La dessinatrice Tami Hopf ancre ses œuvres sur des corps, des toiles et des murs
Tami Hopf a une vie aussi foisonnante que la nature dans ses tableaux. «D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu étudier les beaux-arts», raconte l’artiste, au sourire lumineux, dans son atelier à Vevey. «Les plantes de mes tableaux viennent de mon enfance. Je vivais dans une maison à quelques heures de São Paulo, au Brésil, où la végétation était luxuriante. J’y ai créé ma propre encyclopédie de fleurs imaginaires.» A 10 ans, elle déménage dans la mégapole de 12 millions d’habitants. «Dans cette ville, je ne vivais pas, je survivais», analyse l’artiste. Influencée par sa très grande famille, pour qui un métier doit avant tout permettre de payer les factures, elle se lance dans des études de graphisme et de marketing. Et ouvre parallèlement une boîte de communication. Malgré son succès, la jeune patronne se lasse et a besoin de déployer ses ailes.
Autour du monde
Le voyage l’appelle. Tout en travaillant, Tami Hopf – diminutifs de Tamires Hopfgartner, mélange de ses lointaines origines portugaise et allemande – se rend au Chili, puis en Argentine, et enfin en Australie pour apprendre l’anglais. C’est à Brisbane, à l’autre bout du monde, qu’elle rencontre son futur époux. «On a été amis six mois. Le jour avant de repartir chez lui, en Suisse, il m’a déclaré son amour», se souvient-elle avec émotion. S’ensuit une relation à distance, des traversées d’Atlantique, une tentative pour lui de s’installer au Brésil. «Mais il a détesté!» confie l’artiste qui décide alors d’emménager à Fribourg, en 2013. Puis, une année après, à Vevey. Tami Hopf a le coup de foudre pour cette petite ville vue sur le lac, où elle trouve rapidement du travail dans une boîte de communication. «Très vite, je me suis rappelée que je ne voulais plus faire de la publicité. Au Brésil, ma créativité pouvait au moins s’exprimer, avec pas mal de folie et de rire. Ici, par contre, c’était chiant! dit-elle en riant. Et puis, faire de la pub pour une multinationale de cigarettes, par exemple, ça me faisait trop mal. Le monde de la communication, c’est de la manipulation de masse. On piège les gens. Ce milieu m’angoissait, même si certains mandats donnaient du sens, comme ceux pour le WWF ou Greenpeace.»
Elle démissionne donc, et dessine, inspirée depuis toujours par Magritte et Frida Kahlo, puis Klimt, Bosch et Brueghel, entre autres peintres… «Au Brésil, je n’étais jamais seule. Jamais. Ici, j’ai appris la solitude, et à me connaître. Mes dessins ont alors complètement changé. J’ai aussi voulu retrouver l’usage de mes mains, m’éloigner de l’écran, créer avec simplicité: une feuille et un stylo.» De cette évolution découle un style aux traits et petits points fins; des êtres aux yeux cachés, en introspection, qui tombent les masques; des personnages entourés et traversés de nature: plantes, oiseaux, serpents, mer, lune, étoiles… «Ce qui m’inspire, c’est le monde intérieur infini de chaque être humain. Et ses contradictions: comment peut-il détruire ce qui lui permet de vivre, la nature, sa source de vie?»
De l’immense au minuscule
Ecologiste et féministe, elle fait sa place dans l’espace public et le monde si masculin des graffeurs, en commençant par une peinture sur un coin de mur discret de Saint-Prex, avant sa première fresque sur une maison de Lisbonne. «Dans la rue, j’adore l’énergie des interactions avec les gens. C’est très physique. Je dessine sans recul, dans la verticalité avec des rouleaux et des pinceaux immenses, face au soleil, au vent, à la pluie.»
Ses œuvres s’admirent aussi à des arrêts de tram à Genève, et sur un immeuble, voué à la destruction, au sud des quais de la gare à Lausanne. Pour ce dessin éphémère, baignée de nostalgie, elle a peint trois jours durant sur un monte-charge, avec le collectif d’artistes «Traces de passages».
Du très grand, et du très petit, pour Tami Hopf qui ancre aussi ses œuvres à vie, dans la peau. «C’est en voyant que certains de mes dessins commençaient à être tatoués sur des gens que j’ai eu envie de me lancer dans cet art, pour que ce soit plus juste, plus cohérent. Même si cela me faisait peur de porter tant de responsabilités. Avant de commencer, je voyais le tatoueur presque comme un dieu qui n’a pas droit à l’erreur. C’est la maîtrise ultime», explique l’artiste méticuleuse, qui ne trouve alors pas de formateur en Suisse, mais dont les envies sont si fortes qu’elles semblent provoquer d’incessantes conjonctions d’étoiles. A l’occasion d’un congrès d’illustrations à Berlin, elle rencontre un artiste argentin, tatoueur. «Il m’a tout appris. Et je continue d’apprendre sur les limites du corps, l’anatomie, et les motivations des gens. Certains veulent exprimer une idée, une histoire, rendre hommage, marquer une période de leur vie. D’autres ont une approche purement esthétique.» Si elle passe du temps avec ses clients pour discuter, dessiner, tester au millimètre, rien de tel en ce qui concerne sa propre peau. «J’aime avoir la surprise. Je donne quelques mots-clés au tatoueur et je lui fais confiance.» Sur son avant-bras, un papillon de nuit; à l’épaule un visage de femme d’où s’élance un oiseau, autant de thèmes qui se retrouvent dans ses œuvres. Son premier tatouage, sur le pied, est une phrase d’un poème de son grand-père qui lui disait toujours de semer des fleurs sur son chemin. Ce qu’elle fait. «Je reçois beaucoup de témoignages de personnes pour qui mes fresques murales et les tatouages ont transformé leur quotidien. C’est vraiment touchant», s’émeut l’artiste, si heureuse aussi de voir ses fresques dans le nouvel hôpital Riviera-Chablais. Elle espère ainsi apporter un peu de réconfort, de poésie et de douceur au travers de ses mondes surréalistes où la nature et l’humain ne font qu’un.