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L'asile de l'intérieur

Olivier Bossa témoigne dans un livre de sa vie de requérant, de l'aéroport de Genève à la rue

Opposant politique, Olivier Bossa a fui le Togo. Dans un livre, il témoigne de sa vie de requérant, de l'aéroport de Genève à la rue, en passant par la prison de Frambois

Le rendez-vous est pris à Genève, sur une terrasse de café proche de la gare. Mais Olivier Bossa préfère le calme du parc des Cropettes. On s'installe sur un banc, et il parle. «Bavarder» comme il dit, semble être sa thérapie contre la folie, face au système de l'asile qu'il dénonce. Ecrire aussi, lui qui a publié ce printemps «Le journal d'un exilé», émanation de son journal intime qui l'a accompagné du centre d'enregistrement de l'aéroport de Genève, à Frambois et jusqu'à sa «libération». Une liberté toute relative pour celui qui reste expulsable à tout moment. «J'accepte ma situation, au jour le jour. C'est une épreuve à laquelle Dieu me soumet et je ne vais pas le décevoir. C'est notre capacité à accepter et non à subir la situation qui nous conduit souvent à la porte ouverte.»
Olivier Bossa rêve que chacun puisse se déplacer dans le monde librement, comme le font «les Blancs» sur les plages de son pays. Le Togo, que l'opposant politique a dû fuir après la saisie de son ordinateur, lui qui avait déjà vécu l'emprisonnement et la torture. «Pour les autorités suisses, le Togo est calme. Or il l'est, car les gens se taisent. C'est une «démocratie» de père en fils depuis 1967, soutenue par la France. Le soutien de dictateurs africains par l'Europe fait d'elle leur complice.»
Exilé au Bénin, sa fuite est organisée par un passeur, diplomate, contre 5 millions de CFA (plus de 8000 francs). A Cointrin, il est arrêté, et enfermé dans le centre pour requérants d'asile de l'aéroport, où il sera auditionné. «Un grand préjugé d'invraisemblance pèse sur toi lors des auditions. La presse de mon pays était "falsifiable" selon eux. Ils n'ont pas dit "falsifiée". Dans ces conditions, le doute doit bénéficier à l'accusé, non?», relève le diplômé en droit international qui demande une politique d'asile honnête. Et d'ajouter: «Le préjugé premier est que nous sommes de faux réfugiés. Or cela n'existe pas. Même ceux qui viennent pour des raisons économiques sont des réfugiés politiques, car l'économie découle aussi des politiques.»

La prison qui rend fou
Après l'aéroport, Frambois: «La prison rend délinquant, voire terroriste. Je me souviens de nos discussions contre l'Occident, de la haine qui s'installait peu à peu, de nos envies de vengeance», relate Olivier Bossa. Mais les attentats de Charlie Hebdo, en janvier, lui font l'effet d'un électrochoc. Il veut dénoncer les aberrations de ce système qui enferme des innocents, les rend délinquants, fous ou malades, puis les envoie chez des psy, ou les expulse. «La prise en charge, ou non, du demandeur d'asile dépend des moyens de l'Etat», pense-t-il. «Mais je milite contre le renvoi forcé, car je sais comment cela peut détruire un être humain et le conduire à la xénophobie.»
Frambois, un monde à part, un monde absurde, où la maladie en devient même salvatrice. «Les Guinéens étaient heureux de l'épidémie d'Ebola, car ils ne pouvaient pas être expulsés. Et on en venait à être déçus de ne pas avoir le VIH pour avoir un élément à faire valoir pour pouvoir rester...», témoigne sans détour Olivier Bossa, délivré deux mois après son incarcération, dans l'attente de l'arrivée d'une délégation du Togo pour un entretien, et l'organisation du renvoi. A sa sortie, son «papier blanc» (de requérant débouté) l'exclut du monde du travail. «La seule possibilité pour gagner de l'argent reste la drogue. Ma famille au pays ne m'a jamais mis la pression, car j'étais un peu riche chez moi. Peut-être que ça m'a aussi permis de me tenir éloigné de ce trafic. C'est à nous tous de lutter contre ça.»
Reste qu'il sombre dans l'alcool. «Je m'évadais. Je parlais tout seul. Je me foutais de tout. Je n'avais plus rien à perdre. Je devenais fou.» Il refuse de dormir dans un bunker irrespirable. Un ami l'héberge. Mais étant lui-même requérant d'asile, on lui refuse le droit d'offrir l'hospitalité. Une incohérence de plus...
Et puis, un jour, on lui propose de participer à l'atelier d'écriture du Club des aînés de Carouge. «Quand j'ai vu que ce n'était que des vieilles dames, je me suis dit que j'allais rester jusqu'à la fin de l'atelier, par politesse», sourit le trentenaire. «Puis j'ai entendu ce qu'elles écrivaient. Et ça m'a donné goût. J'y suis retourné et j'ai oublié que j'étais le seul homme, jeune et noir.» A ce groupe de retraitées, il dit sa reconnaissance: «Ce sont des personnes rayonnantes d'amour, des âmes pures...» De ces rencontres est né «Le journal d'un exilé», publié en mars à compte d'auteur. Depuis, il veut œuvrer à un autre monde. Début août, il coorganisait «les premières rencontres intergalactiques de proximité», pour «donner le sourire à Genève», explique-t-il avec le sien, grand et chaleureux. Des moments conviviaux qu'il espère encore nombreux, pour partager, mieux se connaître, vivre ensemble...

Aline Andrey

«Le journal d'un exilé» de Olivier Bossa, publié à compte d'auteur, est en vente à la Librairie du Boulevard à Genève ou peut être commandé à l'Agora - Aumônerie genevoise œcuménique auprès des requérants d'asile: 022 930 00 89.