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Aujourd’hui on fait grève

Lancement de la grève du 14 juin à Berne. De dos une femme portant un t-shirt "Du respect, du temps, de l'argent".
© Olivier Vogelsang

Au travail, à la retraite, dans la sphère privée, les femmes continuent à être discriminées. Et, en ce 14 juin, réclament du respect, du temps et de l’argent. Des militantes de différentes générations expliquent les raisons prioritaires qui les poussent à participer à la grève et écrivent leur message prioritaire


Portrait de Léa.Favorable à une politique des quotas

Léa Pacozzi, étudiante à l’Université de Lausanne, 23 ans.

Léa Pacozzi termine un master en administration publique à l’Université de Lausanne. Le 14 juin, elle se joindra à la manifestation. Une première pour la jeune femme qui a plutôt l’habitude de s’engager dans l’arène politique que dans la rue, remplissant la fonction de conseillère communale socialiste à Epalinges et de coprésidente de la section du PS dans cette même commune. «La raison de ma participation? C’est important de rendre visible ce combat pour que le thème soit mis à l’agenda des politiques, que le message soit repris.» D’un point de vue plus personnel, elle ajoute: «Quand on est jeune et de surcroît une femme, oser s’exprimer est plus difficile. On se sent rarement légitimée à le faire. Et notre opinion n’est souvent pas prise en compte.» Quant aux exigences féministes prioritaires, elle les trouve toutes importantes. «L’ensemble des revendications exprimées me parle. Mais la première, pour moi, reste d’être prise au sérieux et considérée dans la sphère politique où être une femme complique la donne.» L’universitaire estime par ailleurs que les problématiques rencontrées par les femmes ne sont pas entendues et comprises, d’où la nécessité de faire grève.

«Les femmes représentent la moitié de la population. L’égalité devrait aller de soi. Il serait vraiment temps qu’on les écoute. Nous devons taper du poing dans ce sens», martèle Léa Pacozzi, mentionnant plusieurs raisons d’être en colère. Comme le fait que les travailleuses devront trimer un an de plus, alors qu’elles remplissent toujours l’essentiel des tâches éducatives et domestiques et des soins aux proches dépendants. «On nous demande de participer à l’effort collectif pour renflouer les caisses de l’AVS, mais rien ne change de l’autre côté.» L’universitaire dénonce aussi pêle-mêle la problématique du harcèlement avec des hommes qui ne comprennent toujours pas quand ils dépassent les bornes, qui continuent trop souvent encore à faire des commentaires sur l’aspect physique des femmes. Elle mentionne également la difficulté pour les actives d’évoluer vers des postes de cadre. «La maternité potentielle va fermer des portes», affirme Léa Pacozzi, favorable par ailleurs à l’introduction de quotas en politique ou dans des organes de direction. «Une bonne idée dans un premier temps, juste pour que les fillettes puissent aussi se projeter dans d’autres fonctions, échapper aux rôles genrés qui les influencent toujours beaucoup. Une étape dans l’attente d’une normalisation.» Questionnée sur la signification d’être une femme aujourd’hui, Léa Pacozzi note qu’elle bénéficie d’un grand champ des possibles, mais qu’elle doit travailler davantage pour les atteindre. «Un paradoxe. J’espère que, quand je souhaiterai fonder une famille, la situation se sera améliorée.»

Texte Sonya Mermoud
Photo Thierry Porchet


Portrait de Martine.Pour une langue respectueuse

Martine Gagnebin, présidente de l’Association vaudoise pour les droits des femmes, 78 ans.

«Il faut arrêter de penser que je suis LA grande féministe de toujours!» Elle rit, la présidente de l’Association vaudoise pour les droits des femmes (ADF). «C’est en 1995, à l’âge de 49 ans seulement, que j’ai ouvert les yeux!» Martine Gagnebin n’a pas la mémoire des dates, mais cette année-là est restée gravée, car elle a changé sa vie. «J’étais la présidente du Centre de liaison des associations féminines vaudoises et c’est en côtoyant la permanence du Bureau Information Femmes (nos bureaux étaient communs) que j’ai pris conscience des inégalités.» Dès lors, depuis presque trente ans, elle n’a cessé de lutter contre les discriminations faites aux femmes.

