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Des garde-fous dans des multinationales

62 accords entre fédérations syndicales et entreprises transnationales ont vu le jour. Des embryons de conventions collectives ?

Pactiser avec les firmes géantes pour tirer les conditions de travail vers le haut: c'est le pari de plusieurs fédérations syndicales, qui ont contracté avec nombre de multinationales plus d'une soixantaine d'accords globaux. L'objectif primordial est de permettre les mobilisations locales, souvent empêchées ou réprimées dans certains pays.

Le pouvoir des entreprises transnationales n'a jamais été aussi grand. Face à ces 65000 firmes aux dents d'acier, se jouant des Etats nationaux et de leurs règles, les fédérations syndicales internationales tentent d'élever des garde-fous pour protéger les travailleurs. Ces dernières années, les centrales syndicales signent de plus en plus d'«accords globaux» avec ces sociétés géantes. On compte aujourd'hui 62 accords de ce type portant sur la liberté syndicale et les droits minimums du travail, dont la moitié ont moins de cinq ans. Une manière pour les syndicats d'améliorer les conditions de travail dans l'ensemble des filiales d'un groupe, voire chez ses sous-traitants. L'enjeu est de taille: ces accords couvrent aujourd'hui 5,3 millions de travailleurs dans le monde. Mais du chemin reste à parcourir. Les multinationales emploient à elles seules plus de 95 millions de salariés - sous-traitants non compris. Pour elles, ces accords sont surtout un moyen d'éviter des conflits du travail coûteux, provoqués par des directions locales parfois trop rigides, et de redorer leur image auprès du public.

Mobiliser les travailleurs
Ces accords portent en général principalement sur la liberté d'association et la reconnaissance des droits du travail contenus dans les conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail (OIT). Pour Dan Gallin, directeur du Global Labor Institute à Genève, l'objectif est surtout de permettre l'organisation des travailleurs sur place, seule à même d'imposer de bonnes conditions d'emploi: «L'idée initiale des syndicats est de protéger leurs affiliés des attaques contre la liberté d'association. C'est un moyen pour que les firmes reconnaissent les syndicats et ne posent pas d'obstacles aux syndicalisations locales, ce qui est très courant», explique le spécialiste. Des groupes comme le bananier Chiquita et l'hôtelier Accor ont par exemple été forcés de reconnaître des syndicats dans plusieurs cas, en Amérique latine pour le premier, en Indonésie, Nouvelle Zélande et Etats-Unis pour le second, indique-t-il.

Suivi essentiel
A la différence d'un code de conduite, qui n'est qu'une déclaration unilatérale de l'entreprise, les accords globaux entraînent un suivi et des relations régulières entre la transnationale et la fédération syndicale. Des réunions donnent l'occasion aux syndicats de soumettre des cas problématiques au siège de la firme, qui se doit alors de réagir. Même si les résultats de ces accords n'ont jamais été évalués de manière systématique, les syndicats estiment qu'ils doivent permettre d'étendre les «meilleures pratiques» des pays dans lesquels la firme est implantée. «Mais le seul moyen de pression véritable des centrales syndicales, c'est la menace de se retirer de l'accord», nuance Dan Gallin. A ce jour, aucun accord n'a cependant encore été dénoncé. Une campagne syndicale sur les raisons d'un tel retrait serait très néfaste en terme d'image pour l'entreprise. Dan Gallin se souvient du boycott de Coca-Cola au début des années 1980, alors qu'il était secrétaire général de l'Union internationale des travailleurs de l'alimentation (UITA) : «Coca avait dû dépenser 60 millions de dollars en publicité pour contrecarrer la campagne des syndicats.»

Vers des conventions internationales?
A l'inverse, se lier avec de tels contrats à de grandes multinationales ne comporte-t-il pas des risques pour les syndicats? «Il est indispensable de se donner les moyens d'assurer le suivi et le contrôle, sinon l'accord ne servira que de faire-valoir à l'entreprise», assure le spécialiste. Pour lui, il est tout à fait possible d'imaginer une multiplication de ces arrangements et un élargissement de leur contenu. A terme, ceux-ci pourraient déboucher sur de véritables conventions collectives (CCT) à l'échelle internationale, même s'il serait difficile d'y consigner les salaires en raison des différences de niveau de vie des pays. Pour l'instant, il n'existe qu'une seule CCT internationale: celle de la marine marchande. Mais son exemple pourrait essaimer : «Il importe de constituer un contre-pouvoir au sein même des sociétés transnationales. Le but doit être d'organiser les travailleurs des cent plus grandes d'entre elles». D'autres observateurs se prêtent à rêver à des conventions sectorielles, dans l'automobile par exemple, qui compte le plus grand nombre d'accords globaux. Dan Gallin voit encore plus loin : «Ce processus doit changer le rapport de force au sein de l'entreprise, puis, par effet cumulatif, au sein de la société. L'alliance avec d'autres mouvements sociaux, écologiques ou de femmes par exemple, s'avère essentielle.»

Christophe Koessler