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Croissance des hauts revenus au détriment des simples salariés

Les hauts salaires ont grimpé de 20% en dix ans alors que les petits et moyens ont stagnés. L'USS revendique des augmentations

Les 40000 salariés les mieux rémunérés de Suisse ont bénéficié ces dix dernières années d'une augmentation de plus de 20% de leur salaire réel alors que les moyens et bas revenus devaient se contenter de 3% en moyenne. C'est ce que révèle une étude de l'Union syndicale suisse. Elle dénonce cette appropriation unilatérale des fruits du travail et revendique des augmentations générales de salaire.

Les écarts entre les hauts revenus et les salaires ordinaires ne cessent de s'élargir. C'est un fait dont tout le monde a conscience mais dont la réalité chiffrée était jusqu'ici lacunaire, partielle, sinon partiale. L'Union syndicale suisse (USS) vient de combler cette lacune. Elle a réalisé une étude solidement étayée dont elle a livré les conclusions la semaine dernière à Berne, face à la presse.

Le fossé se creuse
Le constat est accablant. «Les inégalités se sont accentuées de manière proprement incroyable», tonne le président de l'USS, Paul Rechsteiner. Entre 1998 et 2008 en effet, les 40000 salariés les mieux payés du pays ont vu leurs rémunérations réelles (hors inflation) augmenter de plus de 20% alors que les salaires ordinaires (moyens et bas) ne progressaient que de 2 à 4%, ce qui représente en réalité un recul, en regard du produit intérieur brut (PIB) par personne employée qui, pour sa part, a augmenté de 9,1% pendant cette même période. En clair les salariés ordinaires ont subi une érosion de leurs revenus. «Plus le salaire est élevé, plus il croît fortement», observe Daniel Lampart, économiste en chef à l'USS. Et l'écart des salaires se révélerait encore plus marqué si les syndicats n'étaient pas parvenus à imposer des salaires minimums dans un certain nombre de branches.
D'autres chiffres vertigineux viennent compléter ce tableau. En dix ans, le nombre de personnes touchant un salaire de plus d'un million de francs a plus que quintuplé, passant de 510 à 2824! En l'espace de ces huit dernières années, les ressources annuelles nettes d'une famille de quatre personnes disposant d'un salaire moyen ont diminué de 1400 francs alors que celles des familles plus aisées ont augmenté de 19000 francs.
L'accroissement des inégalités salariales «n'est pas un problème dû à quelques profiteurs mais à un problème structurel à la faveur duquel plusieurs dizaines de milliers de cadres supérieurs et de spécialistes s'enrichissent aux dépens de la majorité des travailleuses et des travailleurs», constate Daniel Lampart.

Politique destructrice
L'accaparement des richesses ne s'exerce pas que par le biais de l'explosion des hauts salaires. Elle se manifeste également sous forme de concentration de la fortune entre les mains d'une minorité privilégiée. Démonstration? En 2007, les 2,2% des personnes les plus riches du pays détenaient une fortune équivalente à celle de 97,8% de la population! Dix ans auparavant, ce chiffre n'était «que» de 4,3%. Cette évolution à la fois inique et aberrante est encore dopée par une politique fiscale orientée vers une diminution des impôts pour les plus fortunés et la suppression à grande échelle de l'impôt sur les successions. «Les inégalités sociales croissantes dans notre pays sapent lentement, mais sûrement, les fondements de la démocratie», observe Paul Rechsteiner. «Dans les années quarante, après les destructions dues à la Deuxième Guerre mondiale, l'idée s'était imposée que l'évolution démocratique impliquait des perspectives pour tout le monde et pas uniquement pour une petite caste de nantis. Une politique qui ne défend plus que les intérêts des hauts revenus et des grandes fortunes, une politique qui ne respecte plus la majorité de la population qui, par son travail, produit les valeurs fondamentales de l'économie et de la société, et bien cette politique-là détruit ce qu'il y a de positif en Suisse.»