Une autre date importante pour elle: le 1er février 1959. Vaud devenait alors le premier canton à accorder le droit de vote cantonal et communal aux femmes, bien avant le pays (1971). «Les militantes de l’époque ont été d’un courage impressionnant. Du droit de vote découlent le congé maternité, le droit du divorce, le mariage pour tous…» Si Martine Gagnebin souligne ces avancées importantes, elle soupire, profondément attristée: «Après 100 ans de luttes féministes, ce n’est pas possible qu’on en soit encore là!» Elle évoque pêle-mêle le droit à l’avortement toujours menacé; les féminicides; les dettes fiscales qui retombent encore souvent sur les femmes des cantons de Vaud et d’Appenzell, dernières régions à appliquer la solidarité entre ex-époux; ou encore la manière de considérer que toutes les femmes sont des mères potentielles. «Pourquoi parle-t-on toujours de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale – qui présuppose des enfants – plutôt que de vie privée?» questionne celle qui a mis au monde deux filles et un garçon.

Dans ses luttes prioritaires, Martine Gagnebin mentionne le langage épicène comme facteur de changements. «Je milite pour une langue plus respectueuse. Les mots sont porteurs de sens. Dire: “Bonjour à toutes et à tous”, c’est donner une place aux femmes! C’est sûr que cela complexifie, et c’est tant mieux!» Elle se réjouit aussi que, peu à peu, des noms de rues ou de places rendent hommage aux femmes.

Face aux commentaires acerbes et insultants d’anti-féministes, notamment dans les commentaires liés à des articles de presse, elle garde son calme: «Le patriarcat tremble sur ses bases. On va vers un monde autre. Je peux comprendre que cela puisse faire peur à certains. Ce n’est pas facile. Mais le patriarcat a fait tellement de mal...» Depuis l’organisation de la grève en 2019, elle ne cache pas son admiration pour les collectifs de la grève féministe: «C’est extraordinaire de voir tant de jeunes militantes si pleines d’entrain et si bien organisées. Elles m’épatent aussi par leur prévenance, notamment vis-à-vis des plus vieilles, et par leur bienveillance.» 

Textes Aline Andrey
Photo Olivier Vogelsang


Portrait de Lobali.«Je suis une femme du monde»

Lobali Mpase, assistante médicale, 57 ans

«Ce 14 juin, je ferai du bruit en tapant sur un tambour, en tant que femme, sans couleur, sans nationalité; une femme du monde qui ne veut plus vivre dans le système patriarcal à l’origine de l’instabilité de l’humanité!» explique Lobali Mpase, déterminée, quelques jours avant la manifestation. En 2019, elle avait pris le micro pour la première fois et avait su faire passer son émotion. «Je me suis sentie bien, libre de m’exprimer dans un pays qui me le permet. Au Congo, cela aurait été impossible.»

Révoltée, Lobali Mpase pense à ses sœurs africaines, violentées, tuées dans des guerres larvées. «La grève féministe m’a permis de dénoncer ce qui se passe au Congo, mon pays. Je suis en colère contre ces présidents africains qui font souffrir les femmes et la jeunesse.»

Son histoire migratoire est celle d’une jeune fille aisée, issue d’une famille politisée, qui est venue étudier à l’âge de 12 ans dans un pensionnat suisse. Quand son passeport diplomatique lui a été retiré, bien des années plus tard, elle a connu pour la première fois les humiliations à la douane. Cela malgré son permis C.

Assistante médicale, elle a subi le racisme et des agressions sexuelles au sein même de son cabinet. «J’ai été pelotée par un haut responsable d’une multinationale, alors que je lui faisais une piqûre; ou un homme a baissé son pantalon devant moi, tout excité. A chaque fois, j’ai crié assez fort pour que le médecin puisse intervenir. Ce n’était pas lié à ma personne, mais à l’image de la femme africaine vue comme à disposition.» Elle a vécu aussi, en tant que mère de trois enfants, des situations difficiles. «Il est essentiel de former les profs pour que l’école devienne plus inclusive et dans une approche intersectionnelle.»

