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La caméra au poing

Anne-Claire Adet a choisi la vidéo pour ouvrir le débat et changer les regards

C'est à la Maison des arts du Grütli que l'on rencontre Anne-Claire Adet, quelques jours avant le lancement du Festival du film et forum international sur les droits humains (Fifdh) à Genève. Adjointe de direction, elle y travaille depuis 2012. Avec passion. Car le festival lui permet d'allier les sciences politiques qu'elle a étudiées (en plus de l'anthropologie) et le cinéma dans lequel elle s'est lancée en autodidacte. «Dans le cadre de mes études en France, au Mexique et au Togo, je me suis rendu compte que je touchais à des sujets essentiels. Mais que cela ne servait pas à grand-chose, car ils restaient dans la bulle universitaire. Le cinéma permet, par contre, de toucher un large public, et d'amener le débat», explique la jeune femme de 29 ans, avec éloquence, généreuse et humble à la fois.

La vidéo, outil formidable
La vidéo, pour elle, c'est avant tout un formidable outil pour donner la parole aux sans voix. En ce sens, elle prend pour modèle la cinéaste militante Carole Roussopoulos, fondatrice du collectif Video Out. Pour son premier film autoproduit «Salopes en marche», Anne-Claire Adet s'est largement inspirée du documentaire «FHAR» dédié au Front homosexuel d'action révolutionnaire en France dans les années 70.
«J'ai pris contact avec les militantes du mouvement féministe SlutWalk qui organisaient cette marche à Genève. Et les ai formées rapidement à la vidéo. Puis on s'est lancées pour filmer en marge de cette manifestation. J'ai été très surprise de voir à quel point la caméra faisait se poser des questions aux gens...» Le documentaire a été diffusé dans les milieux militants et sur le net. Aujourd'hui, et après plusieurs films pour les milieux associatifs, Anne-Claire Adet espère que son dernier court-métrage, «BUNKERS», pourra s'adresser à une plus large audience, afin de susciter le débat sur l'accueil aux personnes migrantes. Pour ce faire, elle s'est entourée d'une équipe de professionnels, malgré un budget restreint. Un appel de fonds participatif et une bonne dose de bénévolat ont permis la naissance de ce court-métrage de 13 minutes.

Plongée dans les entrailles
Tout commence lors du dernier Fifdh. Celui qui deviendra le protagoniste du film, Mohammad - journaliste au Soudan avant son exil - monte sur scène pour parler des conditions de vie dans les abris PC. S'ensuivent des manifestations et même une courte occupation de la Maison des arts du Grütli par le mouvement No Bunkers. Celle qui a grandi dans les Vosges dans une famille plutôt aisée s'y intéresse, et se lie d'amitié avec Mohammad. «Pour nous, Français, les bunkers rappellent la Deuxième Guerre mondiale. D'ailleurs, le terme en lui-même ne fait pas partie de notre vocabulaire puisqu'il n'existe pas d'abris PC en France. Ce n'est pas une réalité présente.» Une exception suisse donc. Ou presque. «En Erythrée, les prisons sont aussi sous terre», relève Anne-Claire Adet. «C'est d'autant plus choquant d'imaginer que des personnes souvent traumatisées par ce qu'elles ont vécu dans leur pays et dans leur exil soient accueillies de cette manière.» La militante ne se pose cependant pas en juge, mais veut questionner. «Il y a toujours pire, mais je crois qu'il faut faire les choses là où nous sommes. Si j'habitais Calais, j'aurais parlé du bidonville. Et si j'étais en Allemagne, peut-être de ces anciens camps de concentration devenus des centres d'accueil...»
Son expérience personnelle du bunker? «Pendant le Festival du film de Locarno, j'ai dormi dans un abri PC à Ascona pour 5 francs la nuit.» Une expérience brève, mais difficile pour la claustrophobe. Cette angoisse d'ailleurs ressort dans son court-métrage dont les images, encadrées de bandes noires, viennent du regard subjectif d'un requérant d'asile qui a filmé avec son téléphone à l'intérieur du bunker. Et du témoignage de Mohammad dont le visage est filmé serré, dans la pénombre. «J'avais envie de montrer l'enfermement», explique la vidéaste qui a réussi son pari, tant l'impression d'oppression est grande pour le spectateur.
Fourmillante de projets, Anne-Claire Adet a, entre autres idées, envie d'interroger la notion de frontière. Celle que la frontalière traverse à vélo chaque jour, souvent en levant les mains de son guidon, comme pour ressentir encore plus fortement sa grande liberté. «Je passe à côté de la maison des Ambassadeurs, qui était pour les Juifs un point de passage entre un monde occupé et un monde libre», précise-t-elle. Si pour la cycliste française, la douane est très symbolique, elle est pourtant très physique pour d'autres. «En Europe, les frontières sont bien concrètes. Et, même si j'habite à 5 minutes de la douane, je ne peux pas inviter Mohammad à venir manger chez moi...», regrette-t-elle. Dans le cadre du Fifdh, la militante a, par contre, coorganisé des projections dans des foyers de réfugiés. «C'est une manière aussi de changer de point de vue, de regard...»

Aline Andrey

Projection du court-métrage «BUNKERS», le samedi 12 mars à 16h à la Maison des arts du Grütli, à Genève, avant «Non assistance» de Frédéric Choffat (en présence des auteurs).

Plus d'infos: www.bunkersfilm.com

Programme complet du Fifdh, du 4 au 13 mars: www.fifdh.org