Après Credit Suisse, UBS
Pour demander la fin des investissements dans les énergies fossiles d’UBS, une vingtaine de militants de la Grève du climat, en costard, ont occupé la succursale lausannoise
Une action, prévue depuis un mois dans le cadre de la candidature de la Grève du climat au Conseil d’Etat vaudois, a fait écho au procès des activistes après leur action à Credit Suisse à Lausanne. Au lendemain de l’acquittement des militants, c’était au tour de la Grève du climat de mettre la pression sur un autre établissement bancaire: UBS.
Il est 14h30 en ce mardi 14 janvier. Une vingtaine de jeunes, en costard, émergent sur la place Saint-François à Lausanne. D’un pas déterminé, ils entrent dans le hall de la banque UBS, déversent du charbon sur le sol marbré, déroulent des banderoles. La revendication est claire: «On sortira quand vous sortirez du fossile!» Le 4e mouvement du Nouveau monde de Dvorak retentit. Deux militants d’Extinction Rebellion collent leur main sur le guichet de la réception. Une cliente se présente devant l’un d’eux, lui demandant: «J’aimerais faire un retrait.» Il répond: «C’est pas à moi qu’il faut faire cette demande. J’ai la main collée.» «Ah, d’accord!» réagit-elle en se dirigeant vers un véritable employé de banque. Une scène cocasse, mais qui pourrait être lue comme une allégorie de l’effet anesthésiant du système capitaliste qui génère le déni de l’urgence climatique, dénoncé encore et encore par la jeunesse du monde entier. Et ces conséquences se font déjà sentir, l’Australie en feu n’étant que la pointe de l’iceberg.
L’acte théâtral de ce jour a ainsi pour but de réveiller l’opinion publique ‒ au même titre que les autres mouvements de désobéissance civile qui se multiplient depuis une année ‒ et d’exiger un changement de paradigme au sein de l’économie. L’occasion de rappeler que la place financière suisse produit 22 fois plus d’émissions de gaz à effet de serre que la Suisse entière, et qu’UBS détient la 26e place des banques les plus polluantes du monde.
Discussion lancée
Sur la coursive, certains employés d’UBS sourient devant le spectacle, avant de retourner dans leur bureau. Un responsable descend, courtois, à la rencontre des manifestants pour exprimer sa déception qu’UBS soit visée, alors qu’elle est l’un des établissements à avoir fait le plus d’efforts pour réduire ses investissements dans les énergies fossiles, et notamment le charbon. Il confie toutefois que tout n’est pas parfait, et qu’il comprend que cela ne va pas assez vite aux yeux des militants. Un porte-parole de la banque les rejoint. S’ensuit une discussion incluant le philosophe et scientifique Dominique Bourg et la docteure en physique, coautrice du GIEC, Julia Steinberger.
Entre-temps, la police est arrivée. La majorité des agents sont devant les portes de l’établissement, avec deux militants du climat, statues anonymes, du charbon à leur pied, des pancartes à la main.
Pour les activistes, il s’agit de sortir de la logique de la croissance. Une question philosophique, selon le porte-parole de la banque, qui ne souhaite être ni cité ni pris en photo. «Au contraire, c’est très physique, rétorque Dominique Bourg. Pour évacuer la chaleur, votre corps a besoin de transpirer. Quand la température est trop haute, il ne peut plus l’évacuer et il meurt.» Et d’ajouter: «L’état de nécessité est complètement fondé.»
Julia Steinberger martèle: «C’est facile d’investir dans les technologies alternatives. Vous pouvez lancer une décroissance forte et immédiate des investissements dans les énergies fossiles. Cela fait des décennies que nous connaissons le problème.» Pour les deux représentants d’UBS, le changement ne peut se faire du jour au lendemain. «On vous demande juste la vérité. Et on se met autour d’une table pour trouver une solution», propose Steven, un militant. Un autre ajoute: «La crise climatique n’est pas partisane.» En aparté, Dominique Bourg fait remarquer la nécessité de la discussion tout en estimant: «Ils sont sensibilisés, mais ils réagiraient différemment s’ils avaient l’urgence climatique chevillée au corps. D’où l’importance de la pression par la société civile.»
La Grève du climat dénonce: «Ni Credit Suisse ni UBS n’ont été condamnés pour leur fonctionnement écocide et destructeur.» Et le collectif d’ajouter: «Pour notre survie, la pression sur l’Etat et les entreprises doit augmenter. L’ancien monde basé sur le profit contre toute morale part en poussière. 2020 marque le début d’une nouvelle décennie et le dernier moment pour agir pour nos vies et le climat.»
UBS demande aux activistes de quitter les lieux avant 16h, sinon une plainte sera déposée afin que la police puisse intervenir. Les militants refusent, s’asseyent en cercle, débattent. Juliette, candidate à l’élection au Conseil d’Etat, est présente. Loris dont le procès a été repoussé pour avoir participé à l’action de traces de mains rouges (à la peinture lavable) sur la façade de Credit Suisse risque une nouvelle plainte. Tout comme Antoine, enseignant, qui a finalement décollé sa main. Tous indiquent ce non-choix, cet état de nécessité et d’urgence, ce sentiment de n’avoir rien à perdre face à la destruction de la planète. Franziska mentionne: «On voudrait que ce genre d’action ne soit plus nécessaire. Mais le modèle d’affaires de la place financière reste incompatible avec l’évitement du réchauffement.» Selon les chiffres de l’Office fédéral de l’environnement, les portefeuilles gérés en Suisse soutiennent un réchauffement climatique de 4 °C à 6 °C. Quelques minutes avant la fermeture de la banque, à 17h, les militants sortent de leur plein gré en chantant.
Peu après, la banque envoie un communiqué disant «s’être engagée à aligner sa stratégie d’affaires sur les objectifs de développement durable de l’ONU et sur l’Accord de Paris». En fin de semaine, le porte-parole d’UBS estimait que «l’hypothèse d’un retrait de la plainte était encore ouverte».
Revendications de la Grève du climat Vaud
La Grève du climat Vaud, se fondant sur des faits scientifiques, demande la sortie totale des énergies fossiles d’ici à 2030. Dès janvier 2020, la fin des investissements dans l’exploration fossile et les infrastructures fossiles doit s’accompagner d’une décroissance de 1% par mois de l’usage du pétrole, du charbon et des autres fossiles. Dès aujourd’hui, le collectif souhaite que les institutions financières suisses fournissent un plan public et transparent compatible avec un réchauffement climatique en-dessous de +1,5 °C par rapport au niveau préindustriel. Si ce n’est pas le cas, «les autorités cantonales doivent cesser leur collaboration avec ces institutions et instaurer un contrôle démocratique des investissements sur des critères durables». Elles doivent aussi «percevoir des taxes sur les activités polluantes des institutions financières (et des entreprises multinationales)» pour alimenter un fonds écologique et social. Les militants demandent encore «l’amnistie des activistes qui, en vertu de leur devoir moral, ont décidé et décideront de bloquer toute institution financière».