Lobali Mpase a radié ses prénoms chrétiens et coloniaux: Marie et Honorine. Par contre, cela lui arrive d’utiliser son troisième prénom, celui de son père: Albert. «Selon mon humeur, dans les réunions de la grève féministe, surtout quand je veux râler, il me permet de faire ressortir mon côté masculin.» Au sein des collectifs, il y a quatre ans, elle a eu besoin de reconnaissance, car elle était l’une des rares «blacks». «J’avais besoin de revendiquer le terme Noire – je n’utilise pas le mot racisée, qui est très universitaire… – et d’être mieux accueillie.» Depuis, elle a fait son chemin, également en politique, et se sent reconnue en tant que femme noire féministe. En ce sens, elle est la digne héritière de sa grand-mère qui avait barré, dans la bible, la phrase: «Femmes soyez soumises». «Elle m’a souvent répété que la femme n’est pas un objet. Muasi azali eloko te, en lingala, souligne Lobali Mpase, la craie à la main. Les mots ne suffisent plus, on a besoin d’actions, de chiffres! Je me bats pour que mes enfants ne vivent pas ce que j’ai vécu. Mais je sais que l’égalité ne sera pas obtenue de mon vivant.»

Texte Aline Andrey
Photo Olivier Vogelsang


Portrait de Claire.Un 14 juin de transmission

Claire Ansermet, intervenante sociale, 38 ans.

Membre de la chorale anarchiste de Lausanne, Claire Ansermet participera en chansons à l’ouverture de la Grève féministe le 13 juin au soir. Et le jour J, ce sera pour elle un 14 juin de transmission, comme elle dit. «Je travaille pour l’Association de soutien aux victimes de traite et d’exploitation (Astrée), et comme on ne peut pas faire grève au sens strict du terme, nous irons à la manifestation avec les femmes que l’on accompagne (souvent des victimes de prostitution contrainte, ndlr). Nous aurons organisé un atelier pancartes la veille.» Une autre posture qui lui plaît aussi: «Je n’y vais pas seulement pour moi, mais pour transmettre des valeurs à d’autres femmes qui n’y seraient pas allées seules.»

Son histoire avec le 14 juin a commencé en 2019, dont elle garde un souvenir beau et ému. «J’étais enceinte de trois mois. C’était un moment festif, généreux et lors duquel j’ai beaucoup pleuré d’émotions. Et en même temps, il faisait chaud, je n’étais pas bien et fatiguée (rire). Je me rappelle avoir été tiraillée entre l’euphorie de ce moment historique et l’envie de rentrer chez moi.» Depuis, elle a participé à tous les 14 juin suivants.

Si elle se réjouit du prochain, le cœur de Claire Ansermet n’est pas vraiment à la fête. «Je peine à être dans la joie et les paillettes, je ressens plus de la colère et de la tristesse.» La jeune maman se dit très touchée par les deux féminicides dans le canton de Vaud fin mai. Et révoltée par l’inaction politique sur la question des droits des femmes en général. «J’ai un sentiment d’échec amer. Il faut que les choses avancent, il faut légiférer, mettre en place des mesures concrètes et contraignantes. En somme, montrer plus de volonté.» Ce sentiment d’impatience, elle le ressent aussi chez les femmes qui l’entourent. «Les revendications sont les mêmes qu’il y a quatre ans, mais il me semble que la colère est plus vive et se radicalise: on n’a clairement plus envie de rigoler maintenant, ça suffit, c’est plus possible!»

Une rage aussi, alimentée par la réalité qu’elle côtoie sur le terrain depuis un an chez Astrée. «J’ai pris conscience d’à quel point les hommes tirent profit du corps des femmes, et ce depuis la nuit des temps, sans oublier ce rapport de domination et la violence systématique qui en découle, tant sur le parcours migratoire partout dans le monde que dans la prostitution contrainte ici à Lausanne.»

Enfin, la transmission passe aussi par son fils, de 3 ans et demi, qu’elle essaie d’éduquer loin des stéréotypes de genre. «Nous avons construit un couple égalitaire et avons eu le luxe d’accueillir notre fils en pleine pandémie. Mon conjoint a été présent à la maison pendant les six premiers mois de sa vie, et je pense que c’est comme ça qu’on a réussi à prendre une place égale auprès de notre fils. Même si, il faut le dire, la charge mentale est énorme pour les mères, y compris au sein des couples déconstruits…»

Texte Manon Todesco
Photo Thierry Porchet


Portrait de Gustave.Encore des réflexes à briser...

