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Je parle aux arbres comme à des humains

Garde forestier employé dans le Jura vaudois Bernard Pichon partage son temps entre bureau et terrain

Intervenant sur un domaine de forêts de 1300 hectares s'étirant du lac Léman au pied du Jura, Bernard Pichon, garde forestier, partage sa vie entre l'inspection, l'entretien, la gestion et l'exploitation de bois pour le compte de propriétaires privés et publics. Plus qu'une profession, une passion pour ce sexagénaire qui parle aux arbres comme à des êtres humains...

Tantôt en forêt où évoluent cerfs, chevreuils, lynx, lièvres ou renards, tantôt devant son ordinateur, attelé à des tâches administratives ou en rendez-vous avec ses mandataires: le travail effectué par Bernard Pichon, garde forestier et membre du Groupement forestier Agfors de La Serine, est placé sous le signe de la diversité. L'homme de 61 ans remplit en effet une large palette d'activités, chargé de la gestion et de l'exploitation de 1300 hectares de forêt pour le compte d'une majorité de propriétaires publics (70%), le reste se composant de particuliers. «Je suis comme un médecin généraliste. Je touche à tout», relève Bernard Pichon aussi bien pris par des obligations de bureau à Marchissy que de longues balades dans les bois. Promenades qui lui permettent d'ausculter la forêt et de poser un diagnostic, entre les arbres à couper, ceux à préserver leur vie durant, les spécimens attaqués par le bostryche à brûler ou broyer, les nouvelles plantations, les chemins pédestres ou équestres à créer, à entretenir... Avant d'organiser, de planifier et de distribuer les différentes tâches aux exécutants. S'étendant du lac Léman au pied du Jura, son domaine d'intervention, le triage, l'amène ainsi à parcourir des kilomètres et des kilomètres dans les bois. Des escapades particulièrement appréciées par cet amoureux de la nature qui a noué une relation privilégiée avec les arbres.

Tête en l'air
«Je leur parle. Les traite comme des êtres humains. C'est mon tempérament», confie le sexagénaire s'avançant dans une clairière où il a fait abattre quelques arbres. «En les sélectionnant, je les ai avertis du sort qui les attendait.» Et le garde forestier d'expliquer qu'il «martèle» les résineux ou feuillus destinés à l'abattage à l'aide d'un spray. Un geste réfléchi et maîtrisé, respectant toujours la biodiversité du milieu. «Il faut prendre garde à ne pas trop éclaircir car sinon on fragilise le devenir des autres arbres ayant grandi aux côtés de ceux qui seront coupés. Mais dans tous les cas, les interventions visent toujours le bien de la forêt, son renouvellement», continue le passionné qui ne se lasse pas de ses virées dans les bois et y retourne même hors de ses heures de travail. «Il y a ici une énergie particulière. Qui me déstresse. Me libère. C'est un lieu magique», s'enthousiasme Bernard Pichon, caressant du regard la couronne d'arbres. «J'ai constamment la tête en l'air pour déterminer, sur un échantillon donné, les interventions nécessaires. Quand je décide de nouvelles plantations, je dois me projeter dans le futur, sachant que je ne verrai pas le résultat.»

Aller à l'essentiel
Les nouveaux peuplements sont soigneusement répertoriés et classés selon leur catégorie: les recrûs et fourrés (de la graine à 5,6 cm de diamètre), les gaulis (5 à 10 cm de diamètre), les perchis (10 à 20 cm de diamètre), les hauts perchis (20 à 30 cm), et les jeunes, moyennes et hautes futaies, de 30 cm de diamètre au vieil arbre. «On augmente surtout le nombre de feuillus: érables, ormes, tilleuls, charmes, merisiers, etc. pour la stabilité du milieu.» Le choix des essences, la distance entre les plantations, la surveillance de leur croissance, la périodicité des éclaircissements... incombent également à Bernard Pichon précisant qu'il opte le plus souvent pour des soins culturaux modérés. «Il faut aller à l'essentiel sinon la facture sera trop élevée» note-t-il, avant de poursuivre la visite dans une forêt où il a organisé, en 1998, la création d'un chemin pour le passage de camions et de promeneurs ainsi qu'une desserte pour les tracteurs. Svelte, le pas leste, le garde forestier se sent chez lui dans cet environnement qu'il a à cœur de préserver et de modeler. Dans ce bois déjà ancien, vieux de 100 à 150 ans, Bernard Pichon travaille à son rajeunissement, en «rajoutant de la lumière au sol». Alors que quelques arbres, sélectionnés pour leur beauté et leur majesté sont mâchurés d'un H en bleu, pour «habitat». Une mention garante de leur pérennité, les arbres «habitat» n'étant jamais abattus. «Chaque triage porte la signature de son responsable.»

Pas nécessairement écolo
Une autre halte en bordure de route permet de découvrir du bois de feu en bûches, très demandé. «Du hêtre provenant d'une forêt qu'on a aussi commencé à rajeunir», précise Bernard Pichon. Et le garde forestier d'expliquer au préalable sur quelles bases s'opèrent les coupes, visant à maintenir un équilibre entre les gros, moyens et petits bois et en évitant de conserver trop d'arbres âgés. «La forêt croît. On coupe l'intérêt du capital. Ou les bois trop vieux.» Le matériau est ensuite vendu dans des scieries pour différents usages selon sa qualité. «Avant, ce commerce rapportait des bénéfices mais, depuis 1981, les prix ont chuté et parce que le produit n'est pas protégé et en raison de la concurrence étrangère.»
La création de réserves fait aussi partie des activités de Bernard Pichon qui se montre néanmoins critique sur leur nombre. «Dans ces espaces, on décide de ne pratiquer aucune intervention durant 50 ans. Mais leur multiplication menace les emplois. Et les conséquences ne se révèlent pas toujours très écologiques avec l'acquisition de bois à l'étranger, en Autriche, Allemagne, Russie et autres pays de l'Est par exemple...»

Resplendissant!
Autre casquette de Bernard Pichon, la police forestière. Le fonctionnaire est appelé à dénoncer les personnes ne respectant pas les interdictions de passage, celles qui abandonnent leurs déchets, celles qui commettent des déprédations... «Elles sont amendables. Mais nous n'avons ni arme ni habits de fonction. Heureusement. Je ne m'imagine pas en uniforme», relève Bernard Pichon qui apprécie l'indépendance offerte par son travail et sa facette solitaire comme les contacts avec les propriétaires même si, jeune, il a choisi ce métier un peu par défaut. «Je ne savais pas trop vers quel métier me diriger. Au début je n'étais guère motivé. Mais la pierre a amassé de la mousse. La forêt est fantastique.» D'abord bûcheron - passage obligé pour devenir garde forestier, Bernard Pichon note les changements intervenus dans la profession en raison de la mécanisation et la modernité des équipements. Des changements, il en a aussi constaté au niveau du climat. Avec, notamment, ses bêtes noires, les tiques présentes à 1200 mètres d'altitude, effet du réchauffement. «Il y a aussi désormais certaines essences, dont l'épicéa, qui résistent moins bien en plaine. Des arbres stressent sous l'effet de sécheresses. Mais cette année, la forêt se révèle magnifique grâce à toute la pluie tombée. L'été aura été, pour les résineux et les feuillus, tout simplement resplendissant!»


Sonya Mermoud