Pierre Noverraz


Cap sur des augmentations générales!
Pour obtenir une répartition plus juste des salaires et de la fortune, l'USS prône prioritairement un changement de cap dans la politique salariale
L'Union syndicale suisse (USS), avec Unia qui en est la composante la plus importante, insiste sur la nécessité impérative d'aboutir à des augmentations générales. «La grande majorité des salariés à petit et moyen revenus apprécie des systèmes de rémunération simples, prévisibles et transparents ainsi que le principe des augmentations générales des salaires», souligne Paul Rechsteiner, président de l'USS. «Ces règles reflètent aussi le fait que les résultats économiques sont obtenus par un effort commun. Ils n'existeraient pas si chacun n'y mettait pas du sien.» A l'opposé, l'individualisation des salaires par le biais des primes, des augmentations au mérite et des bonus détruit la cohésion sociale et mine les valeurs du travail. «Au final, cela n'avantage que les hauts et très hauts revenus. Pour la grande majorité des travailleuses et des travailleurs salariés, ce n'est qu'une vaste escroquerie.»
Les revendications de l'USS portent aussi sur le relèvement substantiel des bas salaires, l'abolition des discriminations salariales entre hommes et femmes ainsi que sur l'introduction d'un salaire minimum, par le biais de l'initiative populaire lancée au début de cette année par les syndicats.

Fiscalité injuste
Le fossé entre super-riches et salariés ordinaires est encore aggravé par les travers d'une politique fiscale complaisante envers les plus fortunés. Les impôts directs ont continuellement baissé, avec pour résultat que les hauts revenus paient aujourd'hui quelque 7 milliards de francs de moins qu'il y a dix ans. A l'inverse, les frais de logement, les primes des caisses maladie, les impôts indirects et les taxes n'ont cessé d'augmenter depuis vingt ans. Ensemble, cela représente une charge de 17 milliards de francs par année. «Tout cela avantage les hauts revenus au détriment de la grande majorité de la population.»
S'agissant de la fiscalité, il s'agit de rompre avec la pratique des cadeaux aux plus fortunés. Le dernier cadeau en date est d'ailleurs un véritable scandale, non seulement parce qu'il constitue une injustice criante mais aussi parce qu'il est entaché d'une grave violation des règles démocratiques. Pour mémoire (voir l'éditorial de notre dernière édition), le peuple en 2008 avait accepté de justesse (50,5% de oui) la réforme de la fiscalité des entreprises. Cette réforme était prétendument destinée à alléger les charges des PME et, surtout, l'ex-conseiller fédéral Rudolf Merz avait affirmé qu'elle ne coûterait que 84 millions de francs. Or, il s'avère aujourd'hui qu'elle coûte 80 fois plus et qu'elle profite avant tout aux actionnaires et aux financiers alors que les contribuables ordinaires sont invités à boucher les trous. La droite parlementaire a refusé qu'un nouveau vote soit organisé à ce sujet. Y compris l'UDC qui montre ainsi la valeur réelle qu'elle accorde aux droits populaires lorsque sont en jeu les intérêts des privilégiés qu'elle s'est employée à défendre.

PN

 

Les écarts salariaux touchent aussi le secteur public
Le phénomène des écarts salariaux ne touche pas que le secteur privé. Il a tendance à se répandre dans le domaine public. Exemples, le directeur de La Poste dispose d'un revenu annuel de plus de 800'000 francs et celui des CFF d'environ un million alors que son entreprise refuse depuis deux ans d'accorder une augmentation de salaire générale à l'ensemble de son personnel. Les CFF préfèrent le système de prime qui, «en raison de son caractère éphémère, est synonyme d'érosion du pouvoir», s'insurge le vice-président de l'USS et président du Syndicat du personnel des transports (SEV), Giorgio Tuti, lequel avertit qu'il placera l'exigence d'augmenter les salaires réels au cœur de la prochaine ronde des négociations. Les CFF ont, pour justifier cette politique de la prime, insisté sur la nécessité d'un régime salarial «plus proche du marché», conformément aux thèses néolibérales. «Ce qu'ils entendent par là correspond précisément à ce que nous critiquons, des plus bas salaires dans les classes inférieures et des salaires plus élevés dans les classes supérieures.»

PN

 

 

(photo - graphique)
Evolution en 10 ans du salaire de 3 familles types avec, dans la colonne de droite, ce qu'il reste à la fin de l'année.