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Je considère l'autre comme moi-même

Médiateur interculturel Antoine Mankumbani rêve d'un monde où toutes les races vivraient en bonne intelligence

Antoine Mankumbani se présente comme un «hybride culturel». Noir, de par sa peau, bien entendu mais, précise-t-il, pas aux yeux de proches compatriotes qui lui attribuent «des principes de Blancs». «Ils me trouvent trop exigeant», sourit cet homme de 62 ans qui s'est forgé à l'aune de deux cultures, africaine et suisse, tout en refusant toute forme d'assimilation. «Je reste celui que je suis, tout à la fois, en puisant à différentes sources», affirme Antoine Mankumbani. Une personnalité complexe, au parcours atypique, détenteur d'un riche bagage intellectuel et émotionnel. Un réfugié politique résidant à Saint-Gall, qui croit au «vivre ensemble», et ne prête guère attention au racisme dont il est parfois la cible, préférant le banaliser, en rire, et considérant l'autre comme lui-même. Une sagesse probablement liée à son expérience de vie, balisée d'événements douloureux, et réclamant une force et un courage qui n'ont jamais manqué à Antoine Mankumbani. «Je suis un optimiste, un battant», affirme cet humaniste qui rêve d'une planète gouvernée par la justice. «J'aimerais, avant de mourir, assister à un changement de l'ordre libéral international, une refonte du monde», souffle le sexagénaire et de dénoncer «des pays entiers qui meurent sous l'horreur des guerres, de la faim, des pandémies... Une Afrique en voie de recolonisation par les multinationales, les superpuissances, aux richesses pillées avec la complicité de nombre de ses ministres et présidents...» «Je crains que l'Afrique nous échappe une nouvelle fois. Comme à nos aïeux. Avec une indépendance factice», s'inquiète l'homme qui s'est politiquement engagé dans son pays d'origine. Et en a payé le prix fort.

Professeurs suisses
Né en Angola, Antoine Mankumbani a grandi en République démocratique du Congo où ses parents se sont exilés fuyant alors la province d'outre-mer portugaise secouée de troubles. Il entame ses classes dans une école protestante de la ville portuaire de Matadi, avant de rejoindre la capitale Kinshasa où il poursuit ses études au collège Pestalozzi. «Nos professeurs étaient tous suisses.» Son bac en poche, brillant élève, il entre à l'université où il décroche, cinq ans plus tard, une licence en pédagogie appliquée, option français et linguistique africaine, avant de se lancer dans l'enseignement. Durant plus d'une décennie, il travaille comme professeur de français et de philosophie avant de changer d'orientation. «La raison? Nous étions très mal payés. Et le secteur était infecté par la corruption. En plus, comme je suis très pointilleux, certains de mes collègues croyaient que je voulais réformer l'enseignement, leur porter préjudice.»

Retour sur les bancs d'école
Victime de pressions, refusant de se laisser corrompre, le professeur quitte sa fonction et entre dans le domaine des télécommunications. S'il occupe un poste important, secondant le directeur, il finit par quitter ce travail en 1997 pour retourner en Angola où il a gardé des contacts avec des proches. Membre de l'Unita, œuvrant à l'indépendance totale de l'Angola, Antoine Mankumbani ne tarde pas à avoir des ennuis et finit en prison. «J'ai été accusé d'espionnage... J'ai passé un mois et demi dans une cellule sous terre où j'ai été torturé avant que mon parti n'organise mon évasion vers l'Europe.» Un chapitre terrifiant de l'histoire d'Antoine Mankumbani dont il garde aujourd'hui encore les séquelles physiques, sa mobilité étant réduite. Arrivé dans nos frontières dans un piteux état, l'exilé est hospitalisé - il subira depuis cinq opérations -, dépose une demande d'asile et est attribué au canton de Saint-Gall alors même qu'il ne parle pas un mot d'allemand. Pas de quoi décourager ce battant qui, rêvant de retourner à l'enseignement, finit par être admis à 52 ans à l'Université de Fribourg où il effectue un master en sciences historiques. Afin de mettre ses connaissances en conformité avec les exigences suisses. Parallèlement, pour financer ses études, l'universitaire travaille comme médiateur interculturel pour l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés. Une fonction qu'il conserve toujours, Antoine Mankumbani n'étant pas parvenu à décrocher un poste comme professeur.

Dans le camp des humains
«J'ai postulé dans 400 établissements. Sans succès. Certainement en raison de mon âge. Mais je n'ai pas de regret. J'utiliserai ce bagage intellectuel à mon retour en Angola» prévoit Antoine Mankumbani qui déplore le fait de n'avoir pu s'installer à Fribourg en raison de son statut (permis B). «Injuste? Non, c'est la législation. Mais elle est tellement impersonnelle. Il y a toujours une personne derrière un numéro. Si on en avait tenu compte, j'aurais peut-être pu éclore», soupire l'exilé. Qui, l'an dernier, a néanmoins fondé une web-radio, «Radio Afrikana» où il anime différentes émissions.
«Ce qui me pèse le plus aujourd'hui? La difficulté d'influer sur les autorités de mon pays d'origine. J'aimerais parvenir à les raisonner. La réalité est triste, l'Afrique spoliée. Mon devoir consiste à créer des liens avec les décideurs pour les ramener dans le camp des humains.» Un programme ambitieux mais cohérent pour un homme ayant toujours cherché à aller au bout des choses. Ici ou ailleurs. «C'est dans ma nature. Je ne suis pas minimaliste...»

Sonya Mermoud