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L’engagement au bout des pinceaux

Fanny Vaucher s’est installée à Sainte-Croix, ravie de sa proximité avec la nature mais aussi pas trop loin de Lausanne.
© Thierry Porchet

Fanny Vaucher s’est installée à Sainte-Croix, ravie de sa proximité avec la nature mais aussi pas trop loin de Lausanne.

L’autrice et illustratrice de bande dessinée Fanny Vaucher travaille à un nouveau livre consacré à la grève des cigarières d’Yverdon, au début du XXe siècle

Le trait léger, mais le propos sérieux. Pour Fanny Vaucher, le 9e art rime avec engagement. «J’ai besoin de raconter et d’illustrer des histoires susceptibles d’améliorer un peu la société, non pas d’ajouter juste un livre supplémentaire à l’offre existante. Et ce, d’autant plus avec la pénurie de papier», déclare la Vaudoise de 43 ans, qui puise dans ses valeurs de justice, de respect, d’égalité et de solidarité la matière première de ses ouvrages. Son prochain recueil sera consacré à la grève, en 1907, des cigarières d’Yverdon revendiquant le droit de se syndiquer. Comme pour ses BD historiques à succès, Le siècle d’Emma et Le siècle de Jeanne, le texte sera écrit par l’ancien journaliste et auteur de romans graphiques Eric Burnand. «J’avais au début pensé travailler seule. Mais je lui ai proposé le sujet. Il le connaissait et a trouvé la démarche très intéressante», précise la bédéiste, ravie de cette nouvelle collaboration. La lutte des ouvrières sera abordée à travers deux protagonistes fictives, mais les faits et les personnages qui émailleront le récit seront bien réels. Un combat en phase avec la sensibilité de l’artiste. Affiliée à Syndicom, la Lausannoise est aussi membre de l’Association professionnelle des artistes de bande dessinée suisses (SCAA). Et œuvre à l’amélioration des conditions de travail dans son domaine. Une bataille parmi de nombreuses autres.

Poissons fascinants

La place des femmes dans le monde de la BD mobilise également Fanny Vaucher. Qui a cofondé en 2015 La bûche, un fanzine collectif réservé aux artistes féminines de la branche en Suisse romande. Les luttes politiques et sociales s’inscrivent ainsi naturellement dans les travaux de la Vaudoise, rendue attentive à ces questions dès son plus jeune âge. «J’ai grandi dans une famille de gauchistes. Mon père était employé par l’œuvre suisse d’entraide ouvrière.» La cause prioritaire de la militante, aussi soucieuse d’écologie, reste néanmoins la défense des animaux. «Elle a politisé tout le reste. C’est la cause qui m’indigne le plus et avance le moins. Je suis devenue végane à l’âge de 18 ans, à la suite d’une discussion avec un ami. J’ai pris alors conscience du traitement profondément injuste réservé aux animaux découlant d’une idéologie, de la manière dont on les exploite, comme des marchandises», s’indigne Fanny Vaucher, membre de l’Observatoire du spécisme, confiant être particulièrement touchée par le sort des poissons. «Ils sont sensibles et ressentent des émotions mais, invisibilisés par leur habitat, ils ne suscitent que peu d’empathie. Ils sont pourtant fascinants.»

Gagne-pain instable

Si Fanny Vaucher a toujours aimé dessiner, les mots occupent une place primordiale dans son travail. «Le texte constitue la colonne vertébrale, l’illustration met de la chair», précise la titulaire d’un master en Lettres qui, ayant renoncé à écrire des romans, s’est formée à l’Ecole des arts appliqués à Genève. Et a aussi exercé, en marge de sa passion, le métier de correctrice. Depuis 2018, la jeune quadragénaire se consacre entièrement à son art. Et s’est installée à Sainte-Croix, après avoir pas mal roulé sa bosse à l’étranger. «J’adore ce lieu au passé industriel, proche de Lausanne, tout en étant une bulle montagnarde. Chaque rue débouche dans un pré ou la forêt. J’y réside depuis 2021. Avant, je déménageais régulièrement, quasi tous les six mois.» La bourlingueuse aura ainsi notamment vécu à Varsovie deux années durant où elle a réalisé ses Pilules polonaises. Deux albums qui parlent de l’histoire, de la culture, de la politique de ce pays qui a fasciné l’autrice par l’intensité ressentie. Et ont lancé sa carrière. Les séjours hors frontières de la bédéiste l’ont aussi notamment amenée à Marseille, dans le Jura français ou encore au Cap-Vert d’où elle a ramené Fenouil. Un chien des rues, compagnon de ses promenades qui la ressourcent, mais également de ses galères. «On se serre la ceinture ensemble», sourit Fanny Vaucher, soulignant l’instabilité de son gagne-pain. «Il y a des années maigres, d’autres plus fastes. Dans la moyenne, ça va, mais c’est éprouvant mentalement», confie la créatrice, précisant mener une existence modeste. «Mon standing de vie est resté celui que j’avais étudiante. Je n’ai pas de famille à charge et ne possède pas de voiture.»

L’absurdité de la vie...

De nature angoissée, Fanny Vaucher se définit encore comme une personne disciplinée, réaliste, fiable et encline à relativiser les choses «pour ne pas se laisser couler». Déçue de l’orientation prise par la planète entre guerres et irresponsabilité climatique, soulignant «l’absurdité de la vie», la sympathique artiste n’en demeure pas moins intéressée par nombre de domaines. Et tend à améliorer ce qui peut l’être, tout en affirmant être heureuse. «C’est un devoir de l’être en Suisse. Quant aux changements, ils viendront de la mobilisation collective. Mais c’est difficile.» Confiant sa peur de la mort, y compris de celle de ses proches, Fanny Vaucher prévoit d’aborder la question dans une prochaine BD. Un livre où l’on retrouvera sa patte, empreinte de douceur, et cette approche plus suggestive que détaillée. Hors champ, la création restera «laborieuse». «Un peu comme à la mine, je dois piocher un maximum. Le résultat se révèle toujours mieux dans ma tête», note la passionnée, qui place haut la barre de ses exigences. Autre caractéristique de son travail, sa préférence pour l’aquarelle et l’encre de Chine. «Ce sont les techniques que je maîtrise le mieux», indique Fanny Vaucher qui, questionnée sur un talent rêvé, cite la musique. «Elle véhicule tellement d’émotions. Je pense en particulier aux Partitas de Bach. Je lui aurais volontiers demandé ce qu’il avait au fond de lui, quel était son carburant.» Le sien découle de la richesse de ses idées et de son souci de transmettre des messages. De la poésie en prime...