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Femme-orchestre inspirée

Dans son Théâtre des Lutins la marionnettiste Marie-Jeanne Plaar-Meurice insuffle de la poésie

Niché dans un recoin de la place Pépinet à Lausanne, là où la Louve s'écoulait à l'air libre, se cache le Théâtre des Lutins. Une grotte, ancienne fabrique de cigares puis atelier de mécanique, devenue le terrain de jeu surréaliste de Marie-Jeanne Plaar-Meurice et un temps suspendu où la poésie est reine. Au-dessus, son atelier où trônent marionnettes, décors, pots de peinture, machine à coudre et ordinateur... Car l'artiste autodidacte fait tout. De A à Z. Elle pense le scénario, écrit les dialogues, fabrique les marionnettes et les décors de la pièce, élabore la bande-son entre bruitage et musique, et donne vie à ses personnages. Dans le castelet (le petit théâtre de marionnettes), elle s'occupe de la lumière, du son, des dialogues et manie plusieurs figurines à la fois avec ses deux mains et... ses deux pieds. Bref, Marie-Jeanne est une femme-orchestre.

Son enfant intérieur vivant
A 68 ans, elle a su garder sa créativité et son imaginaire d'enfant intacts. Des qualités qu'elle a cultivées dans les bois de son enfance, aux abords d'un minuscule village au nord de la France, où les cavernes et les traces de la guerre (des barbelés aux trous d'obus) devenaient espaces de jeux et sources d'histoires sans fin.
Marie-Jeanne construisait des cabanes aussi et accompagnait son père, bûcheron de métier, aux champignons. «Il était concentré au point de m'oublier. Je crois que j'aimais ces petits moments inquiétants où je me sentais perdue. C'est important dans la vie, comme dans les histoires, pour apprendre à affronter le danger. Dans mes histoires, l'enfant arrive toujours à surmonter ses peurs, souvent avec l'aide des animaux», raconte-t-elle après avoir servi deux cafés dans de jolies tasses argentées, avec des petits biscuits en forme de cœur. Marie-Jeanne Plaar-Meurice a l'art du détail. Elle aime observer, la nature toujours, mais aussi la rue et les gens. «J'aime me promener, croiser un regard, vivre un instant de vérité. Dans tous ces moments éphémères, dans chaque visage, s'ouvrent des mondes.» Autant de sources d'inspiration à ses spectacles pour celle qui aurait aimé étudier la psychologie, ou les beaux-arts. Alors que ses parents la destinaient à l'école ménagère et au mariage. Finalement, la jeune femme étudiera la géographie. «Mais j'allais aux cours des beaux-arts en douce», sourit-elle. «C'est là que j'ai appris le modelage, la sculpture...»

De l'enseignement au théâtre
L'été 1971, la jeune Française débarque en Suisse pour un job de vacances de deux mois dans un pensionnat de Pully. Elle y donne des cours de français et d'histoire de l'art... Et y restera finalement deux ans, avant d'enseigner la géographie et le dessin dans des écoles privées à Lausanne. «J'aimais pouvoir expliquer la géo, du cœur de la terre jusqu'au système solaire, en faisant de grands dessins et en racontant des histoires. Pendant ces années d'enseignement, j'ai appris à structurer un récit», raconte celle qui adorait ses élèves.
Marie-Jeanne Plaar se mariera à un jeune Allemand, un cartésien passionné de chiffres, son antithèse complémentaire. De leur union naît un fils, dont découlera une vocation. «Comme il avait quelques difficultés de langage, j'ai construit un castelet pour lui faire des spectacles. L'impact a été incroyable. Il a commencé à parler, il est sorti de son monde. Puis j'ai continué à présenter des petites pièces dans sa garderie, son école, le voisinage... De bouche à oreille, j'ai commencé à jouer un peu partout, au point d'arrêter l'enseignement. Un jour, mon fils m'a dit: j'ai trouvé un théâtre. C'était ici, un trou, une grotte avec des stalactites de toiles d'araignée. Mon fils et mon mari ont tout remis en état.» Depuis 2004, ce dernier en est devenu l'administrateur. Et elle la femme-orchestre. Son processus créatif privilégie la lenteur et l'intensité, au point que quelques minutes d'un spectacle peuvent prendre des jours. Ses thèmes parlent souvent des discriminations et des inégalités sociales. Une sensibilité qui remonte à l'enfance. «Ma mère était femme de ménage et si souvent maltraitée par ses patrons... De là est née ma révolte face aux injustices», analyse-t-elle. «C'est primordial, la justice! Et fondamental de lutter contre toutes les discriminations! Ce sont des messages que j'essaie de faire passer dans mes spectacles. L'amour de la vie, la liberté aussi. En fait, je suis tout le temps en révolte. La résignation n'a pas de place. Je pense qu'il faut être vigilant, ne pas se laisser endormir par notre société de consommation. Mais j'ai confiance en l'homme. La jeunesse est belle. On a chacun une force, une richesse insoupçonnées à mettre en vie, au bout des doigts, des yeux, du cœur... Olala je m'emballe!», lance la passionnée dans un grand éclat de rire, avant d'ajouter: «J'espère aussi défendre la poésie, toucher les cœurs des enfants, et de leurs parents. Quand un enfant me demande à la fin du spectacle pourquoi la marionnette ne parle plus, quel bonheur...»

Aline Andrey

www.theatre-des-lutins.ch