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La protection contre le dumping salarial est une priorité non négociable

L'Union syndicale suisse exige le respect des mesures d'accompagnement tant face à l'Europe que sur le plan intérieur

Pas question de mettre les mesures d'accompagnement sur la balance des futures négociations bilatérales avec l'Union européenne. La protection contre la sous-enchère salariale doit rester une priorité non négociable. L'Union syndicale suisse est prête à lancer un référendum si ce principe devait être bafoué. Elle exige également le respect et le renforcement des mesures contre le dumping en Suisse.

L'approbation par les salariés suisses des accords bilatéraux avec l'Union européenne (UE), et plus précisément de celui portant sur la libre circulation des personnes, repose en grande partie sur la garantie d'une protection des salaires contre la sous-enchère, par le biais de mesures d'accompagnement.

Jurisprudence catastrophique
Or, cette garantie est aujourd'hui en danger. Les autorités de l'Union européenne multiplient en effet les signes d'agacement et les critiques contre les mesures de protection des salaires helvétiques, pourtant renégociés il y a deux ans. Par ailleurs, elles souhaitent que la Suisse accepte de se plier à l'évolution du droit européen. «Ce point est particulièrement dangereux pour le système suisse de protection des salaires car la jurisprudence de la Cour européenne de justice s'est développée dans un sens catastrophique à l'encontre des intérêts des salariés ces trois dernières années», tonne Paul Rechsteiner, président de l'Union syndicale suisse (USS). Exemple révélateur, la jurisprudence européenne dit aujourd'hui que le salaire et les conditions de travail ne sont pas déterminés par le lieu où s'effectue la prestation mais par le lieu de provenance du travailleur. C'est exactement le contraire de ce qui prévaut en Suisse, dans le cadre de ses accords avec l'Europe. Autre exemple, avec ses arrêts «Laval», «Viking», «Rüffert» et «Luxembourg», la Cour de justice européenne interdit de fait des mesures d'accompagnement en Allemagne, Finlande, Suède et au Luxembourg.

Visite à Bruxelles    
A la veille de la rencontre, le 8 février dernier à Bruxelles, de la présidente de la Confédération Micheline Calmy-Rey avec le président de la Commission européenne José Manuel Barroso, l'USS a tenu à lancer un avertissement: pas question de lâcher le moindre lest sur les mesures d'accompagnement. Elles ne sont pas négociables! «Il ne doit pas y avoir de concessions et d'assouplissement sur ce point, ni dans la réglementation juridique, ni par le biais d'une reprise de l'évolution juridique de l'UE dans un paquet de négociation», précise Paul Rechsteiner.
La rencontre helvético-européenne à Bruxelles ne portait que sur un premier échange de vues sur le futur institutionnel des relations entre la Suisse et l'Europe. Rien n'a donc encore été décidé. La commission espère que l'esquisse des «Bilatérales III» puisse être livrée par les experts des deux parties avant fin mars prochain. José Manuel Barroso a particulièrement insisté sur le fait d'ancrer dans les accords la nécessité de coopérer dans la lutte contre l'évasion fiscale. Et sur ce point, les syndicats redoutent que le lobby suisse de la finance et ses relais politiques ne cherchent à se soustraire à cette contrainte en poussant les négociateurs suisses à sacrifier plutôt les mesures d'accompagnement contre la sous-enchère salariale.

Menace de référendum  
L'USS exige du Conseil fédéral «qu'il dise clairement qu'il n'y aura pas de concessions sur les conditions de travail et les mesures d'accompagnement lors du processus de négociation avec l'UE». Renzo Ambrosetti, coprésident d'Unia, avertit que «les syndicats n'accepteront en aucun cas un assouplissement» de ces règles. Si les nouveaux accords bilatéraux avec l'Europe devaient se solder par un recul de la protection des salaires, «Unia et l'Union syndicale suisse lanceront un référendum».


Pierre Noverraz


 

Mettre fin aux dérapages contrôlés des salaires
Des corrections et des améliorations des mesures d'accompagnement sont exigées

«Il est temps de repenser les mesures d'accompagnement. Le désordre actuel et le déni de réalité sont en train de conduire la voie bilatérale dans une impasse. Une protection efficace des travailleuses et travailleurs contre le dumping salarial s'impose, et sans tarder.» Renzo Ambrosetti, coprésident d'Unia, s'élève contre le laxisme en matière de contrôle du travail et demande non seulement le respect des règles établies mais aussi un certain nombre de corrections pour éviter la pression sur les salaires par le biais d'une concurrence faussée.

