En collaboration avec Unia, Philippe Narbel, dirigeant de l’entreprise Manufactor SA, propose une initiation à cette discipline. Reportage dans la vallée de Joux.
Aujourd’hui, il n’existe aucune formation officielle en Suisse pour être diplômé en décoration horlogère. C’est un métier que l’on apprend sur le tas, directement dans les entreprises. Il s’agit pourtant d’un savoir-faire pointu qui a toute son importance dans cette industrie, notamment dans la haute horlogerie. «La décoration horlogère amène une valeur esthétique au composant, une touche personnelle à l’objet qui va venir changer le produit final que le client aura autour du poignet», explique Philippe Narbel, horloger passionné aux multiples casquettes, et notamment formateur en décoration horlogère. Il propose depuis quelques années des formations plus ou moins longues au sein de son entreprise Manufactor SA, fondée il y a dix ans, nichée dans la vallée de Joux.
Une communauté internationale
«La demande de formation est forte dans le domaine de la décoration, poursuit-il. J’ai commencé avec une master class au Sentier à l’Ecole technique, puis je me suis lancé de manière indépendante sur un coup de tête, et ça a pris.» En 2023, il forme des Américains, il sera ensuite invité à Paris, puis à Los Angeles. Aujourd’hui, des participants de toute l’Europe viennent jusqu’à lui, ce qui détone dans un secteur industriel qui préfère garder ses secrets de fabrication. «On partage notre savoir-faire, on a créé une grande communauté.» Face à ce succès, Philippe Narbel se met en contact avec Noé Pelet, secrétaire syndical de l’industrie à Unia Vaud, et ils imaginent ensemble un programme plus court, initiatique, dispensé sur trois jours et proposé aux membres depuis 2024. Aujourd’hui, Manufactor SA a une salle complètement consacrée à la formation.
Découvrir de nouvelles techniques
L’initiation permet de découvrir les techniques d’anglage, de limage, d’étirage, de sablage, de perlage et de moulure. La clé de la décoration horlogère? Avoir les bons outils! Les participants vont manier différentes limes, des cabrons ou encore de la diamantine qu’ils appliqueront avec des gentianes, ramassées, puis séchées, pour donner un effet brillant à la pièce. «Ils vont travailler d’abord en ligne droite, puis sur des angles, précise Philippe Narbel. Le saint graal de la décoration horlogère, c’est les angles rentrants.» Ce cours ne s’adresse pas forcément à des horlogers, mais à des travailleurs de la branche qui auraient envie de se tester et de découvrir pour éventuellement se réorienter. «C’est un savoir-faire qui se perd, car les techniques de CNC (Computer numerical control) avancent très vite et il est important de le préserver. C’est un domaine très différent du travail à la chaîne dans l’industrie. Ces trois jours sont valorisants, car on commence une pièce le matin qui sera terminée le soir.»
Continuer à apprendre
En ce début de mois d’avril, et dans un cadre aussi beau que reposant face au lac de Joux, six travailleurs et travailleuses ont décidé de s’essayer à la décoration horlogère. Tiago est polisseur à La Pierrette et a eu vent de cette formation via Unia. «J’aime tout ce qui est minutieux, ce n’est pas simple mais ça me plaît.» Désireux d’apprendre, il a déjà suivi une autre formation financée par Unia sur les montres mécaniques. «Si cette initiation peut m’ouvrir des portes et qu’à l’avenir, je peux m’orienter vers la décoration horlogère, c’est un plus!» A sa droite, Cyril, un ancien collègue polisseur, est au chômage depuis deux mois. «Cette formation m’a été proposée par le syndicat. Ce travail n’a rien à voir avec ce que je faisais, mais cela me permet de découvrir autre chose et, pourquoi pas, m’en servir pour plus tard.» Yosvani, horloger chez Blancpain, est admiratif de ce travail de décorateur, dans lequel tout est fait à la main. «Nous avons de plus en plus recours aux machines dans l’horlogerie, le travail manuel se perd et c’est dommage…»
Pour Alan, technicien qualité chez CHH, c’est une première. «Je suis derrière un ordinateur toute la journée, donc découvrir la matière, manipuler les outils et les pièces, c’est nouveau pour moi.» C’est Unia qui a distribué des flyers à la sortie de l’entreprise pour informer le personnel de l’existence de cette formation. «Cette expérience technique et pratique pourra m’aider dans mon travail de contrôle de la conformité et de la qualité des pièces. Jusque-là, je n’avais pas la notion de l’homogénéité ou de la régularité d’un angle. Maintenant, je vais être plus pointilleux!»
Elisabete et Pauline sont toutes deux opératrices CNC: elles travaillent sur des machines, comme des contre-perceuses ou des crevoisiers, qui produisent des pièces d’usinage. «Je travaille chez Breguet depuis vingt ans et je n’ai jamais eu l’opportunité de me former à la décoration, donc quand un collègue m’en a parlé, j’ai sauté sur l’occasion. Ça me plaît énormément. Mon travail actuel n’est pas du tout manuel et je trouve intéressant de pouvoir voir autre chose, aller plus loin, évoluer et peut-être changer de poste un jour pour mettre ça en pratique.» Pauline a aussi soif d’apprendre: «J’adore mon métier et je suis curieuse de découvrir les autres étapes de production. Je fais un petit peu de décoration, mais ce n’est pas aussi manuel. Cette formation m’a permis de voir si la discipline pouvait me plaire et si j’en étais capable, je remercie donc Unia pour cette belle opportunité!»