire avant de leur donner un aspect de vieux», souligne l’artisan montrant une autre armure sur laquelle il travaille. «En la démontant, j’ai remarqué tous les problèmes et les incohérences.» La plupart des objets arrivant dans son atelier ont été abîmés par des chutes mais surtout par des restaurations malheureuses, courantes au XIXe siècle. «On ne tenait alors pas compte du modèle original», déplore le manuel qui, pour mener à bien ses travaux, peut s’appuyer sur une bibliothèque renfermant quelque 900 livres. «Je dispose aussi de personnes de contact dans de nombreux musées, susceptibles de m’aider.» Parmi les interventions qui lui ont donné le plus de fil à retordre, Ian Ashdown mentionne la remise en état d’une armure vieille de 570 ans qui se trouvait dans un château en Italie et qui ne pouvait en sortir. «J’ai dû recréer des éléments d’un bras sur la base de photos et de mesures que j’ai prises sur place. Ce travail à distance a représenté un vrai challenge en termes d’harmonie de couleurs, de surfaces. Pour le moins stressant. Heureusement, au montage, tout a collé.» L’artisan cite aussi un autre équipement défensif de style Maximilien datant de 1520 avec, dans ce cas-là encore, un bras cassé en mille morceaux. «J’ai réussi à le reconstruire en recourant à des clichés de musées de Dresde, de Vienne et de New York, et au terme de sept mois de travail. Le job le plus difficile de ma carrière.»

L’Histoire écrite par les armes

Mais comment Ian Ashdown appréhende-t-il le fait de redonner symboliquement vie à des instruments potentiellement mortifères? «Cette situation ne me dérange pas. L’Histoire s’est écrite avec les armes. C’est une bonne raison pour les montrer et expliquer pourquoi il faut renoncer à les utiliser. Pour ma part, je les considère comme des objets d’art.» Des antiquités propriétés le plus souvent de collectionneurs. «Ma clientèle se compose de 80% de personnes des USA, d’Amérique du Sud, de Taïwan et, pour les 20% restants, surtout de musées suisses. Les particuliers sont généralement des passionnés d’histoire. La spéculation, courante sur le marché des tableaux, ne les intéresse pas», affirme le restaurateur qui, de son côté, ne possède pas d’armes anciennes. «Elles m’appartiennent le temps qu’elles se trouvent dans l’atelier. Ça me suffit», lance le pince-sans-rire qui, à peine a-t-il terminé une restauration, songe déjà à la suivante. «Mon travail me relie au passé, mais j’ai toujours une longueur d’avance. Quand je termine un objet, je pense déjà au prochain.» Dans cet ordre d’esprit, le spécialiste a déjà anticipé la relève. «Une universitaire au bénéfice d’un master en conservation et restauration a effectué plusieurs stages à l’atelier et s’intéresse à reprendre l’activité. Réjouissant», déclare Ian Ashdown qui, pour sa part, est entré dans la profession par la petite porte.

Cerveau technique

«J’ai quitté l’école à 16 ans. J’avais un cerveau très technique et je m’intéressais surtout aux travaux manuels où j’avais de bonnes notes», raconte Ian Ashdown. L’adolescent d’alors travaille dans un garage dans la région de Londres où il répare des vélos. Parallèlement, il dessine des châssis de voitures de la marque Lotus. Et les présente au constructeur qui veut l’embaucher. Un déménagement tuera toutefois le projet dans l’œuf. Le manuel postule ensuite à l’atelier d’armes et d’armures de la Tour de Londres, sans avoir pour autant les qualifications requises détaillées dans l’annonce. Il décroche néanmoins un entretien d’embauche. «J’ai été sauvé par la dernière question posée par une des cinq personnes qui m’auditionnaient. Elle m’a demandé ce que je faisais de mes week-ends. J’ai répondu que j’allais voir des courses de voitures anciennes et que je bricolais des vélos. On a vu que j’étais un passionné.» Le métier, l’homme va l’apprendre dans cette structure, essentiellement en observant. Sept ans plus tard, il quitte cet emploi et postule avec succès au musée de la Wallace Collection. «J’y suis resté deux ans. L’ambiance n’était pas terrible. Et on trouvait que je travaillais trop vite...» L’Anglais accepte alors une proposition de l’Institut suisse d’armes anciennes du Château de Grandson, dans le canton de Vaud. «L’idée de m’installer dans ce pays me séduisait. J’y étais déjà venu gamin. J’ai saisi l’occasion et déménagé avec ma famille.» En 1986, Ian Ashdown lance sa propre affaire, continuant, comme il le fait depuis 53 ans, à rendre aux armes anciennes leurs lettres de noblesse.