Régime de cautions
Premier point, il faut généraliser le régime des garanties. Explications: les entreprises étrangères qui détachent du personnel en Suisse le font trop souvent en violation de la législation et des conventions collectives. Les amendes dont elles sont frappées restent dans bien des cas impayées. Pour éviter cela, les partenaires sociaux de certaines branches (plâtrerie-peinture, isolation, technique du bâtiment, échafaudage, etc.) ont ancré dans leurs conventions l'obligation pour ces entreprises étrangères, mais aussi pour les entreprises suisses, de fournir des cautions. «Ce régime devrait devenir la règle dans toutes les branches à la merci du dumping salarial», plaide Renzo Ambrosetti.

Responsabilité solidaire
Deuxième point, il faut une responsabilité solidaire au lieu de l'irresponsabilité organisée. Explication: un nombre de plus en plus important d'entreprises confient une partie de leur production à des sous-traitants. Cette pratique se traduit parfois par de véritables chaînes de sous-traitants dans lesquelles se diluent les responsabilités. A quelles conditions les travaux (ou les prestations de services) sont-ils effectués? Qui sont les donneurs d'ordre? Qui a décidé quoi, quand et comment? Ces questions restent souvent sans réponse valable car les acteurs de la sous-traitance, abrités par la complexité de l'écheveau des responsabilités, ont beau jeu de se renvoyer la balle. Les salariés concernés, pour la plupart des travailleurs détachés de l'UE, sont pratiquement sans défense contre la sous-enchère salariale et la précarité de l'emploi. «Pour mettre fin à cette irresponsabilité organisée il faut édicter des règles claires qui imposent aux entreprises générales compétentes en dernier lieu de veiller au respect des salaires et des conditions de travail en vigueur», revendique Renzo Ambrosetti, lequel note qu'un tel système fondé sur la responsabilité solidaire existe déjà dans huit pays de l'Union européenne.

Faux indépendants
Troisième point, il faut lutter contre le phénomène des faux indépendants. On assiste ces derniers temps à un afflux croissant de travailleurs que leurs employeurs font passer pour des indépendants afin de contourner la législation suisse du travail. Le phénomène de ces faux travailleurs indépendants, essentiellement en provenance des pays voisins, a démarré dans les régions frontalières et s'étend aussi ailleurs en Suisse alémanique. Il touche principalement les branches de la construction telles le béton armé, le carrelage, la peinture ou l'isolation. «Aujourd'hui, prouver que quelqu'un est un faux indépendant est une démarche très lourde. Jusqu'à ce que cette preuve soit fournie, les travaux sont souvent déjà terminés», déplore Daniel Lampart, économiste en chef de l'USS, lequel demande la mise en œuvre de nouveaux instruments légaux permettant de lutter contre cette forme de dumping salarial.
Pour Renzo Ambrosetti, il est également urgent de combler les lacunes dans les branches dont la couverture conventionnelle est incomplète, comme le nettoyage «où les entreprises employant six personnes ou moins versent des salaires systématiquement inférieurs à ceux pourtant modestes inscrits dans la CCT».

PN



Les exigences d'Unia

Renzo Ambrosetti estime que les problèmes de dumping salarial sont «explosifs» et «apportent de l'eau au moulin des forces xénophobes». Le coprésident d'Unia considère que «si le monde politique ne défend pas aujourd'hui les mesures d'accompagnement avec la fermeté qui s'impose et néglige de sanctionner les employeurs fautifs, la voie bilatérale n'aura pas d'avenir». Dans cette optique, Unia demande la répression des formes d'emploi illégales sur la base de prescriptions uniformes à l'échelle suisse. En voici le résumé:
• régime d'annonce étendu aux indépendants et aux entreprises unipersonnelles (annonce huit jours au préalable pour toutes les activités, y compris dans le cas des travailleurs indigènes);
• renversement du fardeau de la preuve de l'indépendance (en cas de doute, le soi-disant indépendant sera traité comme un salarié);
• extension des CCT et des contrats types de travail (CTT) aux indépendants et aux sociétés unipersonnelles;
• responsabilité solidaire des entrepreneurs généraux quant au respect des conditions salariales et sociales (y compris pour les travaux confiés aux entreprises unipersonnelles et aux indépendants);
• création d'une liste des «sous-traitants légaux», c'est-à-dire de ceux respectant la loi et les conditions de travail;
• sanctions sévères contre les donneurs d'ouvrage fautifs (en cas de récidive, exclusion des appels d'offres des marchés publics);
• obligation de fournir des sûretés (cautions).

PN