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J'aime l'humanité

Metteur en scène de talent Gianni Schneider a forgé sa personnalité à l'aune de deux cultures

Son identité donne le ton. Et des indices pour tenter d'appréhender un homme complexe, poétiquement et politiquement engagé, bouillonnant, provocateur et parfois volontairement trivial, oscillant entre pragmatisme et passion. Profondeur et légèreté. Aplomb fissuré de doutes. Le prénom d'abord, Gianni, rend hommage, de par sa mère, à ses origines italiennes. Le patronyme, lui, est hérité d'un père allemand. Des racines plantées dans deux pays, deux langues, mais aussi dans deux mondes différents, l'un ouvrier, l'autre bourgeois, qui ont largement contribué à forger le caractère de ce metteur en scène de 62 ans. Un homme charismatique revendiquant, en raison de cette double appartenance, une «instabilité chronique», mise au service du théâtre, «lieu des oppositions». «Je ne peux pas choisir entre raison instruite et pulsions, générosité, spontanéité», déclare Gianni Schneider, qui fera valoir ces antagonismes comme sa connaissance des langues lors de sa rencontre avec Giorgio Strehler, metteur en scène italien de renom. «En 1996, je lui ai proposé de devenir son assistant. Il m'a demandé de me présenter. Je lui ai parlé de mes deux origines.» Cette déclinaison trouve une résonnance. Son interlocuteur, moitié autrichien, moitié italien, l'engage. L'expérience auprès de ce maître de la mise en scène complète le bagage de Gianni Schneider qui œuvre déjà depuis 1982 dans le domaine. Une profession apprise sur le tas.

Projecteur sur les fléaux sociaux
«Adolescent, je voulais être comédien et suivre une école de théâtre. Pas au goût de mon père qui estimait qu'avec son argent, on faisait des études sérieuses. Non un métier de saltimbanque. Mais on n'échappe pas à son destin.» Au terme d'études de Lettres avortées à l'Université de Lausanne, courant les salles de spectacle, Gianni Schneider se lance dans l'aventure. S'il renonce à devenir acteur, en raison de son âge, il opte pour la mise en scène. Animé par le besoin de «se mettre au service de», fil rouge de sa démarche. Comme par une puissante rage de vaincre. Au nombre de ses atouts: un sens aigu de l'observation mais surtout un intérêt inconditionnel pour l'être humain. «C'est pour ça que je remplis les théâtres. Parce que je suis captivé par les personnes, non par leurs fonctions» déclare Gianni Schneider, le cœur bien à gauche, affirmant ne jamais changer de ton ou d'attitude, quel que soit le statut de ses interlocuteurs. Ses thématiques de prédilection? «Tout ce qui relève des fléaux sociaux: la qualité d'écoute qui se perd, l'absence de solidarité, les sentiments galvaudés, la peur de se montrer faible, fragile, la famille, les rapports conflictuels, la difficulté de se positionner dans la vie...» Et le sexagénaire de préciser: «Je n'apprends rien aux spectateurs, ils se reconnaissent eux-mêmes dans des contextes analogues. Avec ironie. Distance. Sarcasmes ou passion. Le public, intello ou ouvrier, sait de quoi je parle.»

Droit au but...
Si Gianni Schneider se dit particulièrement séduit par un Bertolt Brecht, il alterne volontiers entre œuvres classiques et contemporaines mais privilégie toujours les textes anglo-saxons. «Pour l'immédiateté de la langue. Un chat est appelé un chat. C'est mon côté allemand. J'aime le droit au but.» Les créations retenues sont alors soumises à un travail de dramaturgie - sur la voix, sur la langue - donnant naissance à des adaptations «assumées» et des actualisations. L'esthétique théâtrale développée par ce chef d'orchestre des coulisses repose, elle, essentiellement sur la prestation des acteurs, alliée à des recherches corporelles. Mais aussi sur des interventions sur le son et la musique, la lumière - «dans un décor le plus dépouillé possible» - et sur les costumes, «intelligemment réfléchis». «Le théâtre est pour moi, avant tout, une aventure humaine.» Mais quelles qualités sont nécessaires pour réussir dans le domaine - l'homme monte deux pièces par année et fait partie des rares metteurs en scène vivant de leur profession? «Il faut avoir des choses à dire. S'éveiller aux sens. Se montrer réceptif à l'entourage», poursuit cet ancien conseiller communal socialiste, têtu et tenace, s'élevant contre toutes formes d'injustice, et portant le respect de l'autre en tête de ses valeurs.

Irrésistible
De nature optimiste, détestant la médiocrité, Gianni Schneider dit se ressourcer dans la nature et au contact des gens. Relations qu'il noue facilement. Avec, pour atout, un charme indéniable. Et une aisance comme une verve intarissable. «Je suis un vrai serpent. Personne ne me résiste. Mais je ne manipule pas les gens. Je suis moi», affirme Gianni Schneider qui n'imaginerait jamais vivre sur une île déserte, même dans un palais. «J'aime l'humanité. Le paradis, c'est les autres. Le bonheur? Se trouver en bonne compagnie.» Partageant sa vie entre Lausanne et Berlin - «c'est aussi ma nation, mon alter ego» - amoureux des paysages valaisans, Gianni Schneider définit la vie comme un destin. Un chemin sur lequel il faut s'engager et marcher. «L'existence est intéressante car difficile. Mais si elle est sérieuse, elle n'est pas dénuée d'humour», conclut le metteur en scène qui, s'il n'avait pas choisi cette profession, aurait été vigneron. Une autre culture... 


Sonya Mermoud