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Condor l'histoire d'un trouble déclin

Unia fait la lumière sur les péripéties qui ont conduit cette fameuse entreprise jurassienne dans les ornières

Après 118 ans d'histoire, l'entreprise Condor à Courfaivre n'est même plus l'ombre d'elle-même. Unia Transjurane qui s'est beaucoup investi dans les tentatives de sauvetage de l'entreprise fait aujourd'hui la lumière sur les péripéties qui ont conduit à son enlisement.

Depuis plusieurs années, Unia Transjurane déploie de gros efforts pour tenter de sauver l'usine Condor et ses emplois à Courfaivre. Rebaptisée Condor-Fast SA Aerospace Technologies, cette entreprise née il y a 118 ans fut l'un des fleurons de l'industrie jurassienne, notamment avec la production de vélos et de motos qui se sont illustrés dans les plus grandes compétitions internationales. Aujourd'hui, après plusieurs vagues de licenciements, il ne reste plus un seul ouvrier et les ateliers sont désespérément vides. Les nouveaux patrons, des investisseurs russes, ont multiplié les restructurations stériles, jusqu'à l'extinction de toute production mais étrangement, ils maintiennent toutefois le site sous perfusion.

Directeur limogé
Vendredi sur le site de Condor, face à la presse, les syndicalistes d'Unia ont retracé les événements clés qui ont jalonné ce déclin. Histoire d'en expliquer les raisons, d'en cerner les responsabilités. Avec son homologue Jean-François Donzé, le secrétaire syndical Unia Jean-Pierre Chapuis, ancien serrurier chez Condor, a suivi de près les événements de ces cinq dernières années. Juin 2006, Condor est au plus mal. La direction entend licencier 22 employés sur 42. «Cette coupe massive aurait porté un coup de grâce à l'entreprise déjà en difficulté depuis une dizaine d'années», explique Jean-Pierre Chapuis. Grâce à l'intervention du syndicat, la direction revoit sa copie et accepte la mise en place d'une cellule de sauvetage pilotée par un médiateur formé par Unia. Résultat? Tous les emplois sont sauvés, les salaires sont payés et le savoir-faire sauvegardé. «De quoi remplir les conditions permettant la reprise de Condor par une nouvel investisseur.»
Août 2007, un concordat avec le groupe industriel Fast International est homologué. Condor devient Condor Fast International SA sous la direction de l'industriel Rainier Biétry, avec des partenaires russes et ukrainiens. La production, assurée par 37 employés est alors essentiellement axée sur l'aéronautique. Des contrats sont signés, notamment avec Dassault. Début 2009, la direction table sur la création d'une cinquantaine d'emplois en deux ans. Mais à peine ces bonnes nouvelles annoncées, Rainer Biétry se voit brusquement limogé par le conseil d'administration dominé alors par les représentants du groupe Ramenskoï Design en Russie. La raison sociale se mue en Condor Fast SA Aerospace Technologies.

Des sous pour rien
Selon le syndicat, «sous la couverture du nouveau trio de direction se cachent de véritables fossoyeurs» qui vont conduire à la mort de l'entreprise. Les investisseurs russes, voyant leurs injections de capitaux restés sans effets envoient début 2010 un nouvel émissaire censé remettre les affaires d'aplomb mais qualifié par le syndicat de «brasseur d'air». Ce dernier est rapidement remplacé par un Letton installé en Bulgarie, Jiri Janushkevich, lequel devient seul maître à bord, aux ordres d'un conseil d'administration désormais composé exclusivement d'investisseurs russes. Juin 2010, au cours d'une rencontre avec Unia, ce dernier affirme qu'il entend développer l'entreprise et assure qu'il n'y aura aucun licenciement avant les vacances. Promesses non tenues. Le 15 juillet il remercie 9 personnes, en violation des règles conventionnelles. «Ironie du sort, peu après cette annonce dramatique, les collaborateurs licenciés se posent de multiples questions lorsqu'ils apprennent que le capital-actions de cette entreprise en démantèlement vient de passer de 100000 francs à 3 millions de francs.» Une étrange multiplication par trente!
Le 20 août 2010, Unia rencontre les autorités cantonales. Le ministre Probst prend la mesure d'un naufrage imminent, la Promotion économique conserve au contraire un espoir de redémarrage. «Il faudra bien un jour que la Promotion économique s'explique sur l'investissement de l'Etat auprès de Condor-FAST SA et reconnaisse la légèreté avec laquelle elle a cru au développement de cette entreprise dirigée par de tristes incompétents», tonne Jean-Pierre Chapuis.

Plan social dérisoire
Quatre jours après cette rencontre, la direction annonce le licenciement des 23 personnes restant sur le site. Une ronde de consultation s'ouvre avec les instances conventionnelles (patronat et syndicat). Et le 13 septembre, l'entreprise fait machine arrière. Elle réduit à 9 le nombre de personnes congédiées. Quatorze emplois sont sauvés. Le site poursuit donc sa maigre activité mais bon nombre de travailleurs dépités quittent le navire. Un plan social est adopté mais il faudra de multiples interventions d'Unia et de Swissmem pour qu'il soit honoré. Le montant global de ce plan est de 75'000 francs, ce qu'Unia juge dérisoire en regard du salaire du liquidateur ou du leasing contracté par Condor pour l'usage par un cadre d'une «Audi S5 3l Diesel de très grande valeur».
Dès l'automne de l'année dernière, «c'est le souk à l'intérieur de l'entreprise où on commence à tout brader». La matière part chez des ferrailleurs, le département de mécano-soudure et de serrurerie ainsi que des machines sont vendus à Delmet SA à Delémont, entreprise qui par ailleurs reprend 3 travailleurs de Condor, à la satisfaction du syndicat. En novembre, le personnel se limite à 4 ouvriers dont l'une des tâches consiste «à accueillir quotidiennement les acheteurs de ce grand bazar». Au début de cette année, «l'atelier de production se résumait à un ancien bureau de cinq mètres sur cinq», déplore Jean-Pierre Chapuis. Selon lui, l'entreprise bénéficierait pourtant encore de périodes de RHT. «Le canton peut-il offrir de telles prestations à une entreprise dont la production est totalement arrêtée?»

Un gâchis
Le syndicat constate que les dégâts sont aujourd'hui «irréversibles». Mais selon ses informations, l'entreprise ne sera toutefois par fermée dans les mois qui viennent. Certaines informations laissent penser qu'elle pourrait se diriger vers le contrôle de qualité, la sous-traitance ou le service après-vente.
Unia s'est beaucoup investi pour le sauvetage de Condor. Le syndicat a facilité le redémarrage de l'entreprise, soutenu activement la commission d'entreprise, s'est engagé à fond pour sauver les emplois, exiger le paiement du plan social et l'indemnisation des personnes licenciées tout en les aidant à retrouver du travail. «Il nous est difficile d'accepter un tel gâchis», note Jean-Pierre Chapuis. Un gâchis perpétré «avec le soutien aveugle d'une Promotion économique cantonale naïve ou ne voulant prendre aucun risque d'offenser des investisseurs pourtant peu crédibles». Pour Pierluigi Fedele, secrétaire régional Unia Transjurane, «c'est un triste exemple des ravages de la financiarisation de l'économie».


Pierre Noverraz