L’après-coronavirus sera-t-il vert?
Plusieurs organisations et spécialistes appellent à des plans de relance en accord avec la protection du climat
«Vous avez entre vos mains une opportunité extraordinaire d’entamer dès aujourd’hui la transformation écologique et sociale que vous savez déjà indispensable et nécessaire à très brève échéance. La brutalité de cette pandémie montre que le modèle économique actuel a des pieds d’argile. Toutes et tous, nous prenons conscience de notre incroyable vulnérabilité, mais aussi de l'occasion unique qu'elle représente de mettre en route le changement systémique qui s’impose dès maintenant.» Cet extrait de la lettre ouverte d’Extinction Rebellion (XR) adressée au Gouvernement suisse le 29 mars fait écho à la position de nombreux mouvements écologistes, dont la Grève du climat et Greenpeace. Car, sous la crise sanitaire temporaire, la crise écologique continue de sourdre. Et ce, malgré la diminution de la pollution ces derniers mois. La destruction des écosystèmes, notamment des forêts, est à l’origine même de la pandémie du Covid-19, comme d’autres maladies avant elle (SRAS, Ebola…). Les animaux sauvages, exploités ou dont les habitats ont été détruits, sont dès lors plus proches des humains non immunisés contre leurs agents pathogènes. Une piste, à l’aune des plans de relance à venir, est ainsi de conditionner l’aide publique à une transition écologique.
Sortir des énergies fossiles
«Les différentes mesures de soutien financier à long terme de la Confédération, des cantons et des banques doivent favoriser l’émergence d’une économie à bas carbone et plus résistante aux différentes conséquences du réchauffement climatique, estime Georg Klingler, expert du climat chez Greenpeace Suisse, dans un communiqué de l’ONG. Si nous voulons éviter autant que possible des crises d’une ampleur similaire à l’avenir, nous devons tout faire pour limiter le réchauffement climatique.» Entre autres mesures: la promotion de l’agriculture biologique – bien plus résiliente que l’agro-industrie –, la restructuration du secteur énergétique en soutenant un essor rapide de l’énergie solaire et des renouvelables, et la conversion énergétique du parc immobilier. Et ce, afin de réduire les émissions de CO2, mais aussi parce qu’une industrie énergétique locale crée des emplois plus sûrs à long terme. Même le directeur de BlackRock souligne, dans Le Temps, la résilience plus élevée des investissements dans les énergies renouvelables (plutôt que fossiles). «C’est devenu un argument non seulement écologique mais aussi de bonne gestion, souligne Augustin Fragnière, chercheur au centre interdisciplinaire de durabilité de l’Université de Lausanne. Les énergies fossiles ont peu d’avenir à court et à moyen terme. Car nous serons obligés de les laisser dans le sol pour ne pas générer une catastrophe.»
La justice sociale en jeu
Dans sa lettre, XR demande de restreindre drastiquement l’aide publique aux multinationales polluantes qui doivent continuer à payer leurs employés grâce à leurs fonds propres (durant un temps déterminé). «Les sommes économisées de la sorte par l'Etat pourront être redistribuées, à l'échelle de l'économie locale», estime XR. Soit les artisans, les ouvriers, les agriculteurs, les infirmières, les nettoyeuses, les vendeuses, les acteurs du monde culturel, les petites PME, les indépendants… «Le tissu régional doit être sauvé, sans condition», ajoute Augustin Fragnière. «Mais des conditions environnementales devraient accompagner le soutien aux secteurs les plus polluants: les multinationales, les secteurs de l’énergie et de la mobilité, comme l’industrie automobile ou l’aviation.»
La plateforme Ignorance Unlimited va même plus loin. Dans une pétition, soutenue par les Verts genevois notamment, elle demande à la Confédération de ne pas venir en aide aux compagnies d’aviation telles que Swiss ou Easyjet. Cet argent devrait être investi pour «une société socialement et écologiquement durable et solidaire, dans laquelle le prix d'un billet de train serait accessible et ne coûterait pas plus cher qu'un billet d'avion».
Pétitions en cours sur greenpeace.ch et act.campax.org
«L’anticipation est la grande leçon du Covid-19»
Trois questions à Augustin Fragnière, docteur en sciences de l’environnement, philosophe et chercheur au centre interdisciplinaire de durabilité de l’Université de Lausanne.
La pandémie actuelle nous donne-t-elle une occasion de revoir notre système fondé sur les énergies fossiles?
Il y a un potentiel à mon avis, une chance à saisir, mais cela ne va pas se faire automatiquement. Le réflexe de repli sur des solutions connues pourrait provoquer un effet rebond en termes de consommation et d’augmentation des gaz à effet de serre. Mais il s’agit de mettre à profit ce temps pour réfléchir à la suite. Pour les mouvements, comme la Grève du climat, c’est peut-être un moment de recul bénéfique pour affûter leurs armes après la crise. Car il va falloir rappeler aux politiques que le climat est un enjeu prioritaire.
Le politique revient en force. Est-ce une bonne nouvelle?
Cette crise permet aux politiques de reprendre les rênes par rapport aux acteurs économiques. Le rôle du service public se réaffirme en tant qu’élément indispensable au citoyen. Mais les signaux sont contradictoires. Le directeur de l’Agence internationale de l’énergie ou la présidente de la Commission européenne appellent à saisir la possibilité d’une transition. Mais il y a aussi des forces contraires. Dans le plan de relance chinois, la construction de centrales à charbon est prévue. Et le Canada a décidé de soutenir son secteur d’énergie fossile, notamment les sables bitumineux dans l’Alberta. Les enjeux d’un plan de relance durable ou d’un plan sans nouvelle taxe et sans conditions vont s’affronter dans les parlements… Et pourtant en regard des milliers de milliards investis dans cette crise, la transition énergétique n’est pas si coûteuse, surtout que le prix du dommage écologique sera bien plus élevé que celui de la transition énergétique.
Les mesures d’une ampleur unique face à l’épidémie de Covid-19 tranchent avec celles qui n’ont pas été mises en œuvre contre le réchauffement climatique…
Le changement climatique est décalé dans le temps. Les bénéfices des mesures prises ne sont pas immédiats, et pourtant elles doivent être appliquées maintenant. L’anticipation est la grande leçon du Covid-19. Le plus tôt est le mieux. Si pour ce virus, c’est une histoire de quelques jours ou de quelques semaines, pour le climat, la prévention est tout aussi essentielle, mais se compte en années, voire en décennies. C’est-à-dire qu’il nous faut agir maintenant pour que cela ne soit pas trop tard. Cette idée de décalage dans le temps est difficile à transmettre dans notre société obsédée par le court terme. Le changement climatique reste un phénomène abstrait, les événements extrêmes faisant des victimes surtout dans des pays lointains, même si ses conséquences commencent de plus en plus à se faire sentir ici. Cela reste moins prégnant que la peur de voir nos grands-parents mourir du coronavirus.