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Orange: harcèlement moral institutionnel confirmé par la justice française

Statue de la justice, avec sa balance et son épée.
© Pixabay

Une quarantaine d'employés de France Télécom (devenu Orange en 2013) s'étaient suicidés entre 2008 et 2010, à cause de méthodes de management pour lesquelles deux anciens dirigeants ont été condamnés en France.

La Cour de cassation a rendu définitives les condamnations des deux ex-dirigeants de France Télécom, devenu Orange, dans l’affaire de la vague de suicides.

Célina Ovadia

Jusqu'au bout, ils se seront enferrés dans le déni. En vain. La Cour de cassation, plus haute autorité judiciaire française, vient de réitérer les condamnations pour «harcèlement moral institutionnel» de deux ex-dirigeants de France Télécom – devenu Orange en 2013 – dans l'affaire de la vague de suicides survenus il y a une quinzaine d'années. Celle-ci avait fait grand bruit à l'époque, une quarantaine d'employés de l'opérateur de téléphonie ayant mis fin à leurs jours entre 2008 et 2010.

De recours en recours, les deux prévenus n'auront cessé de rejeter toute responsabilité, depuis leur condamnation en première instance lors d'un procès emblématique en 2019. En septembre 2022, la Cour d'appel a atténué les premières sentences, en supprimant une peine de prison de 4 mois et en allégeant de dérisoires amendes à 15000 euros. Mais le 21 janvier dernier, la Cour de cassation a rendu un arrêt confirmant leur culpabilité dans une politique d'entreprise fondée sur le harcèlement et la mise en danger de toute collectivité.

L'arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation inscrit dans la loi le délit du harcèlement moral institutionnel, imposé par un management brutal qui veut ignorer jusqu'au bout la souffrance collective exprimée par les alertes et les plaintes syndicales, les suicides, les arrêts maladies, les dépressions, etc.

Souffrance au travail contestée

La contestation de cette souffrance s'exprimera par l'expression du dirigeant Didier Lombard «comme un effet de mode» en 2009 et surtout par le Plan Next dès 2006 qui prévoit de «faire partir par la fenêtre ou par la porte» 22000 employés et déplacer 10000 autres pour contourner un plan social, car la majorité des salariés (120000) étaient fonctionnaires. Depuis 2004, la violence de ce management avait anticipé le recrutement de 4000 employés formés aux méthodes harcelantes pour réduire les effectifs dans toutes les structures du groupe.

Mandaté auprès de la plus haute Cour de l'ordre judiciaire par trois organisations syndicales, la Confédération générale du travail (CGT), Force ouvrière et Sud Solidaires, Me Antoine Lyon-Caen commente l'importance de cet arrêt: «Le harcèlement moral institutionnel résultant d'une politique d'entreprise montre que le pouvoir de direction d'un employeur a des limites. Pour la première fois, et par cet arrêt, la Chambre criminelle de la Cour de cassation reconnaît condamnable le harcèlement moral institutionnel, organisé par une entreprise.» Pour l’avocat, les enjeux de ce premier procès sur le harcèlement moral institutionnel ont été considérables, tant pour France Télécom que pour ceux qui ont nommé les souffrances endurées par les victimes du fait des agissements de cette entreprise. «La voie est désormais ouverte aux victimes pour la mise en cause d'une politique qui dégrade les conditions de travail, car le Droit ne produit d'effet que quand il est mobilisé.»

La fabrique de la violence

«Si le premier procès de 2019 a démonté les mécanismes du harcèlement qui a mis en danger la vie des salariés, la Cour de cassation octroie aux juges la possibilité de porter leur regard sur l'organisation du travail et la politique de l'entreprise, rappelle Patrick Ackermann, premier représentant syndical de la Fédération Sud à porter plainte en décembre 2009 contre France Télécom. Notre combat a été juste, et aux syndicalistes, aux collectifs de s'engouffrer dans cette voie avec la mobilisation des parlementaires.»

Orange (ex-France Télécom), «affiche en 2024 une série mortifère de 8 suicides dont 3 en octobre et un en novembre», révèlent Virginie Malavergne et Isabelle Jardillier, représentantes de la Fédération Sud PTT de l'Union Solidaires. «A Sud, lorsque de tels drames arrivent, nous avons un préalable: il y a un lien avec le travail. L'entreprise, elle, qualifie de décès brutal un suicide, et d'auto-agression les tentatives de suicide. Orange met en avant les difficultés familiales et entrave systématiquement toute investigation en lien avec le travail pour dissimuler ses responsabilités. Nous essayons en intersyndicale de faire avancer les dossiers, dans un climat délétère où les salariés vont de plus en plus mal à cause des réorganisations permanentes. C'est dans les secteurs où les métiers sont renvoyés vers des sous-traitants ou ceux concernés par les départs volontaires que les risques de suicide apparaissent.»

Inspecteurs du travail insuffisants

Un des responsables de la Confédération générale du travail (CGT), Gérald Le Corre est inspecteur du travail. S'il estime que l'arrêt de la Cour de cassation pose une avancée en confirmant la responsabilité des employeurs dans les organisations pathogènes, il note en revanche: «Les moyens des équipes syndicales ont été amputés depuis les ordonnances Macron supprimant les comités d'hygiène et de sécurité qui élargissaient leur sphère d'enquête. De même, le nombre des inspecteurs du travail, très en deçà du nombre d'entreprises, comme la faible démographie des médecins du travail, interrogent sur les capacités collectives à répondre à l'accélération des réorganisations du travail. L'augmentation des inaptitudes du fait du travail pathogène a été annoncée pour la première fois au niveau national par la Direction générale du travail sous la pression syndicale: la dernière statistique dénombre 132000 déclarations pour 2022.»

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