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La science-fiction parle de la condition humaine

Directeur de la Maison d'Ailleurs Marc Atallah a fait de la SF son domaine de prédilection mais pas sa passion

Vous croyez que la science-fiction esquisse le monde du futur? Qu'elle anticipe sur ce qu'il adviendra de la planète et des êtres? Faux, tranche Marc Atallah, directeur de la Maison d'Ailleurs, à Yverdon-les-Bains, et spécialiste du genre, qui précise qu'elle ne fait que parler... de la condition humaine, dans des mondes qui pourraient s'apparenter au nôtre. «La science-fiction montre en effet plutôt la relation qu'entretient l'homme avec les sciences et ses utopies technologiques. Mettant une distance entre celui-ci et l'univers dépeint, elle crée des interactions et lui donne la possibilité de s'interroger sur ce rapport... Elle remplit un rôle anthropologique. Le genre ne prédit pas l'avenir. Il ne se situe pas dans l'extrapolation mais s'inspire de choses réelles, existantes. Il est une actualisation narrative de la virtualisation scientifique et technologique.» Une «démystification» qui n'ôte en rien le plaisir que trouve Marc Atallah à exercer son métier. Au contraire.

Double casquette
«Le jour où neuf personnes sur dix ne lieront plus le genre à l'anticipation, je perdrai de l'intérêt à remplir cette activité. Je ne suis pas passionné par la science-fiction mais plus par son milieu et son caractère méconnus. J'apprécie surtout partager mes connaissances, favoriser la compréhension du phénomène SF, qu'il se décline, dans sa forme narrative, dans la littérature, la BD, ou le cinéma» note le jeune homme de 34 ans qui dirige depuis deux ans la Maison d'Ailleurs. Un travail à temps partiel (60%) aux multiples facettes. «Décrire mon quotidien? Difficile. Aucun jour ne se ressemble. Je m'occupe des concepts d'exposition, de l'écriture de textes et d'articles, de l'administration, de l'encadrement du personnel, des relations publiques...» énumère Marc Atallah qui a aussi la casquette de maître d'enseignement et de recherche à l'EPFL et à l'Université de Lausanne où il se consacre également à la science-fiction au sens large. Ses sujets? Les genres littéraires, les jeux vidéo ou encore les superhéros. «Ces activités professionnelles se nourrissent mutuellement et mêlent pratique et intellect... Les cours sont appréciés. Et les étudiants font souvent preuve de davantage d'ouverture que les professeurs, sans entrer dans une hiérarchisation esthétique.»

Ni Dieu ni Satan
Mais si Marc Atallah en connaît un registre en matière de SF et estime, au demeurant, qu'il y a très peu de bons auteurs dans cette catégorie, «comme dans la littérature réaliste», il ne limite pas ses lectures à ce genre. «Ma bibliothèque est improbable. Je suis un grand lecteur. Je consomme toutes sortes de livres» affirme cet homme, titulaire d'un double master en physique théorique de l'EPFL et en lettres. «Antinomiques? Certainement pas. Les deux domaines sont rigoureux et rationnels et utilisent chacun un langage qui leur est propre», note Marc Atallah qui garde au quotidien une certaine distance avec les sciences et la technologie. «Ni Dieu ni Satan. J'ai de l'intérêt pour ce qui se passe mais sans plus. Je ne possède pas de télévision. C'est un tue-l'amour dont on peut rapidement devenir dépendant.» Comment le directeur de la Maison d'Ailleurs voit-il le monde dans le futur? «Aucune idée. Je remarque cependant qu'au cours de ces dernières décennies, il n'a pas beaucoup changé, avec son lot de catastrophes, de souffrances et joies habituelles. Peut-on freiner l'entêtement libéral pour le profit et la croissance? Il le faudrait, mais comment? Je rêve en tout cas d'un monde où l'on prendrait davantage de temps pour s'arrêter et réfléchir» relève cet homme marié et père d'un enfant qui se passionne pour les gens et sa famille. Sensibilité qu'il attribue aussi à ses origines du Sud, de par son père libanais. «J'aime être entouré... J'ai aussi un petit côté tragique, une tendance à l'exagération, hérités du Moyen-Orient.»

A chacun son superhéros
Doté d'un caractère fort, impulsif mais aussi capable de rester zen, plutôt consensuel même si «la bêtise gratuite qui confine à la méchanceté et l'intolérance» le fâche, Marc Atallah pose sur l'existence un regard optimiste, teinté d'une bonne dose de cynisme. Et d'un zeste de provocation, lui qui aime se confronter à d'autres modes de pensée que le sien. «Ma devise dans la vie? Apprenons de nos erreurs mais ne les remuons pas tout le temps. Inutile de ressasser», relève Marc Atallah qui, interrogé sur la présence éventuelle d'une vie extraterrestre, trouverait «plutôt marrant qu'on soit tout seul». «On aurait une chance incroyable...» Quant à son superhéros, on ne le trouvera pas dans la SF. Il n'a rien d'un surhomme ou d'un cyborg. Mais reviendra plusieurs fois dans la conversation... «C'est mon fils. C'est le seul être qui a autant de pouvoir sur moi», confie le directeur de la Maison d'Ailleurs attendri par ce premier enfant âgé de six mois. «Une vraie révolution dans ma vie.» Comme quoi, la réalité finit toujours par dépasser la fiction...


Sonya Mermoud