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Espiègle, comme la vie…

Ecolo par nature, Tom Tirabosco est un chantre du monde végétal et animal et voue aux baleines une passion toute particulière.
© Olivier Vogelsang

Ecolo par nature, Tom Tirabosco est un chantre du monde végétal et animal et voue aux baleines une passion toute particulière. 

Le dessinateur de bandes dessinées plusieurs fois primé Tom Tirabosco signe un nouvel album où la nature a repris tous ses droits. En phase avec son amour inconditionnel du vivant

Les animaux. La végétation. Le mystère. Voilà la règle de trois créative de Tom Tirabosco qui entretient avec la nature une relation relevant du sacré. Et consacre son talent à la défendre. Son dernier album, Terra Animalia – réalisé avec la collaboration du scénariste Patrick Mallet –, participe de cette fascination pour le vivant. Et du respect qu’il lui inspire. Le nouvel opus dépeint un monde peuplé uniquement d’animaux, connus et inconnus, qui évoluent en paix dans un décor luxuriant. Jusqu’au retour de Terriens dans ce sanctuaire à la suite du crash de leur vaisseau spatial. Leur présence réveille dans la communauté animale une peur atavique liée aux souvenirs terrifiants laissés par les humains. Ces êtres cruels qui, avant de partir coloniser une autre planète, ont épuisé les ressources de la leur et massacré les espèces... 

«Ce livre rend hommage aux poils», sourit Tom Tirabosco, crâne lisse et léger collier de barbe épousant l’ovale de son visage, rencontré dans son atelier au cœur de la ville du bout du lac. «Je suis un dessinateur des forêts, de l’organique», ajoute l’illustrateur, qui liera dans Terra Animalia la survie des rescapés à leur capacité à procéder à une évolution à rebours. «Nous vivons hors sol, totalement déconnectés de notre environnement. Il y a urgence à renouer avec nos origines sauvages à l’époque de la technoscience, du transhumanisme», ajoute le Genevois de 58 ans, annonçant dans la foulée la réalisation d’une nouvelle BD avec son ami trappeur et spécialiste des immersions en vie sauvage, Kim Pasche.

L’effondrement, une réalité

«Je veux creuser dans mes récits les questions d’écologie et de justice sociale. Nous ne résoudrons pas le dérèglement climatique avec la technologie.» Adepte de la décroissance, Tom Tirabosco en a pris le chemin. Et affirme ne manger que très peu de viande, circuler à vélo, recycler tout ce qu’il peut et ne plus voyager en avion sauf impératifs majeurs. «Nous ne pourrons nous en sortir sans renoncement. Nous devons changer notre imaginaire collectif. Envisager la croissance à travers un autre prisme, comme la possibilité de bénéficier de davantage de temps, de bien-être», propose l’écologiste, collaborant à la Revue durable et au magazine du collapsologue Pablo Servigne, un ami dont il partage les vues.

«L’effondrement – y compris culturel avec le numérique et les réseaux sociaux – est déjà une réalité entre la perte de la biodiversité, la montée des nationalismes, les problèmes d’eau, d’énergie, les guerres. On se trouve clairement dans un moment de bascule. Tous les indicateurs sont au rouge, que l’on parle de la nature ou des droits des travailleurs, même si on rêve encore un peu», déclare, pessimiste, Tom Tirabosco, qui espère à travers son travail soutenir des luttes comme celles menées par des mouvements pour la Terre ou les Zadistes. Une sensibilité à la préservation de la planète qui plante ses racines dans l’enfance. 

Petites fugues

Né à Rome, Tom Tirabosco est arrivé en Suisse à l’âge de 3 ans. Il grandit à Meinier, à proximité des bois de Jussy. Et se souvient, des étoiles plein les yeux, de ses escapades à vélo dans la campagne genevoise. De ses flâneries au bord des étangs. Du temps à observer, fasciné, tritons et vipères. «Je m’étonne aujourd’hui encore d’avoir pu jouir d’une telle liberté.» Ces petites fugues constitutives de sa personnalité se poursuivent adulte, le rêveur aimant toujours autant les randonnées. Et cela alors qu’il conjuguera, gosse déjà, sa passion avec son amour des crayons. «J’ai toujours dessiné, avant même de savoir écrire. Gamin, je réalisais de petites histoires en séquences pour mes parents. A 5 ans, je savais que j’exercerai ce métier.» Une certitude aussi cimentée par la joie qu’il ressent alors à chaque sortie de film de Walt Disney. «Je les attendais avec impatience. J’étais aussi un grand amateur de livres de biologie, de paléontologie. Le foot et les bagnoles ne m’intéressaient pas», raconte le bédéiste, qui trouve dans la nature une source d’inspiration inépuisable – «La moindre petite bestiole concentre un trésor de couleurs, de formes, de design» – et va développer un style pictural bien personnel. L’illustrateur recourt entre autres à la technique du monotype, créant des ambiances charbonneuses ou colorées, où filtre une certaine mélancolie. Son trait rond, doux, poétique accompagne des récits chargés de mystère et de merveilleux. Divinités de la nature, animaux doués de parole, monstres sylvestres, plus intrigants qu’effrayants, animent ses planches, touchent aux archétypes. Ces créatures hybrides, étranges, révèle leur créateur, sont autant de doubles déformés de nous-mêmes évoquant notre humanité, notre fragilité. 

Bon vivant malgré tout

«Mes histoires sont traversées par des problèmes contemporains, mais je préfère la fiction au reportage. Evoquer le réel à travers la palette des émotions et des ressentis», précise Tom Tirabosco, dont la vision pessimiste, et sa conviction que tout est foutu, n’entame pas sa volonté de se battre. Un combat que cet époux et père de deux grands enfants entend mener sans perdre le sourire. «La révolution, je l’envisage la joie au ventre», affirme le bon vivant, qui suggère de se montrer furtif, d’adopter un tempérament espiègle, à l’image de la vie, s’infiltrant partout, finissant toujours par triompher. Au rang de ses projets, cet ancien squatter – un mode de vie qui aura forgé sa conscience politique – se réjouit de déménager dans quelques années dans un écovillage à Presinge. Et jure qu’il luttera contre le projet «écocide» de gigantesque collisionneur de particules du CERN prévu à proximité, s’interrogeant sur cet esprit de conquête, sur cette volonté orgueilleuse des humains de percer les secrets de l’univers. Alors qu’il ressent de son côté le besoin de préserver une part de mystère, stimulant sa créativité. Et que l’expression du bonheur passe, pour lui, par un simple petit jardin sauvage, à l’anglaise. Un carré de prairie avec des ronces, des églantines et des oiseaux. De quoi enchanter sans fin son regard, ses crayons et ses encres. Pour notre plus grand plaisir.