Gustave Deghilage, enseignant et photographe, 57 ans.

«Je suis allergique à toutes formes d’inégalités et d’injustices, de discriminations en termes de salaire, de regards masculins sexistes.» Gustave Deghilage a pris congé pour participer au 14 juin qu’il documentera en photos. Avant d’accepter cette interview, il s’assurera que le journal a surtout donné la parole aux femmes. «Leur cause me tient à cœur. J’ai commencé à m’intéresser photographiquement parlant aux mouvements féministes dès 2016.» Sa sensibilité à la question possède des racines plus profondes. «J’en ai pris conscience avec mon épouse, ma compagne depuis 32 ans. Notamment par rapport aux attitudes machos. C’est elle qui m’a ouvert les yeux, expliqué le ressenti des femmes à ce sujet, le malaise que peuvent générer de tels comportements.» Gustave Deghilage estime qu’il lui reste, à lui aussi, encore des réflexes à briser. «C’est un processus. L’éducation dans tous les cas joue un rôle clé pour générer des changements, notamment en matière d’égalité salariale.» L’enseignant note ainsi que les femmes auront tendance à se montrer reconnaissantes d’être embauchées même à des rémunérations basses, alors que les hommes refuseront de travailler pour de tels montants. «Les revendications des féministes sont clairement légitimes. Des modifications s’opèrent, mais les mentalités évoluent lentement», ajoute le quinquagénaire, estimant prioritaires les exigences liées à l’égalité salariale et à la lutte contre le harcèlement sexuel. «Une femme est fondamentalement mon égale. Mais ce n’est pas entré dans les mœurs de tous. De là découlent toutes les injustices et leurs incidences sur les salaires, les retraites, etc. La discrimination économique avec des carrières hachées en raison de l’éducation des enfants assumée le plus souvent par les mères repose sur un problème structurel important. Il faut repenser, au niveau politique, le système de partage des revenus.»

Questionné sur un modèle de femme inspirant, Gustave Deghilage cite la sienne, anthropologue, ou encore Marie Curie: «On lui avait demandé ce que ça lui faisait d’être l’épouse d’un Prix Nobel. Elle a répondu qu’elle ne savait pas, qu’il fallait demander à son mari», sourit-il. Sa place en tant qu’homme face à certains mouvements féministes plus radicaux ne lui pose pas de problème. «Tout est affaire de respect. Il y a eu beaucoup de brimades. C’est un juste retour de balancier. Mais le temps devrait amener un certain équilibre.» Sa vision du futur? «Nous formons tous une famille humaine, chaque personne, avec ses valeurs, ses spécificités. Mais il manque encore de la compassion au sens profond du terme. L’avenir devrait permettre de supprimer les distinctions de genres, de nous conduire à tous tirer à la même corde. Nous sommes sur la bonne voie, mais il y a encore du boulot. Et je comprends que ce soit toujours difficile.»

Textes Sonya Mermoud
Photo Thierry Porchet

Des chiffres qui en disent long

23% Cinq ans après l’obtention du diplôme, 23% des femmes avec enfant(s) occupent une position de cadre contre 47% d’hommes dans la même situation.
Source: OFS

60% En 2020, 9,8 milliards d’heures de travail non rémunéré ont été effectuées, contre 7,6 milliards d’heures de travail rémunéré. Les femmes ont accompli 60% du volume du travail non rémunéré et les hommes 61% du volume du travail rémunéré.
Source: OFS

42% des femmes actives occupées ont un emploi à plein temps contre 81% des hommes.
Source: OFS

52h En moyenne, les mères accomplissent 52 heures de travail domestique et familial par semaine contre 32 heures pour les pères.
Source: OFS

26% de femmes siègent au Conseil des Etats.
Source: OFS

48% La part inexpliquée de l’écart salarial entre les femmes et les hommes est de 48%, soit 717 francs.
Source: Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS)

71% des emplois dans les hôpitaux sont occupés par des femmes. Celles-ci représentent 83% du personnel soignant, mais atteignent tout juste la parité parmi les médecins (49,8%).
Source: OFS

20 des 23 personnes décédées en Suisse en 2021 dans le cadre de violences domestiques sont des femmes.
Source: OFS

70% des victimes de violences domestiques sont des femmes, contre 30% d’hommes.
Source: OFS

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