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La psychologie n'est pas un luxe

Sofia Guaraguara s'engage auprès des migrants à Genève. En avril dernier elle a reçu le prix

Sofia Guaraguara, psychologue et psychanalyste, a reçu le prix «Femme exilée, femme engagée» de la ville de Genève le 1er avril dernier. Cette pétillante femme de 45 ans a consacré son temps à soutenir les personnes migrantes à Genève ces dix dernières années. Que ce soit à travers son association «Encuentro-Rencontre» ou dans ses activités professionnelles au groupe Sida-Genève, à L'Entraide protestante Suisse (Eper), à la Croix-Rouge ou au Bureau de l'égalité hommes-femmes. Ce prix, symbolique, est décerné chaque année à plusieurs femmes qui ont «des parcours modèles d'intégration et d'engagement». Une distinction qui a profondément touché Sofia Guaraguara: «On ne reçoit pas tous les jours une reconnaissance officielle pour son engagement», lâche-t-elle pudiquement.

Etre auteur de sa vie
Sa sensibilité la pousse très tôt à s'intéresser aux autres dans son pays d'origine, la Bolivie. «Vers l'âge de 15 ans, j'ai organisé une fête pour les pensionnaires d'un foyer d'aveugles. Au début, l'idée était de leur offrir un repas, mais j'ai vu qu'il y avait quelque chose de plus important à mettre en place. En formulant leur désir de jouer de la musique et de danser, ils ont pu être les auteurs de leur propre fête. J'ai compris à ce moment-là que chaque personne sait ce quelle veut en son for intérieur et j'ai eu envie de contribuer à rendre ce désir réalisable.»
C'est avec cette orientation qu'elle décide de travailler auprès des enfants de la rue dans sa ville de Cochabamba, durant ses études à la faculté de psychologie: «Un jour qu'ils avaient accepté de me rencontrer, je leur ai demandé ce qu'ils voulaient faire. Ces enfants et adolescents ont réclamé en priorité un espace d'écoute. Parallèlement je me suis lancée avec eux dans l'organisation d'une course à pied. Parmi les prix qu'ils ont choisis: une caisse de matériel à cirer les chaussures pour le premier arrivé. Avec cet outil de travail, nombre d'entre eux survivent au quotidien. Le jour J, nous avions 60 à 70 coureurs sur la piste de départ», sourit-elle. Une conception de l'auto-organisation des populations défavorisées qui contraste avec les habitudes d'assistanat des ONG.
Lors de son départ pour Genève en l'an 2000, motivé pour des raisons de formation, ces jeunes lui ont demandé: «Et maintenant, qui va rester avec nous?» «J'ai été interpellée. Après réflexion, j'ai créé avec des collègues une association sur place, qui s'appelle Uyarina-Punto de encuentro.» Il s'agit essentiellement d'un espace d'écoute pour les enfants et adolescents dans le besoin. Une première en Bolivie!

Extrême précarité en Suisse
C'est dans la continuité que Sofia Guaraguara s'est mobilisée en Suisse pour répondre à la détresse psychique de personnes migrantes en grande précarité. Dans ce but, elle a créé avec des collègues une association et a travaillé avec différentes organisations à la mise en place de démarches novatrices pour toucher les populations étrangères les plus défavorisées, généralement sans papiers: allant à leur rencontre dans les parcs de Genève ou dans leurs lieux de réunions, les églises et les réseaux informels. Des contacts personnels tissés patiemment qui permettent d'orienter, de conseiller et surtout... d'écouter. «Les femmes, particulièrement touchées, vivent une exclusion très forte et une chute terrible provenant du déclassement social qu'elles subissent - la plupart disposent de qualifications alors qu'elles font ici le ménage ou gardent des enfants. Elles tombent aussi de haut après avoir idéalisé la vie en Europe.» Nombre d'entre elles se sacrifient pour faire subsister la famille au pays. Certaines y ont même laissé des enfants en bas âge aux bons soins des grands-parents. Pour Sofia Guaraguara un constat s'impose: «La prise de parole les amène à prendre pleine conscience de leur situation émotionnelle. Cela leur permet de clarifier, conforter ou remettre en cause leurs choix de vie en connaissance de cause», explique-t-elle.

Prix à payer trop élevé

Pour nombre de migrantes précaires, le prix à payer est bien trop élevé. «L'amour, les liens sociaux, le niveau de vie pâtissent gravement de leur nouveau mode de vie.» Dépressions, maladies psychosomatiques, manques émotionnels insupportables font partie des symptômes courants des femmes migrantes sans papiers. Les hommes, en minorité, sont eux aussi souvent en crise: «La migration ici se caractérise bien souvent par un renversement des rôles. Ce sont les femmes qui vont travailler - car on recherche généralement du personnel dans l'économie domestique - alors que leurs compagnons restent à la maison et s'occupent des enfants. De nombreux hommes se sentent dévalorisés, avec à la clef des frustrations, du mal-être et des conflits dans le couple», explique-t-elle.
Aujourd'hui, Sofia Guaraguara entame la seconde partie de son diplôme de master en psychoanalyse à Paris et continue sa formation dans le cadre de l'Association mondiale de la psychanalyse (AMP). Elle a ouvert son propre cabinet de psychothérapeute FSP et de psychanalyste et travaille avec ses collègues pour que l'association «Encuentro-Rencontre», connaisse une nouvelle vitalité. Avis aux amateurs!


Christophe Koessler