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La construction de la figure du «faux réfugié»

Au centre d’acceuil de requérants d’asile à Genève.
© Olivier Vogelsang

Centre d’acceuil de requérants d’asile à Genève. L’ouvrage collectif revient sur l’évolution de la représentation du demandeur d’asile et les dégâts humains et sociétaux de la politique du soupçon dans les discours et les pratiques.

Dans un livre collectif, des chercheurs décryptent l’évolution du droit d’asile suisse à l’aune du discours sur les prétendus abus. Une posture politique qui permet d’asseoir la légitimité de l’Etat

Le 1er janvier 1981, la Loi sur l’asile entrait en vigueur en Suisse. Quarante ans et dix révisions plus tard, la politique d’octroi du statut de réfugié est de plus en plus restrictive. Ces durcissements ont été accompagnés d’un discours généralisé fondé sur la notion d’abus. Un ouvrage collectif de chercheurs romands et suisse-alémaniques revient sur l’évolution de la représentation du demandeur d’asile. En résumé, il montre qu’avant cette loi, l’accueil des personnes en fuite, majoritairement européennes, relevait d’une position géopolitique de l’Occident contre les Etats communistes. Les réfugiés d’alors servaient, de surcroît, le monde du travail en quête de main-d’œuvre. Dès les années 1980, les discours dominants sur les «faux réfugiés» ou «réfugiés économiques» ont polarisé les débats et généré une criminalisation des migrants sous prétexte de garantir un droit d’asile aux «vrais réfugiés». Les restrictions de plus en plus nombreuses dans l’octroi d’un permis et dans les conditions d’accueil ont été accompagnées de la construction d’un imaginaire de l’abus à tous les échelons, de la rue au Parlement en passant par les bureaux d’audition et les centres de détention. Il en ressort une construction péjorative autour du «réfugié économique», qui ne tient pas compte des «relations de causalité entre économie, violence et oppression». Les dégâts humains et sociétaux de cette politique du soupçon dans les discours et les pratiques sont, eux aussi, ignorés. Ce biais est renforcé par la désinformation, l’absence de sensibilisation et d’interactions.

Trois questions à Anne-Cécile Leyvraz, collaboratrice scientifique à la Haute école de travail social et de la santé à Lausanne, coéditrice de l’ouvrage Asile et abus. Regards pluridisciplinaires sur un discours dominant.


Pourquoi ce livre?

Nous avions envie de décortiquer le discours de «la lutte contre les abus», omniprésent dans le traitement de la question de l’asile, et de montrer que celui-ci est né dans un contexte sociopolitique particulier, grosso modo à partir des années 1980, avec l’arrivée d’une population de réfugiés extra-européenne, non choisie, dans un contexte économique difficile et une complexification des migrations. Les contributions de l’ouvrage illustrent différentes manifestations de ce discours qui est structurant. La culture du soupçon et de la méfiance se retrouve dans les décisions des autorités, dans les discours et les affiches politiques, lors des auditions et dans les centres de détention où les agents, pour donner du sens à leur travail, mobilisent ce discours de l’abus. Dans ce contexte, le Secrétariat d’Etat aux migrations se positionne comme le garant et le protecteur d’un système qui doit permettre de faire le tri entre les «vrais» et les «faux», les «bons» et les «mauvais». Il y a également une dimension morale qui apparaît.

La suppression de l’aide sociale, dès 2004, pour les personnes recevant une décision de non-entrée en matière (NEM)* et, dès 2008, à tous les demandeurs déboutés, a-t-elle eu les effets escomptés?

Cet outil politique a été présenté, d’une part, comme un moyen d’inciter au départ les personnes déboutées et ayant reçu une décision de non-entrée en matière et, d’autre part, de dissuader les «faux» réfugiés de venir. Mais il sert aussi, et surtout, à réaffirmer la souveraineté de l’Etat, à donner l’impression du contrôle et à répondre aux inquiétudes d’un certain électorat en leur montrant que le gouvernement agit.

Or, les mouvements migratoires répondent à d’autres logiques. Les personnes en exil ne choisissent pas un pays en fonction de la qualité de l’accueil. L’aide d’urgence a surtout créé des situations de détresse et une exclusion du tissu social. Alors qu’elle est pensée pour du court terme, nombre de personnes vivent avec cette aide minimale depuis des années. Certaines n’ont pourtant aucune possibilité de retour, puisqu’elles ne sont reconnues par aucun Etat. D’autres décident de sortir de ce système qui n’est pas inconditionnel. Il est délivré au prix d’un contrôle qui les expose à un renvoi forcé, car elles doivent se présenter régulièrement au Service de la population de leur canton. Certaines restent sur le territoire suisse, mais sans papiers. Dans tous les cas, c’est une vulnérabilisation qui favorise des formes d’exploitation.

Les vols spéciaux sont-ils aussi un moyen pour l’Etat de montrer sa souveraineté?

Oui, c’est un moyen d’exécuter de force les décisions de renvoi, mais ils comportent de nombreux risques pour les personnes renvoyées qui sont parfois soumises à des mesures de contraintes disproportionnées. Cela soulève aussi la question de la dimension économique de la gestion de la migration. Un vol spécial, qui impose de mandater une compagnie aérienne et toute une panoplie d’agents et d’agentes, coûte très cher. Tout comme la privatisation des centres d’hébergement. Ou encore les renvois Dublin. Pourtant, ces dépenses sont moins visibilisées, moins discutées que celles concernant la mise en œuvre des mesures intégratives et de formation qui, elles, occupent davantage l’espace public. Les politiques migratoires, ici et ailleurs, interrogent sur les priorités, les valeurs et la prise en compte de la vie des gens en exil. 

*Les personnes frappées d’une NEM ou déboutées touchent une aide d’urgence qui représente moins de la moitié de l’aide sociale, généralement sous forme de bons.

Couverture du livre.

Asile et abus. Regards pluridisciplinaires sur un discours dominant, Anne-Cécile Leyvraz (dir.), Raphaël Rey, Damian Rosset et Robin Stünzi, avec la collaboration de Teresia Gordzielik, Barbara von Rütte, Nesa Zimmermann (contributions en français et en allemand), postface de Jean-Pierre Tabin, Editions Seismo, 2020.

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